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2.6 - Création du calculateur en ligne CREp (crep.crpg.cnrs-nancy.fr)

Les études proposant des nouveaux taux de production sont utiles car elles font progresser notre compréhension des processus de production et améliore la précision de la méthode. Cependant, au cours des 10 dernières années, les articles présentant de nouvelles calibrations ont paru à un rythme important, ce qui n’a pas permis de prendre en compte ces progrès empiriques dans les modèles physiques décrivant la variation des taux de production en fonction de l’altitude et de la latitude e.g. (Borchers et al. 2016). Cette situation a engendré une certaine confusion, car tous les chercheurs utilisant les nucléides cosmogéniques ne disposent pas d'outils numériques universels pour intégrer ces mises à jour. Aussi, les âges « cosmogéniques » publiés ne tiennent pas toujours compte des derniers progrès, ce qui empêche parfois des comparaisons fiables entre les différentes chronologies publiées.

Pour remédier à ce problème, j’ai initié et développé, dans le cadre de la thèse de mon étudiant Léo Martin, la création d’un nouveau calculateur en ligne, CREp (Cosmic-Ray Exposure program ; crep.crpg.cnrs-nancy.fr ; Martin et al., QG, 2017), qui prend en compte les modèles physiques les plus fiables pour la correction spatiale des taux de production des nucléides cosmogéniques (Fig. 3.13). L'innovation majeure sur laquelle repose CREp est de communiquer en temps réel avec une base de données ICE-D (http://calibration.ice-d.org/) qui contient toutes les informations objectives (âges indépendants, nature des échantillons, coordonnées spatiales, concentrations en nucléides cosmogéniques) relatives aux sites de calibration des taux de production publiés. Ainsi, tous les sites de calibration peuvent être pris en compte dans le calcul d’un âge d'exposition. J’ai créé cette base de données en ligne, ICE-D, en collaboration avec un chercheur de Berkeley, Greg Balco. Nous prenons soin de la mettre régulièrement à jour en y ajoutant les nouvelles données, que ma position d’éditeur du journal Quaternary Geochronology me permet de suivre facilement. CREp permet donc de faire des mises à jour rapides en intégrant les progrès les plus récents sur le calcul des âges d’exposition, à l'instar des outils en ligne utilisés pour la calibration du 14C (e.g. c14.arch.ox.ac.uk/).

Figure 3.13 - Gauche : Carte mondiale présentant les sites de calibration disponibles dans CREp. Droite : Taux de production 10Be dans CREp-ICE-D (Martin et al., QG, 2017)

Grâce à cet outil, nous avons la possibilité d’évaluer la dispersion statistique de tous les sites naturels de calibration, et de tester l’impact des facteurs géographiques, ceci étant un diagnostic de la fiabilité des facteurs de correction spatio-temporels. En utilisant CREp, nous avons ainsi recalculé tous les taux de production de manière uniforme, nous les avons normalisé au niveau de la mer et aux hautes latitudes, et enfin rechercher d’éventuelles biais ou tendance. Si on met de côté un outlier pour un site donnant un P3 = 170 at/g/an, il n’y a aucune corrélation claire suggérant que le modèle LSD est affecté par un biais, que ce soit pour l’3He ou le 10Be. Le même constat est vrai pour le facteur de correction Lal/Stone-Time dependent. La dispersion obtenue pour les deux modèles (LSD et Lal/Stone) est statistiquement identique, ce qui signifie qu’en l’état actuel des données de calibration disponibles, aucun des deux modèles ne peut être considéré comme plus fiable que l’autre (Fig. 3.14 et 3.15).

Figure 3.14 – Synthèse mondiale de la base de données exhaustive des calibrations des taux de production calibrés pour l’3He (encodés dans ICE-D) et leur relation avec la latitude, l’altitude et l’âge. L’ajustement au niveau de la mer et haute latitude est réalisé avec CREp (Martin et al., QG, 2017) et le schéma LSD

(Lifton et al., 2014)

Cependant, il est possible que les P10 calibrés en haute latitude (70°N) soient plus faibles que la moyenne, mais il faut rester prudent, car le nombre d’observations est faible (n = 2), et aussi parce que la cause peut être géomorphologique, au sens où cette région peut être affectée par davantage de couverture neigeuse que les autres. Il y a aussi semble-t-il quelques régions dans les Tropiques, en basse altitude, notamment au Cap Vert, qui donnent des P3 en dessous de la moyenne mondiale, mais d’autres données devront être produites pour déterminer si cette anomalie régionale est réelle, et si c’est le cas, établir sa cause : anomalie de pression atmosphérique ou de champ magnétique non pris en compte dans les modèles actuels.

Il est important d’apporter de nouveaux sites de calibration à cette base de données, non seulement pour ces régions qui semblent atypiques, mais aussi pour les régions peu documentées, comme l’Asie ou l’Afrique.

Figure 3.15 – Synthèse mondiale de la base de données exhaustive des calibrations des taux de production calibrés pour le 10Be (encodés dans ICE-D) et leur relation avec la latitude, l’altitude et l’âge. L’ajustement au niveau de la mer et haute latitude est réalisé avec CREp (Martin et al., QG, 2017) et le

schéma LSD (Lifton et al., 2014)

Depuis 2017, CREp a déjà été utilisé par plus de 4000 scientifiques du monde entier (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Allemagne, Nouvelle-Zélande, Suisse, Suède, Norvège, Chine), pour plusieurs dizaines de milliers d'âges calculés. Chaque mois, près de 60 scientifiques utilisent ce calculateur. Cette audience est un succès compte tenu de la taille de la communauté des géochronologues utilisant ces outils. Les discussions dans les congrès et les emails que je reçois témoignent d'ailleurs de la popularité de CREp dans la communauté internationale. L'article présentant le calculateur (Martin et al., QG, 2017) fait partie des 2% les papiers les plus cités dans son domaine, avec en moyenne 30 citations par an.

Je suis persuadé que ce type d'outil collaboratif et universellement accessible peut engendrer des progrès substantiels pour la communauté scientifique, tant pour la fiabilité que pour la précision des méthodes de datation. Dans mon projet de recherche, je propose de poursuivre le développement de ces outils numériques pour effectuer une méta-analyse des données et résoudre des questions majeures en paléoclimatologie, comme les mécanismes globaux de la dernière déglaciation.

2.7 - Développement des nucléides cosmogéniques pour tracer l’érosion et les