• Aucun résultat trouvé

Cas particulier d’une érosion nulle : datation des surfaces

2.6 - Équations de production et applications géomorphologiques

2.6.1 Cas particulier d’une érosion nulle : datation des surfaces

Dans le cas où il est possible d’échantillonner une surface ne présentant aucune trace d’érosion (e ~ 0 cm.a-1) alors l’équation (4) peut être simplifiée. Sous réserve de connaître le taux de production local en surface (P0n + P0µs + P0µf), il devient possible de calculer le temps d’exposition t à partir de la mesure de C(t) :

𝐶(𝑡)=!!"" !!#$"!!#%

$ &1 − 𝑒%$&* (5)

Il est primordial de réaliser une bonne analyse géomorphologique de l’objet à dater, afin de s’assurer que la dénudation a été nulle et que l’exposition de l’échantillon à la surface a été ininterrompue, sans aucun recouvrement par des alluvions ou des cendres. De ce point de vue, les coulées volcaniques cordées ou les stries de polis glaciaires au sommet d’un bloc pluri-métrique sur une

Si le temps d’exposition est très long (> 5 Ma dans le cas du 10Be), la décroissance radioactive du nucléide mesuré peut engendrer une saturation, même en l’absence de dénudation. Dans ce cas, la concentration 𝐶&→( tend vers P/l. Il est alors seulement possible de déterminer une durée minimum d’exposition (Fig. 2.11).

Figure 2.11 – Évolution de la concentration en fonction du temps dans le cas d’une surface non érodée, pour des nucléides cosmogéniques de demi-vies différentes. Pour les âges supérieurs à quelques millions d’années, seuls les gaz rares (3He et 21Ne) permettent d’obtenir un âge d’exposition

unique (si la dénudation est nulle). Figure tirée de (Gosse and Phillips 2001)

Pour dater l’âge de mise en place des plus vieux paysages du monde, comme en Atacama (25 Ma, Dunai et al., 2005) ou dans la Dry Valley en Antarctique (10 Ma, Schäfer et al., 1999) il a été nécessaire d’utiliser le 21Ne, un gaz rare non radioactif.

2.6.2 Cas particulier de l’état stationnaire : t >> 1/(l+re/L) : mesure des taux d’érosion

Quand une surface géomorphologique est soumise à la dénudation de manière continue pendant un temps suffisamment long (t >> 1/(l+re/L)), le système arrive à l’état stationnaire vis à vis de la dénudation (Fig. 2.10). En d’autres termes, la concentration 𝐶&→( ne varie plus avec le temps et atteint une valeur plateau qui est inversement proportionnelle à la dénudation. Dans ce cas, la concentration mesurée dans un échantillon de surface peut être utilisée pour déterminer la dénudation qu’il a subi à l’endroit où il se trouve, selon :

𝐶(𝜀)=

*" $' &"3)

+

*() $' &()3)

+

*(* $' &(*3)

(6)

Dans le cas d’un sable de rivière, les conditions de l’état stationnaire sont en général satisfaites dans toutes les zones i du bassin versant (t >> 1/(l+rei/L)). L’analyse d’un échantillon de quelques grammes de sable drainé par une rivière, comporte des millions de grains, chacun étant représentatif d’une dénudation ei, soumise à un taux de production spécifique (Pni, Pµsi et Pµfi) à chaque point i du bassin versant (Fig. 2.12).

Figure 2.12 - Principe de mélange du signal cosmogénique dans un bassin versant soumis à des conditions d’érosion spatialement hétérogènes. Modifiée, à partir de (von Blanckenburg 2005).

Chaque région i contribue à alimenter la rivière avec du matériel de concentration Ci selon le flux spécifique ei et la concentration moyenne de l’échantillon de sable, Cmoy. Si la production pendant le transport peut être négligée, ce qui est très souvent le cas, alors la concentration moyenne Cmoy

mesurée dans la rivière est une moyenne pondérée de la contribution de chaque sous unité du bassin versant, selon :

𝐶)*+ =&-&.&

&.& (7)

Si l’érosion est suffisamment élevée pour que rei/L >> l en tout point du bassin versant, il est possible de négliger la décroissance radioactive et d’utiliser l’équation (6) pour substituer les ei par Ci

dans l’équation (7) (Bierman et al, 1995). Après quelques simplifications, on obtient (Lupker et al., 2012) :

𝜀)*+= /

0-'()1𝑃.1+ Λ23𝑃.23+ Λ24𝑃.24* (8)

où 𝑃.1, 𝑃...23 et 𝑃.24 sont les moyennes arithmétiques des taux de production mesurés dans chaque zone exposée i du bassin versant. Il faut noter que la détermination de ces facteurs de production requiert idéalement un modèle numérique de terrain suffisamment précis du bassin versant, ainsi que des données spatialisées particulières, comme la carte géologique avec les lithologies du minéral analysé (quartz dans le cas du 10Be, olivines/pyroxènes dans le cas de l’3He) ou l’extension des couvertures glaciaires ou neigeuses (le taux de production étant nul dans ces zones). Ces calculs peuvent être fastidieux ; ils requièrent la mise en œuvre d’approches numériques qui peuvent être complexes, comme les systèmes d’information géographique (SIG) (ArcGIS® ou Q-GIS). Afin de simplifier cet exercice, mon collègue Julien Charreau et moi avons développé l’outil numérique Basinga, plug-in utilisable sous ArcGIS® et QGIS (Charreau et al., 2019). Il permet d’intégrer et de calculer directement les taux de production en intégrant informations géologiques, géomorphologique et de tester le poids des différentes hypothèses sur les dénudations calculées (ex : présence/absence de glace).

Notons que la condition rei/L >> l est importante : si certaines zones du bassin versant ne la satisfont pas, elles seront sous représentées dans le bilan. Ce point est une des limites à l’utilisation du

14C pour déterminer la dénudation d’un bassin versant : e doit être supérieur à 1 mm/a. Dans le cas des cratons (Afrique, Canada) ou des zones de plateau soumises à de faibles dénudations (Tibet, Atacama), le 10Be est aussi limité, pour la même raison. Quand les taux de dénudation sont inférieurs à 0.1 mm/ka (ou m/Ma), il est préférable d’utiliser un nucléide stable, comme le 21Ne ou l’3He.

Il est important de noter que la durée pendant laquelle le taux d’érosion em est moyennée (Ting) par un nucléide cosmogénique est inversement proportionnelle au taux d’érosion lui-même :

Ting = L/(re) (9)

Cette propriété indépassable est une des limites de la méthode et explique que, d’un contexte géomorphologique à l’autre, la résolution temporelle des nucléides cosmogéniques est très variable : elle est de moins de 100 ans dans les zones où l’érosion est forte (>1 cm/a), mais elle atteint 1 Ma dans les zones à érosion faible (<1 mm.ka-1) (Fig. 2.13). Toute modification de la dénudation selon une période inférieure à Ting est donc moyennée et lissée dans le signal exporté par le 10Be.

Figure 2.13 - Notion de temps d’intégration en fonction du taux de dénudation mesuré et complémentarité des nucléides cosmogéniques par rapport aux autres thermo-chronomètres et aux phénomènes

géologiques étudiés (von Blanckenburg 2005)

La capacité des nucléides cosmogéniques à déterminer des taux d’érosion dans un bassin versant a révolutionné la géomorphologie quantitative. Au tournant des années 2000, le 10Be dans les quartz des sables de rivière est devenu un outil incontournable, fréquemment utilisé pour documenter les taux de dénudation actuels dans la plupart des contextes géomorphologiques (e.g. Octopus database (Codilean et al. 2018)).

Dans mes recherches, j’ai toujours essayé de repousser les limites de cette méthode (limites de détection, granulométrie <100 microns) pour l’appliquer dans le passé lointain et ainsi reconstruire les taux de dénudation au cours des temps géologiques, avec le 10Be et le 21Ne. Les objectifs scientifiques motivant ces développements sont importants car il s’agit de progresser sur des mécanismes encore mal compris, en documentant et en analysant la réponse de la dénudation à la tectonique, mais surtout aux variations climatiques, à l’échelle des temps géologiques (10 à 0 Ma) comme à celle des cycles glaciaires-interglaciaires qui rythment avec une période de 100 ka les derniers millions d’années (Thèse de N. Puchol, 2013, A. Mariotti, 2020, Post Doc de S. Molliex 2019, Projet ANR EroMed).