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De la crise identitaire à la crise mahoraise A Définition de la crise identitaire

MAYOTTE ET SES PARADOXES

C. Contexte socio-économique

II. De la crise identitaire à la crise mahoraise A Définition de la crise identitaire

À l'heure où le monde est en crise dans tous les domaines, aussi bien économiquement que socialement parlant, nous nous intéressons à une crise plus profonde qui concerne des gens comme nous qui se sentent tiraillés par deux cultures et deux modes de vie différents. Nous allons ainsi parler de la notion de crise identitaire dans le sens le plus large. En premier lieu, nous nous arrêterons sur des définitions générales avant de parler de Mayotte, l’île dont nous

33 Lire Maurice Halbwachs, « Conscience individuelle et esprit collectif » dans Les cahiers psychologie politique

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sommes aussi originaires. Puis, nous aborderons la crise identitaire dont souffrent de façon latente les habitants de Mayotte et que nous observons chaque jour sans que la problématique fasse l’objet de débat et d’analyse par des professionnels. Ainsi, nous étudierons la notion de crise dans un domaine plus psychologique afin de tenter de comprendre des problèmes de société qui concernent les questions existentielles telles que : « Qui suis-je ? » et « d'où je viens ? ». Nous ne pouvons que nous sentir en crise quand nous ne trouvons pas de réponses à ces questions. Nous verrons aussi pourquoi tout notre équilibre psychique tient au fait de nous trouver une identité claire et stable.

Selon les dictionnaires34, la crise vient du mot grec « Krisis » c'est à dire la décision. La

crise correspond dans le domaine de la santé à une « manifestation ou aggravation brutale d'un état morbide ». C'est aussi « un accès soudain d'ardeur, d'enthousiasme » ou « période décisive ou périlleuse de l'existence » ou encore en parlant d'une crise biologique, une « période de l'histoire des êtres vivants caractérisée par des extinctions massives et brutales ». Dans le domaine social, c’est : « une phase difficile traversée par un groupe social » par exemple la crise de l'Université comme ce qu'on vit en ce moment avec les grèves. La notion de crise est utilisée pour décrire certaines situations de changement imprévisible ; en psychologie, on retrouve deux idées essentielles, l'une mettant l'accent sur une certaine rupture de changement brutal et des modifications de comportements, l'autre concerne les différentes perturbations du fonctionnement psychique de l'individu, entraînant entre autres « malaise » et « souffrance ».

D'autres définitions du mot ont été données par certains auteurs. Pour Edgar Morin35, la crise est

une indécision, une perturbation avec ses lots d'incertitudes. D'après Robespierre36 : « Il est dans

les révolutions des mouvements contraires et des mouvements favorables à la liberté, comme il

est dans les maladies des crises salutaires et des crises mortelles37. »Une crise peut affecter aussi

bien la sûreté, la santé humaine, son environnement et autre. Nous pourrons évoquer ce qui se passe à l’heure actuelle depuis le 17 mars 2020, La France a dû se confiner pour se protéger d’une crise sanitaire planétaire et inédite. Selon Jacques Attali : « ce qu'on nomme la crise n'est

que la longue et difficile réécriture qui sépare deux formes provisoires du monde38 ». La crise

pourrait être un passage de l’ordre à un certain désordre. Thierry Libaert, expert français en

34 Voir notice du dictionnaire Larousse.

35 Cité par Auguste Nsonsissa, « Pour une ‘‘crisologie’’ » dans Hermès, La Revue, n°60, 2011/2, p.139-144. Edgar

Nahoum dit « Edgar Morin » est un sociologue, médiologue et philosophe français. C’est un penseur de la complexité, il prône pour une pensée dite “constructive”.

36 Maximilien de Robespierre, est un avocat et homme politique français, il a été un personnage controversé à son

époque et une grande figure de la Révolution française.

37 Cité par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) : Robespierre, Discours sur la

guerre, tome 8, 1792, p. 86.

38 Jacques Attali, citation, [en ligne] : https : //citations.ouest-france.fr/citation-jacques-attali/nomme-crise-longue-

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communication des organisations cite Otto Lerbinger qui décrit la crise comme étant : « un

événement inattendu mettant en péril la réputation et le fonctionnement d'une organisation.39 »

Pour Thierry Libart, la crise serait un changement brutal et soudain de deux états provoquant

une rupture d'équilibre40. D’autres auteurs parlent de crise au sein d’un groupe ou d’une équipe.

C’est le cas de Damien Kaufmann41 qui analyse dans son article cette notion de crise : « Mais

dans le moment où la crise se déroule, le sentiment de ne pas pouvoir y faire face domine les représentations des membres du groupe. L’issue de la crise n’amènera d’ailleurs probablement pas les mêmes résultats chez tous les membres du groupe, certains s’en trouveront sérieusement ou durablement affectés voire brisés, d’autres se sentiront positivement portés et remotivés par de nouvelles perspectives. D’une crise ne résulte pas un destin commun à l’ensemble des

personnes qui la vivent42. »

Ce qui peut nous ramener plus à la notion de crise individuelle, centrée sur soi-même, son identité : la crise identitaire.

Qu’est-ce donc qu’une crise identitaire ? C’est lorsque nous nous posons des questions sur notre identité liée à notre arbre généalogique. De ce fait si nous méconnaissons nos origines, cela pourrait poser des problèmes en termes d'équilibre psychique et entraver le bon développement de notre personnalité. Ainsi, ignorer qui nous sommes, notre histoire familiale et personnelle, pourrait faire croître en nous un fort sentiment d’anxiété et des interrogations sur notre propre identité, ce qui pourrait causer un dommage psychologique non négligeable tel que nous ne saurons nous projeter à long terme.

Pour Gramsci Antoni, c’est « celui qui ne sait pas d'où il vient ne peut savoir où il va43. »

Cette quête identitaire peut se retrouver surtout dans la période de l'adolescence où le jeune se cherche des modèles identificatoires sur lesquels il pourrait s'appuyer. Puisque cette expérience adolescente est décrite comme une période de crise à cause de ces nombreux changements, cela correspond à une « crise juvénile » ou « crise pubertaire » entre 12 et 25 ans ou plus. Et quand cette crise prend une tournure plus sévère, elle affecte la perception que l'individu a de lui-

même. Elle peut inclure, selon Pierre G. Coslin, auteur de la Psychologie de l'adolescent44,

plusieurs facteurs dont :

● Les névroses d'inhibition telles que les difficultés d'expression, des inhibitions

39 Voir Thierry Libaert, La Communication de Crise, Les Topos, éd. Dunod, Paris 2001, p. 9. 40 Ibidem.

41 Psychologue, spécialisé en gestion d’équipe et la dynamique de groupe.

42 Damien Kauffman, « L’équipe en crise » dans Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, N°106,

2015/2, P.239-258.

43 Citation, site Le Monde, [en ligne] : https : //dicocitations.lemonde.fr/citation_auteur_ajout/1433.php 44 Pierre G. Coslin, Psychologie de l’adolescent, éd. Armand Collin, 2002, p.152

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intellectuelles et sociales, etc. ;

● Les névroses d'échec comme un échec scolaire, des échecs sentimentaux et des pensées négatives sur la vie en générale ;

● Une certaine morosité, une vision très pessimiste d'aborder les problèmes quotidiens avec un risque de passage à l'acte avec des actions typiques comme les fugues, la délinquance et même le suicide.

La crise identitaire renferme une multitude d'autres termes : crise adolescente, crise d'originalité, crise psychologique, crise de l'identité, crise dans le concept de soi, crise sociale, crise culturelle, crise personnelle, crise conjugale, crise de l'affect, crise raciale, la psychopathologie interculturelle avec ses situations de crises, la crise dans la discrimination, la non-reconnaissance de soi, des valeurs, des coutumes et des traditions des minorités par exemple etc. Les jeunes de Mayotte se trouvent dans un entre deux comme le décrit très bien Amin Maalouf : « Ce qui fait que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C’est précisément cela qui définit mon identité. Serais-je plus

authentique si je m’amputais d’une partie de moi-même ?45 »

C’est aussi le sentiment de certains jeunes mahorais qui oscillent entre deux identités être Mahorais et être Français. D’un côté, certains évoquent leur ancrage au monde, à leur île natale, où ils se sont sentis choyés. Ce qui leur permet de vouer une loyauté sans « faille », Mayotte, représentante de la mère patrie, qui les a toujours bercés et apportés un cadre et une contenance « bienveillante ». De l’autre côté, la France est « cette mère » adoptive qui les aide matériellement et financièrement à grandir pour devenir dans le meilleur de cas, des individus qui subliment de plusieurs formes. Être Mahorais et Français serait envisageable si on ne renvoie pas ces jeunes à leur origine africaine de base avec une multitude de cultures connectées, arabo-malgache-indienne et bantoue. Et comme le développe Amine Maalouf quand il évoque un individu avec deux appartenances, celui-ci peut se sentir « libre » et vivre sa vie pleinement, en osant être soi : « s’il se sent encouragé à assumer toute sa diversité ; à l’inverse, son parcours peut s’avérer traumatisant si chaque fois qu’il s’affirme français, certains le regardent comme un traître, voir comme un renégat, et si à chaque qu’il met en avant ( ses origines), son histoire, sa culture, sa religion, il est en butte à l’incompréhension, à la méfiance

et à l’hostilité46. » Les jeunes peuvent se retrouver dans un entre-deux où ils ne se sentent ni tout

à fait Français et ni tout à fait Mahorais (pour ceux qui ont été éduqués ailleurs qu’à Mayotte). Nous pouvons donner l’exemple d’une jeune fille qui est née à Mayotte, qui aurait vécu neuf ans

45 Amin Maalouf, Les identités meurtrières, éd. Grasset, Paris, 1998, p.7. 46 Ibid., p. 9.

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à la Réunion, sept ans en métropole pour ses études supérieures et qui revient dans son île natale après seulement quatorze ans passées à l’extérieur. Elle s’est sentie perdue, en manque de repère et d’identité fixe. Elle fut surnommée par ses camarades, des jeunes comme elle comme étant : « un je viens de ». Cela signifie que malgré qu’elle soit originaire de l’île hippocampe (Mayotte), le fait de n’y avoir pas vécu, de ne pas y avoir étudié la discréditerait de son appartenance à ce lieu. Elle ne maîtrisait pas également sa langue maternelle et elle ignorait certaines choses telles que les danses, les chants traditionnels. Ce qui faisait d’elle, « une fausse mahoraise », lui disait-on.

À la question de savoir qui est un « vrai Mahorais » ? Le philosophe Hamdani Ambririki y répond : « Je suis composé de mahorité, d'islamité et de francité. Enlever ma mahorité, c'est anéantir mon corps. Combattre mon islamité, c'est arracher mon cœur. Ne pas reconnaître ma

francité, c'est trancher ma tête47. » C’est donc une identité multiculturelle, « complexe » et

diversifiée. C’est la définition qui synthétiserait le plus ce qu’« être Mahorais », est celui qui vient de Mayotte, adopte sa culture, ses traditions et sa religion.