• Aucun résultat trouvé

2.2 - Amélioration des méthodes d’analyse des gaz rares cosmogéniques

2.2.1 Correction des composantes non cosmogéniques de l’3He et du 21Ne

L’analyse des gaz rares cosmogéniques (3He, 21Ne) est confrontée au fait que ces isotopes sont stables : ceci implique que les minéraux analysés comportent aussi de l’3He (et du 21Ne) issus d’autres processus que les réactions avec les particules cosmiques. Ainsi, de l’3He (et du 21Ne) peuvent être accumulés dans les inclusions fluides et solides (3He et 4He magmatiques), à la surface des minéraux (3He et 4He atmosphériques) ou être produits par des processus nucléaires dans la matrice minérale (4He radiogénique issus de U, Th et 3He nucléogéniques, par capture neutronique sur le 6Li). Depuis ma thèse, j’ai développé plusieurs méthodes et exploré de nouveaux concepts pour rendre plus fiables ces corrections d’3He (et de 21Ne) non cosmogéniques et réduire ainsi les incertitudes associées.

En 1986, Mark Kurz a découvert l’3He cosmogénique dans les échantillons terrestres. Il a pour cela développé une méthode en deux étapes, basée sur un broyage préliminaire, qui extrait de manière préférentielle l’hélium magmatique, avant une fusion totale pour extraire l’3He cosmogénique (Kurz 1986b). Cependant, plusieurs scientifiques ont par la suite remis en cause l’intégrité de cette méthode, suggérant qu’elle pouvait aussi libérer la composante cosmogénique et engendrer une sous-estimation de la concentration en 3He cosmogénique e.g. (Hilton et al. 1993; Yokochi et al. 2005). J’ai donc travaillé sur la caractérisation de ce mécanisme en menant des expériences de broyage séquentiel dans l’ultra vide (Blard et al. 2006) à des températures comprises entre 25 et 325°C (Blard et al., 2008). Mes

expériences ont montré que ces fuites d’3He cosmogénique ne sont pas systématiques et dépendent du broyeur.

Avant

filtrag

Après filtrage

En 2016, dans le cadre du stage de master de Marie Protin, nous avons fait des progrès substantiels en réalisant une expérience qui a remis en cause un vieux postulat de la géochimie des gaz rares (Protin et al. 2016), à savoir que l'hélium ne peut en théorie pas être adsorbé en quantités détectables à la surface des échantillons géologiques silicatés (Niedermann and Eugster 1992). Ce postulat n’avait jamais été testé par des observations empiriques. Nos expériences conduites sur des fractions granulométriques variables (5 fractions de <50 µm à > 300 µm) d’olivines donnent des résultats très clairs : en analysant les compositions isotopiques (3He/4He) et élémentaires des échantillons sous ultra-vide après chauffage à différentes températures (600 et 1300°C), nous avons mis en évidence que les échantillons de granulométrie inférieure à 120 µm sont contaminés par de l'hélium atmosphérique. La magnitude de cette contamination étant corrélée à la surface spécifique, cette observation signe très probablement un processus d'adsorption de surface (Protin et al. 2016). Néanmoins, comme le chauffage à 600°C n'a pas été suffisant pour extraire la totalité de l'hélium atmosphérique, le processus impliqué suggère la mise en jeu d'une « microporosité » de sub-surface engendrant un piégeage quasi-irréversible. Nous avons appelé ce phénomène encore mal compris l'effet « casier à langouste » (« Lobster pot

trapping ») : l'hélium atmosphérique est facilement adsorbé à la surface des silicates, mais il faut une

énergie bien supérieure aux forces de Van der Waals pour le désorber. Même s’il faut d’autres expériences pour comprendre les mécanismes sous-jacents à ce phénomène, ce résultat inattendu a des implications majeures pour l'analyse de l'hélium dans de nombreux échantillons géologiques et permettra d'améliorer la fiabilité des datations par l'3He cosmogénique. Avec cette mise à jour conceptuelle, nous avons réinterprété les données précédentes sous un nouvel angle : la contamination en hélium atmosphérique, inconnue à l’époque, avait engendré une surestimation de la correction d’3He magmatique (Blard et al. 2006). Cette révision du mécanisme observé (contamination par adsorption plutôt qu’une perte de l’3He cosmogénique par broyage) aboutit cependant au même résultat, une sous-estimation de la concentration réelle en 3He cosmogénique, et implique les mêmes recommandations : ne pas analyser l’3He dans une fraction fine et privilégier les grains supérieurs à 100 microns (Protin et al. 2016).

Par la suite, dans le cadre de la thèse de Nicolas Puchol (Puchol et al. 2017), nous avons montré que les minéraux de diamètre supérieur à 400 microns contiennent davantage d’hélium magmatique que les phénocristaux plus petits, augmentant la correction d’3He magmatique et l’incertitude finale associée (Fig. 3.5). En tenant compte de ces deux impératifs, je propose donc de définir une « fenêtre

granulométrique » de 100-400 µm idéale pour analyser l’3He cosmogénique dans les olivines et les pyroxènes (Blard, in prep).

Figure 3.5 – Modélisation de l’incertitude totale sur l’3He cosmogénique due à la correction d’3He magmatique, en fonction de la proportion d’hélium magmatique.

Une autre de mes contributions notables pour l’analyse de l’3He cosmogénique a aussi été de souligner l’importance de la prise en compte de l’4He d’origine radiogénique, i.e. celui qui est issu de la décroissance de l’235U, l’238U et du 232Th présents dans les minéraux, ou la lave dans laquelle ils ont refroidi. Lors de mon Post Doc au Caltech, nous avons proposé différentes stratégies pour prendre en compte le 4He radiogénique et minimiser l’impact de cette correction dans différentes configurations (Blard and Farley 2008). Pour tenir compte de la production d’4He radiogénique avec fiabilité, et donc pour éviter de sous-estimer l’3He cosmogénique, il faut au minimum analyser les concentrations en U et Th des grains et de la lave, ou, à défaut, supprimer la zone d’implantation-éjection des particules d’4He, soit les 20 microns extérieurs des grains (Bromley et al. 2014). Il faut aussi connaître l’âge de refroidissement de la roche, qui est l’âge d’éruption dans le cas d’une lave.

Enfin, j’ai aussi développé une autre technique pour éviter l’étape de broyage pour déterminer le rapport 3He/4He magmatique. Cette technique, dite « isochrones 3He-4He » consiste à analyser directement par fusion les concentrations en 3He et 4He de plusieurs aliquots (n> 4) du même échantillon à dater (Blard and Pik 2008). Dans l’espace 3He/4He vs 1/4He, les données s’alignent sur une droite isochrone, du fait de la variabilité interaliquot de la concentration en hélium magmatique (Fig. 3.6). L’ordonnée à l’origine donne le rapport 3He/4He magmatique pur tandis que la pente donne la concentration en 3He cosmogénique (après correction de l’influence du 4He radiogénique). Notons que cette correction d’4He radiogénique ne peut être réalisée que si sa contribution est identique dans chaque aliquot, sans quoi, elle peut varier indépendamment de celle de l’hélium magmatique, et générer une sur-dispersion des données, rendant impossible la définition d’une isochrone (erreur-chrone). La technique des isochrones fonctionne donc mal pour le matériel détritique des rivières qui peuvent drainer et mélanger des olivines et des pyroxènes ayant des âges de refroidissement différents, et donc des

concentrations variables en 4He radiogénique. En revanche la technique des isochrones fonctionne très bien pour dater des coulées de laves non érodées d’âge compris entre quelques ka et 1 Ma. Elle offre une alternative fort utile lorsque l’échantillon est pauvre en hélium magmatique (4He < 10-13 mol/g) et n’est pas favorable à une analyse du rapport 3He/4He magmatique par broyage (Marchetti et al. 2020).

Figure 3.6 - Schéma théorique montrant le principe des isochrones 3He-4He, dans le cas d’un échantillon a) sans 4He radiogénique et b) avec une accumulation significative d’ 4He radiogénique (Blard and Pik

Sur l’invitation d’un éditeur de Chemical Geology, je termine en ce moment la rédaction d’un article de review présentant une synthèse à jour de tous ces progrès méthodologiques sur l’3He cosmogénique.

2.2.2 Conception et brevet d’un nouveau four à induction entièrement en métal

Avec Laurent Zimmermann, ingénieur d'étude de la plateforme gaz rares du CRPG, nous avons créé et mis au point un nouveau four à induction. L’avantage de ce four à induction en métal est sa capacité à porter très rapidement des échantillons de taille conséquente (10 mg à 2 g) à des températures de l'ordre de 1500 à 2000°C, tout en préservant les conditions de l'ultra vide (< 10-7 mbar) (Fig. 3.7). Avec sa vitesse de chauffage plus élevée, notre four a aussi des blancs (blanc = bruit de fond) en He, Ne et Xe plus bas que ceux des autres systèmes de chauffage. Nous avons publié cette invention dans le journal Chemical Geology (Zimmermann et al. 2018) et déposé un brevet. Les droits de ce brevet ont été acquis par l'entreprise Cryoscan dans le cadre d’un partenariat avec le CNRS. Cryoscan vient de réaliser, avec notre collaboration, le premier prototype du four qui sera commercialisé en 2021 (Fig. 3.7).

`

Figure 3.7 - Plan et photo du four à induction à enceinte métallique pour l'analyse des gaz rares, que nous avons mis au point et breveté avec Laurent Zimmermann en 2016 (Zimmermann et al., CG, 2018) (Brevet

FR3056713 INPI – Zimmermann-Blard, CNRS)

2.2.3 Comparaison inter-laboratoires et calibration des standards pour l’3He et le 21Ne

Pour évaluer la fiabilité (justesse et précision) des analyses, il est important de disposer de points de repère avec des matériaux standards bien caractérisés. Dans ce but, notre plateforme gaz rares a piloté et participé à des calibrations internationales en aveugle. Ces exercices consistent à analyser l’3He et le

21Ne dans les mêmes échantillons de minéraux standards, dans différents laboratoires. Cela nous a permis d'évaluer la variabilité inter-laboratoires des abondances en gaz rares mesurées dans différents systèmes d'analyse (inférieure à 3% à 1s pour l'3He) et de proposer des valeurs de référence pour les standards CRONUS-A et CRONUS-P (Fig. 3.8 ; Blard et al., 2015; Schaefer et al., 2016; Vermeesch et

analytique mesurant des abondances de gaz rares, il est plus simple et plus fiable d'utiliser ces standards minéraux, plutôt que d'utiliser un standard de gaz.

Figure 3.8 – Comparaison inter-laboratoire de l’3He du pyroxène standard CRONUS-P (Blard et al., 2015)

Avec Laurent Zimmermann et Jean Duprat (IN2P3), nous travaillons en ce moment à la conception et à la validation de standards solides artificiels créés en utilisant un accélérateur de particules pour implanter des quantités connues de gaz rares dans des feuilles de métal (Projet MITI CNRS SANTARD 2020-2021, PI PH Blard).

2.2.4 Développement de l’analyse du 21Ne cosmogénique au CRPG

Je tiens aussi à noter que j’ai développé l’analyse du 21Ne cosmogénique au CRPG (Balco et al. 2019; Sartégou et al. 2020; Vermeesch 2015) et que notre laboratoire est, pour le moment, le seul à mesurer cet isotope cosmogénique en France. Le 21Ne étant comme le 10Be mesurable dans le quartz, sa stabilité nucléaire en fait un nucléide complémentaire idéal du 10Be, qui est lui radioactif, avec une demi-vie de 1.39 Ma. Le couple 10Be-21Ne est un chronomètre qui permet de dater des dépôts sédimentaires sur des périodes allant jusqu’à 20 Ma (Sartégou et al. 2018).