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MAYOTTE ET SES PARADOXES

B. Contexte historique

L’île a été découverte par des navigateurs portugais. Puis en 1832, elle fut conquise par un ancien roi malgache du nom d’Andriantsoly. Mayotte est devenue colonie française le 25 avril 1841. S'agissant de l'origine de la population de Mayotte, les premiers habitants étaient des

Bantous venus de l'Afrique de l'Est. Au 9ème siècle, ce sont les marchands arabes et perses qui

s'installent sur l'île, apportant ainsi l'Islam. Entre le 15ème et le 18ème siècle, il y eut une forte

migration de la population malgache permettant un métissage visible puisque certains villages de Mayotte ont comme langue maternelle le kibushi (un dialecte malgache). C’est le 25 août 1972, le Comité spécial de décolonisation de l'ONU inscrit l'archipel des Comores incluant Mayotte. Le 15 juin 1973, la France et les Comores signent des accords pour l’accession à

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l'indépendance. En 1974, la France organise aux Comores un référendum sur l'indépendance. Les Comores votent pour l’indépendance en 1976 alors que Mayotte a souhaité être attachée à la France en devenant une Collectivité Territoriale de la République française. Ce sentiment de trahison que nous interprétons aurait développé une certaine hostilité, une très longue bataille politico-judiciaire et des divergences d’opinions entre Mayotte et les trois autres îles, en particulier la Grande Comore qui revendique jusqu'alors le retour de Mayotte parmi eux.

En effet, après le référendum positif de Mayotte, le gouvernement français de l'époque a pris en compte le droit du peuple à l’autodétermination et Mayotte reste française malgré l’indépendance des Comores. Cette séparation serait illégale aux yeux des Nations Unies, de l’Union africaine et des Comores sous le prétexte d’une violation de l'intégrité territoriale de l'archipel, c’est aussi pour cette raison que se fonde le retour de Mayotte en son sein. Le 2 juillet 2000 a eu lieu la consultation sur l’avenir institutionnel de Mayotte, la population s’est prononcée en faveur du statut de Collectivité Départementale, et le processus de départementalisation est entamé depuis avril 2008. Le référendum du 29 mars 2009 pour le « oui » ou le « non » pour la départementalisation a eu lieu. Mayotte devient à 95,2% le

cinquième département d’outre-mer, 101ème département français, le rêve de la majorité des

Mahorais fut enfin exaucé. Mais cette victoire a aussi renforcé la rancune et un profond malaise entre ses îles sœurs comoriennes voisines. D’autant que l’île de Mayotte souhaite acquérir sa propre identité, et tente de se démarquer des autres îles de l’archipel des Comores. Certaines personnalités publiques de Mayotte, notamment les politiciens et les écrivains défendent cette île comme étant « unique », ce fût le cas du premier député et président du Conseil général de Mayotte Younoussa Bamana : « Nous ne voulons pas de votre indépendance à la con, nous voulons rester Français pour être libre ». Le choix des Mahorais est clair, ils ne veulent plus être assimilés à des Comoriens, ils veulent être des Français et Mahorais. Nous pouvons citer Alain- Kamal Martial qui déclare dans le Magazine Tounda que : « Le peuple mahorais est coupé de ses héros, de ses actes de bravoure, de ses références, de ses valeurs essentielles, sans référence aux personnalités significatives de son passé, en nette rupture avec ces acquis humanitaires, son intelligence métissée composée de la philosophie arabo-musulmane, de l’animisme bantu du mutru (l’être), de la philosophie du trumba malgache et des valeurs de la république que Zakia

Madi a défendues le 13 octobre 1976 avant de succomber à l’exaction des autorités7. »

Comprendre l’histoire des Comores, pour mieux comprendre les enjeux psychologiques d’aujourd’hui de ces quatre îles, semble primordiale. Chacune est unique et se démarque à sa façon. Chacune d’elle garde une place particulière au sein de cet espace géographique dans

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l’océan Indien. D’où vient le mot Comores ? En swahili iko moro, c’est un endroit où il y a le feu cela viendrait probablement du volcan du Karthala, qui se trouve au centre de la Grande île et qui mesure 2361 mètres carrés. Le 12 novembre 2006, il est déclaré site du patrimoine mondial de l’UNESCO. En arabe, ce terme djazira (singulier) ou djuzur (pluriel) al-qamar signifie l’île ou les îles de la lune. En effet, le terme komor en langue mahoraise ou qamar en

arabe fait référence à la clarté lunaire des nuages de Magellan8. C’est une galaxie naine qui

compte plus de 30 milliards d’étoiles et au Groupe Local qui est composé d’une trentaine de galaxies dont la Voie Lactée. Cette dernière avec son reflet à la mer sert de repère aux marins. Le mot komor peut toutefois désigner plusieurs appellations : c’est Madagascar ou avec le mot

qumri, c’est une colombe cendrée, ou avec Komari, le parfum de la feuille de bétel, Kumari,

c’est la jeune fille qui est une déesse protectrice de Kanyakumari, une ville se situant dans le sud de l’Inde. Qomr désignerait une île où les indigènes ont un teint clair ou encore les montagnes de la lune en Afrique orientale. Le mot Comores est très exotique et fait rêver, comme une sorte de détour dans un conte de mille et une nuit. D’ailleurs, on retrouve beaucoup de contes à visée éducative, qui racontent une histoire mais au-delà de l’histoire une morale qui développe l’imaginaire des enfants et de belles leçons de vie.

A contrario, Mayotte a une signification beaucoup plus morbide. Les Arabes l’ont

nommée djazirat al-mawt qui désigne « île de la mort » du fait que des navires s’échouaient sur la barrière de corail ou, selon une autre interprétation, les navigateurs faisaient halte pour enterrer leurs morts. Et les Français ont repris le mot mawt, du moins sa prononciation locale

mawuti pour le franciser et nommer l’île Mayotte. Quant aux habitants de l’île, ils sont appelés

les « Mahorais » du nom Maoré, en langue bantoue, les premiers hommes à avoir peuplé l’Archipel. Mayotte était connue par les navigateurs par la dangerosité de ses récifs. Elle continue à être dangereuse pour les embarcations de fortune dites les kwasa kwasa qui partent la plupart du temps d’Anjouan, l’île la plus proche à 50 km de distance. Ces personnes prennent le risque de mourir en mer pour espérer une meilleure vie à Mayotte, devenue depuis 2011 le

101ème département français.

Nous pourrions donc imaginer ces quatre îles sœurs comme représentatives d’une famille, formée d’un couple : le père étant la Grande-Comore et Mayotte, la mère, un pivot central dans la culture comorienne. Les deux enfants étant Anjouan, la grande sœur, l'aînée, qui occupe une place importante, et en dernier lieu, Mohéli, le garçon et le dernier. Dans cette famille, les deux parents ne s’entendent plus, l’épouse décide de quitter son mari sans que ce dernier ne prononce le divorce comme l’exige la religion musulmane. Selon le texte coranique, il est dit : « Ô

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Prophète ! Quand vous répudiez les femmes, répudiez-les conformément à leur période d’attente prescrite ; et comptez la période ; et craignez Allah votre Seigneur. Ne les faites pas sortir de leurs maisons, et qu’elles n’en sortent pas, à moins qu’elles n’aient commis une turpitude prouvée. Telles sont les lois d’Allah. Quiconque cependant transgresse les lois d’Allah, se fait

du tort à lui-même. Tu ne sais pas si d’ici là Allah ne suscitera pas quelque chose de nouveau9 ».

Et selon la tradition musulmane, la femme aurait le droit de divorcer sous certaines conditions : « a. soit elle demande à son mari de prononcer la formule de divorce et le mari le fait ; b. soit

elle lui propose le khul10 : elle lui rend le douaire11 (mahr) qu'il lui avait donné au moment du

mariage (nikâh), et tous les deux mettent fin à leur état conjugal; c. soit elle porte plainte auprès du qâdî (juge en pays musulman) pour un certain nombre de griefs, et celui-ci, après examen du dossier, prononce le divorce (appelé ici tafrîq). Le mari ne peut pas s'y opposer ni faire appel. Parmi ces griefs il y a : coups et blessures, abandon du foyer par le mari, refus de subvenir aux besoins financiers de l'épouse, impuissance sexuelle, présence chez le mari d'une maladie repoussante, etc. ; il y a même comme cause valable une aversion pour le mari entraînant la

décision de ne plus vouloir vivre avec lui… »12

Dans ce récit métaphorique, Mayotte qui symbolise la mère, quitta son époux sans que celui-ci lui donne le talâq, à savoir « le divorce [qui] est permis pour seulement deux fois. Après

quoi vous pouvez soit garder votre épouse avec des égards, soit la renvoyer décemment13. »

Mayotte se rallie à la France, pour fuir les Comores (le mari négligeant et probablement pas à l’écoute des besoins de sa femme). Les deux enfants sont restés avec le père par défaut. Mais la fille aînée a décidé de faire autrement et d’aller bon gré et malgré rejoindre la mère quitte à risquer sa vie (la migration dans les embarcations de fortune). La France serait le nouveau mari de Mayotte qui pourvoit à ses besoins matériels et financiers. Mayotte est amoureuse, le divorce avec les Comores est consommé pour elle. Elle souhaite tourner la page, aller de l’avant, se reconstruire et oublier complètement sa vie d’avant, chose quasi impossible puisque l’ex-mari n’a jamais accepté la séparation, pour lui Mayotte lui appartiendra pour toujours. Le malaise entre eux s’installe et les tentatives de communication entre eux s’avèrent inutiles et inefficaces. Chacun reste campé sur ces positions et le divorce s’est mal opéré, créant des conflits et

9 Cf. Coran, sourate 65, Al-Talâq (Le divorce)

10 Voir Site L’islam en question et en réponse, « La définition du khoul et de son application », il est dit que « la

dissolution consiste à se séparer de sa femme moyennant une contrepartie(financière) » : https : //islamqa.info/fr/answers/26247/la%C2%A0definition-du-khoul-et-son-application

11 Plutôt la dote

12 Voir Site La Maison de l’Islam : « Le recours au divorce est-il accessible à la femme musulmane », en ligne :

https : //www.maison-islam.com/articles/?p=220

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problèmes relationnels. Et comme dans toutes les séparations, ce sont les enfants qui en pâtissent, déchirés entre les deux parents.

Que devient Mayotte aujourd’hui et comment tente-t-elle de s’en sortir avec son histoire douloureuse et manifestement non-réglée ? Comment pourrait-elle se construire sans que le deuil du passé soit totalement fait ? Peut-elle réellement tourner une page définitivement et écrire une nouvelle page de son histoire pour permettre à sa jeunesse de sublimer toutes ses souffrances vécues, cette évolution à deux vitesses, pluriculturelles et plurilinguistiques (avec ses différentes langues : malgache, mahorais, français et autre dialecte swahili).