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3. CHAPITRE III

3.3. Les revendications de la Cour itinérante

3.3.2. La Cour itinérante face au ministère de la Justice : la proposition de réforme

Le 18 juin 1986, Jean-Charles Coutu écrit une longue lettre au sous-ministre de la Justice, Daniel Jacoby, lui expliquant les nombreux problèmes caractérisant l’application de la justice au nord du 49e parallèle. Le juge Coutu annonce même que les revendications que présenteront

l’administration judiciaire nordique pour améliorer la situation sont susceptibles d’affecter les dispositions de la Convention de la Baie James118. Comprenons alors que le modèle

d’autochtonisation de la justice de 1975 est remis en question : le juge insiste d’ailleurs pour rencontrer les responsables du ministère de la Justice et du Solliciteur général à ce sujet119. Mais

devant l’inaction du ministère, les membres de la Cour itinérante soumettent en août 1986 leur

Document de réflexion120. En plus des problèmes de la Cour, le document dénonce le manque de

services globaux au Nord :

[…] l’intervention de l’appareil judiciaire en milieu nordique […] se limite à l’approche traditionnelle de judiciarisation et à des conséquences en termes de sentence tels qu’amende, emprisonnement ou probation. Il faut constater que les ressources spécialisées pour le traitement de toxicomanie ou d’autres formes de problèmes particuliers sont à peu près inexistantes dans l’ensemble du territoire, de sorte que l’approche judiciarisante et pénalisatrice est à peu près la seule applicable121.

Le document souligne le risque de voir « […] une démotivation complète des intervenants et d’une détérioration rapide des services et de nos relations avec les autochtones »122. Il est urgent, répète-

t-on, de normaliser les rapports entre les Autochtones et le système judiciaire et d’établir des centres d’administration de la justice permanents dans les chefs-lieux du Nord. On insiste sur la nécessité de conduire des recherches comparatives avec la justice nordique dans l’optique où l’on croit que

118 BAnQ (P277-S3-SS4-D2), Lettre de Jean-Charles Coutu à Daniel Jacoby, 18 juin 1986.

119 Ibid; et BAnQ (P277-S3-SS4-D2), Lettre de Jean-Charles Coutu aux sous-ministres et sous-ministres associés, 21

juillet 1986.

120 BAnQ (P277-S3-SS7-D2), La Cour itinérante du district judiciaire d’Abitibi, Document de réflexion, soumis aux

autorités du ministère de la Justice du Québec, écrit en juin 1986 (plan de travail), envoyé en août 1986.

121 Ibid., p. 12. 122 Ibid.

« [l]e Québec devra rattraper un certain retard de ce côté »123. Ainsi, deux ans après la Northern Conference, les fonctionnaires n’ont déjà plus l’impression de se tenir à l’avant-garde du pays.

Or, la réforme dépend dorénavant d’une décision politique émanant du gouvernement. Mais pour les membres de la Cour itinérante, cette réforme est aussi conditionnelle à l’accord des autorités nordiques. Le Document de réflexion stipule que : « [l]es autorités politiques du Gouvernement doivent rencontrer les représentants des administrations autochtones afin de leur demander s’ils souhaitent le maintien de notre système d’administration judiciaire sur leur territoire […] »124. En cela, les fonctionnaires considèrent les autorités autochtones davantage comme des

instances souveraines que comme des municipalités récipiendaires de services. La même idée se dégage de la correspondance privée que rédige au même moment le juge Jean-Charles Coutu. Celui-ci demande au ministère de la Justice de respecter la validité des règlements municipaux votés par les conseils de bandes. Il spécifie que cette mesure doit s’inscrire dans une volonté de collaboration entre le procureur général et les autorités locales autochtones :

Si les Procureurs de la Couronne collaborent à la poursuite des infractions aux règlements, il s’établira certainement un climat de confiance, de collaboration et d’échange entre les peuples autochtones et le système officiel de justice. Que le système officiel des ‘‘blancs’’ aide et contribue à mettre en vigueur les décisions ‘‘politiques’’ (faire des lois est une gestion politique) des communautés autochtones, m’apparaît une occasion privilégiée d’amorcer et d’assurer un dialogue permanent en matière d’administration de la justice. Les policiers autochtones cesseraient d’être les serviteurs du seul système des ‘‘blancs’’, car les ‘‘blancs’’ seraient associés à leur propre démarche de législateur autochtone125.

Pour le juge, si la Cour ne veut pas « subir le même sort » que les magistrats du Nord du Manitoba expulsés d’une réserve en 1986, la situation doit s’améliorer dans les plus brefs délais126.

123 Ibid., p. 43.

124 Ibid., p. 46.

125 BAnQ (P277-S3-SS4-D2), Jean-Charles Coutu, « Les procureurs de la Couronne et les By-Laws », 7 octobre 1986,

BanQ, Logistique de la Cour itinérante.

126 Bob Cox, « Northern Manitoba natives demand better justice system », National, septembre 1986, [s.p] ; BAnQ

Dans cette optique, en septembre 1986, les membres de la Cour itinérante et les représentants du ministère de la Justice et du ministère du Solliciteur général créent le Comité conjoint d’études sur l’administration de la justice en milieu autochtone. Avec, cette fois, le temps et les moyens de réaliser son mandat, le Comité remet des recommandations formelles trois mois plus tard. Celles- ci sont du même ordre que celles de la Réflexion du mois d’août, quoique les fonctionnaires insistent davantage sur la nécessité de construire une relation de confiance avec les communautés. Notamment, le Comité réitère au ministère de la Justice qu’il lui incombe d’approuver les initiatives de comités de justice inuit, de créer un comité de concertation, de signer une entente renouvelable et de débloquer des budgets pour le Sapuulutait127. Le rapport du Comité est remis en

novembre 1986 auprès du sous-ministre de la Justice, Daniel Jacoby et du sous-solliciteur général, Robert Diamant, à Québec. Le projet reçoit une approbation de fait. L’administration judiciaire doit dorénavant obtenir l’appui du Conseil des ministres.