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Section 3 : L’APPROCHE CONCEPTUELLE DE LA CRÉATION DE VALEUR

1. La création de valeur

1.1. Définition de la création de valeur

La création de valeur est un concept ambigu en raison de la multiplicité des pratiques managériales qui lui sont associées : valeur d'échange, valeur comptable ou économique, valeur partenariale, valeur pour le client, etc. Ainsi que le notent Brechet et Desreumaux (Teller et Hoarau, 2001, p.8) « la valeur, notion régulièrement mobilisée en sciences de gestion, est l’objet d’une pluralité de regards disciplinaires sans réelle lecture fédératrice approfondie ». Cependant, les diverses approches ne connaissent pas toutes le même succès, et certaines sont très éphémères par rapport à d’autres qui semblent plus ancrées dans le management. D’après Hoarau et Teller (2001), les multiples aspects de la création de valeur varient en fonction des différents destinataires de la création de valeur, comme le montre le tableau ci-dessous. (Hoarau et Teller, 2001, p.9).

85 Au sein de cette diversité, certaines approches semblent relever d’un effet de mode tandis que d’autres semblent dominer. Nous remarquons qu’une théorie de l’avantage concurrentiel, issue du domaine stratégique s’affirme. La création de valeur du point de vue concurrentiel c’est « choisir et combiner les activités de façon à créer un avantage concurrentiel » (Hoarau et Teller, 2001, p 14). Nous considérons alors la firme comme compétitrice au sein d’un secteur où évoluent plusieurs firmes : l’entreprise crée alors de la valeur concurrentielle en exploitant les opportunités de l’environnement. Ce modèle postule que toutes les entreprises d’un même secteur ont des ressources homogènes : leurs performances passent par une analyse stratégique du secteur, puis par une définition en conséquence des ressources nécessaires. Pour M. Porter (1986), la valeur concurrentielle se situe au niveau des facteurs clés de succès, c’est-à-dire des avantages qui apparaissent comme réellement compétitifs pour le client, tandis que sa création est fortement liée à des facteurs externes. A partir de ce modèle découlent deux visions distinctes. D’une part, dans le domaine de la finance avec le concept de maximisation de la valeur actionnariale et d’autre part, une logique de maximisation globale de la firme avec la valeur qu’une entreprise peut créer pour tous les partenaires qui l’entourent. Ainsi, la compréhension du concept de création de valeur dépend de la représentation que l’on se fait de l’entreprise et de ses finalités.

1.2. Vers une approche économique de la création de valeur

La vision économique de la création de valeur repose sur la définition de la notion de valeur et de l’objectif de maximisation de cette richesse. C’est ainsi que quelques approches économiques de la valeur (1.2.1) et l’objectif de maximisation de la valeur qui se traduit par une création de valeur (1.2.2) sont exposés.

1.2.1. L’approche économique de la valeur

Selon Gille (2006, p. 8), « la valeur avant d’être issue du rapport d’un sujet à un objet, est

principalement conditionnée par le rapport des sujets entre eux : comment s’articule la valeur portée aux choses et la valeur que l’on porte aux hommes ? ». C’est ainsi que l’auteur

distingue la valeur des choses, de la valeur humaine.

Si la valeur des choses est le fait que des individus veuillent acquérir un bien pour une somme donnée, la valeur humaine quant à elle, se définit comme ce qui est bien, beau, juste et reconnu comme tel dans la société (valeurs morales, éthiques, esthétiques, sociales, etc.). A la différence des sciences sociales qui se réfèrent généralement à une échelle collective de la valeur, l’économie se réfère à une échelle plutôt individuelle (Gille 2006).

86 Toutefois, les économistes ne s’accordent pas sur le mode d’évaluation de la valeur. En effet, les économistes classiques fondent leur approche de la valeur sur les déterminants essentiels des produits. Cette approche est basée sur la valeur réelle des produits et in fine sur la valeur du travail.

A la différence des économistes classiques, le point d’ancrage de la valeur pour les néo- classiques réside dans l’utilité des produits. Cette dernière provient dans ce cas de la satisfaction plus ou moins grande de la consommation des produits par les consommateurs et non des caractéristiques de la production comme le supposent les économistes classiques. Cette approche de la valeur s’oppose à la vision sociale de la valeur que Gille (2006) mobilise dans l’économie d’attribution. Cet auteur oppose donc l’économie d’attribution à l’économie de marché.

L’idée centrale dans l’économie d’attribution est qu’une autorité (religieuse ou politique) gère un système d’attribution des biens. Les biens dans cette économie n’ont pas de valeur d’échange parce qu’ils ne sont pas dans un processus d’échange (Gille, 2006). Les biens sont attribués non pas par un marché, mais par un mécanisme de partage, ce qui correspond dans ce cas de figure à une autorité.

Selon Mankiw et Taylor (2010), l’économie de marché est habituellement l’un des meilleurs modèles d’organisation de l’activité économique. Les auteurs justifient ce choix par l’effondrement du communisme soviétique intervenu pendant les années 1980, basé sur l’économie d’attribution. En effet, la spécificité de ce système économique résidait dans le fait que seul un gouvernement suprême pouvait organiser l’activité économique et promouvoir le bien-être du pays dans son ensemble.

A la différence de ce système de décisions centralisées, l’économie de marché s’appuie sur les décisions de millions de firmes et de ménages (Mankiw et Taylor, 2010).

Selon Mankiw et Taylor (2010, p. 12), l’économie de marché est « une économie qui alloue

les ressources au travers des décisions décentralisées des nombreuses firmes et des nombreux ménages qui interagissent au sein des marchés des biens et des services ». Dans un tel

système, la morale utilitariste suppose que chaque individu ou firme soit à la recherche de sa satisfaction. L’individu cherche à maximiser ses plaisirs tout en réduisant ses peines (Mankiw et Taylor, 2010).

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1.2.2. L’objectif économique de la création de valeur

L’objectif de création de valeur est une déclinaison de la notion de maximisation du profit ou de la valeur en économie de marché.

Sous l’hypothèse d’un marché en concurrence parfaite24

, le problème de la maximisation du profit des firmes sous la contrainte des facteurs de production qu’elles utilisent et des outputs qu’elles produisent devient une préoccupation majeure pour celles-ci (Varian 2011).

La notion de profit en économie est la différence entre des recettes et des coûts. Selon Varian (2011), le système de production mobilisé par une entreprise génère des profits sur plusieurs périodes. Il est nécessaire d’actualiser l’ensemble des flux liés aux différents coûts et aux recettes afin de faire émerger la valeur présente de l’entreprise. Dans une perspective économique, l’ensemble des profits considérés renvoie à la valeur présente de l’entreprise (Varian, 2011).

« La plupart des grandes entreprises sont organisées sous forme de sociétés ; cela signifie

qu’elles appartiennent simultanément à plusieurs individus […] Les parts de propriété de la société sont achetées et vendues sur le marché boursier[…] La valeur boursière correspond à la valeur du flux de profits attendu de la part de la firme[…] » (Varian 2011, p. 390).

Ainsi, l’objectif principal des détenteurs des parts des sociétés, consiste à maximiser la valeur des parts qu’ils détiennent. L’entreprise doit donc maximiser sa fonction de profit afin de satisfaire les attentes de ses propriétaires.

Ce critère de maximisation de la richesse créée a été défendu par les économistes néoclassiques. La création de valeur est ici assimilée à la performance économique de l’entreprise, ainsi, une comparaison pourra être établie entre l’entreprise et ses concurrents (Dherment-Ferere et Bidan, 2007).

Cette vision de la création de valeur s’appuie sur plusieurs hypothèses notamment celles relatives à la concurrence parfaite des marchés, à la rationalité complète des individus et à une absence d’asymétrie informationnelle et de conflits d’intérêts. Toutefois, certaines de ces hypothèses sont remises en cause dans les théories comptables et financières qui s’intéressent à la valeur, notamment les théories contractualistes.

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Cinq hypothèses caractérisent un marché en concurrence parfaite : atomicité du marché, homogénéité des produits, transparence (égalité d’informations des acteurs, gratuité et immédiateté des informations), libre entrée et sortie des acteurs du marché et libre circulation des facteurs de production (capital et travail).

88 1.3. Approches comptables et financières de la création de valeur

Les visions comptables et financières de la création de valeur s’appuient sur les théories contractualistes et supposent l’existence d’asymétrie informationnelle et de conflits d’intérêts entre les dirigeants et les actionnaires. L’entreprise s’apparente à un nœud de contrats et non à « une boîte noire » comme le suggéraient les théories économiques néoclassiques. Lorsque les conflits sont accentués dans la relation contractuelle, l’objectif de maximisation de la valeur devient plus important.

Selon Caby et Hirigoyen (1998, p.8), « le problème de la valeur n’a jamais été éludé par les

financiers mais, pendant longtemps, la pensée financière s’est attachée à estimer la valeur de l’entreprise à partir des seuls documents comptables ». Selon ces auteurs, la vision comptable

et la vision financière de la valeur traduisent deux optiques différentes qui peuvent les opposer. En effet, suivant Caby et Hirigoyen (1998), si la comptabilité fonde son approche d’évaluation de la valeur sur le passé de l’entreprise (valeur patrimoniale, valeur de rendement et goodwill), la finance relève d’une approche projective par l’intégration de la notion du risque (valeur de tout type d’actif). La finance évalue l’entreprise sur la base de l’ensemble des flux présents et futurs générés par les actifs.

Selon Caby et Hirigoyen (1998, p. 12), « le concept de valeur est défini comme la valeur des

flux futurs espérés actualisés au taux de rentabilité exigé. La finance substituera aux notions comptables des capitaux propres, d’endettement et d’actif économique, la notion de valeur de marché des capitaux propres, la valeur de marché de la dette et la valeur de marché de l’entreprise ». Un accent sera également mis sur la distribution de dividende et son influence

sur la valeur de l’entreprise.

Toutefois, si les approches comptables et financières de l’évaluation de la création de valeur sont souvent opposées, les deux approches sont concevables et complémentaires (Caby et Hirigoyen, 1998). En effet, la finance fournit des outils d’analyse pour la comptabilité, de même, la comptabilité est une source d’informations pour la finance (Gillet et Levasseur, 2000). C’est ainsi que les pratiques comptables sont baignées d’exigences financières et les pratiques financières trouvent ainsi certains avantages de la comptabilité. Selon Gillet et Levasseur (2000, p. 715), « […] dans le domaine à la mode de la création de valeur, la

comptabilité apporte une aide considérable à l’analyste financier. La plupart du temps, ce dernier tente de mesurer la valeur créée pour l’actionnaire (Market Value Added - MVA) depuis une date déterminée et ses principaux constituants (Economic value Added – EVA)

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[…] ces deux supports utilisent logiquement comme support, à côté des données boursières, des éléments issus des comptes de l’entreprise ».

La comptabilité et la finance entretiennent toujours une interface importante, mais non exclusive. Elles se développent de manière indépendante tout en conservant des côtés adjacents (Gillet et Levasseur, 2000).

Les deux approches (comptabilité et finance) peuvent servir à l’évaluation de la création de richesse actionnariale d’une organisation, d’autant plus que les normes comptables internationales intègrent la notion de juste valeur. En effet, le cadre conceptuel des normes comptables internationales vise à remplacer l’approche comptable traditionnelle basée sur les coûts historiques par une approche plus financière basée sur la juste valeur (Fair value).

Les indicateurs comptables et financiers

Plusieurs indicateurs sont définis dans la littérature pour mesurer la création de richesse des entreprises. Selon Quiry et Le Fur (2001), la création de valeur fait suite aux notions de profit et de rentabilité qui se sont développées respectivement en 1985 et 1995 en France.

Figure 20 : Evolution des indicateurs comptables et financiers

(Adapté du travail de Grégory HEEM, 2007)

Les indicateurs de création de valeur actionnariale vont au-delà des notions de profit, de rentabilité ou de performance (Stern et al. 1996). En effet, les indicateurs financiers de

Profit Rentabilité Valeur - Résultat net - BPA - EBIT - EBITDA - ROE - ROA - ROCE - CFROI - EVA - MVA - TSR - PBR

90 rentabilité, de profit et de performance ne prennent pas en compte la notion de risque. Ils mesurent les performances sur des opérations passées, ce qui n’est pas le cas des indicateurs de création de valeur qui tiennent compte des anticipations.

C’est ainsi que la COB (2001) distingue deux catégories d’indicateurs : les indicateurs de mesure de la valeur boursière et les indicateurs de performance ou de gestion. Sans être exhaustive, cette institution distingue trois indicateurs de mesure de la valeur boursière : le retour sur investissement (TSR = Total shareholder return), la valeur ajoutée de marché (MVA = Market value added) et la valeur marchande sur la valeur comptable des fonds propres (PBR = Price to book ratio).

La deuxième catégorie d’indicateurs est constituée des indicateurs de gestion ou de mesure de la performance : la valeur ajoutée économique (EVA= Economic value added), la rentabilité des flux de trésorerie investis (CFROI= Cash-flow return on investment) et des différentes ratios de rentabilité (économique, financière et des actifs comme le ROA et le ROE).

Fernandez (2006) considère que les indicateurs traditionnels servent principalement à mesurer la performance spécifique du dirigeant. C’est ainsi qu’il met en œuvre une nouvelle mesure de la création de valeur actionnariale. Pour cet auteur, une entreprise crée de la valeur lorsque les prévisions de performance sont dépassées (cf. Figure 21).

Figure 21 : Définition de la création de valeur selon Fernandez (2002, p. 4)

Valeur de marché des capitaux propres

Evolution de la valeur de marché

La valeur ajoutée actionnariale

Rendement actionnariale

Rendement exigé sur capitaux propres

91 Selon Fernandez (2002), la création de valeur actionnariale est différente de la valeur ajoutée actionnariale ou du retour sur investissement. La création de valeur constitue le résidu de la valeur ajoutée actionnariale au-delà de la valeur de marché des capitaux propres.

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