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2.1 Généralités

La réaction de couplage entre les curares et les protéines porteuses repose sur l’activation préliminaire du groupement carboxyle des dérivés de curares par un agent de couplage, l’EDC (1-éthyl-3-(3-diméthylaminopropyl)carbodiimide), permettant dans un second temps le couplage lui-même avec les groupements amines de la BSA/HSA ou de la KLH (Figure 11). Un lien amide covalent stable est alors obtenu entre le curare et la protéine. Un agent stabilisant, du sulfo-NHS (N-hydroxysulfosuccinimide), a été utilisé lors de la phase d’activation du groupement carboxyle. Pour permettre les réactions de couplage, les calculs d’équivalent ont été effectués à partir de la protéine porteuse, en prenant en compte la présence de 58 et 59 lysines sur la BSA et l’HSA. Ainsi, une réaction de rocuronium-COOH a 3 équivalents aura pour une molarité X de BSA une molarité de rocuronium-COOH 58 * 3 * X.

Figure 11 : Schéma de la réaction de couplage amine-ester [153].

2.2 Couplage protéique du rocuronium-COOH

Les premières réactions de synthèse de rocuronium-COOH puis de couplage avec de la BSA et de la KLH ont été réalisées par Caitlin Gillis alors qu’elle était étudiante en thèse dans l’unité. Son premier conjugué a été préparé avec un protocole contenant 11 équivalents de rocuronium-COOH par molécule de BSA (rocuronium(« 11eq »)-BSA). Celui-ci m’a permis de débuter les analyses de présence d’IgG anti-rocuronium dans les sera des patients de l’étude NASA (Figure 12A). Malheureusement, à ce stade, nous n'avions pas pu mesurer le nombre de molécules couplées par protéine porteuse. La réaction réalisée par Caitlin Gillis initialement n’a jamais pu être reproduite à cause de l’apparition d’un précipité massif. Pour minimiser cette précipitation probablement due à une trop forte densité de curare sur la protéine, j'ai diminué le réactif à 1 équivalent de rocuronium-COOH, mais le conjugué obtenu (rocuronium(« 1eq »)-BSA), n’a pas permis de reproduire les résultats précédemment obtenus (Figure 12B).

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Figure 12 : ELISA IgG humaines anti-rocuronium. (A) Analyses réalisées avec le conjugué rocuronium(« 11eq »)-BSA ; (B) Analyses réalisées avec le conjugué rocuronium(« 1eq »)-BSA. Le contrôle positif (courbe verte) est un sérum de souris gammaprim immunisée par du KLH-rocuronium (produisant des IgG1 humaines anti-Rocuronium). Le contrôle négatif (courbe grise) est un

sérum de souris gammaprim non immunisée. Les courbes bleues et rouges représentent les mêmes patients qu’analysés en A.

Les résultats obtenus avec rocuronium(« 11eq »)-BSA (Figure 12A) et rocuronium(« 1eq »)-BSA (Figure 12B) montrent que les concentrations d’anticorps anti-rocuronium présentes dans le sérum des souris gammaprim immunisées sont suffisamment élevées pour que la détection par ELISA soit similaire, quel que soit le niveau de couplage de molécules de curares sur la protéine porteuse. En revanche, les sérums des patients ne reconnaissent pas le rocuronium(« 1eq »)-BSA. La densité de molécules de curare couplées par molécule de BSA semble donc déterminante pour la détection des IgG anti-curare dans le sérum des patients (Tableau 4).

Tableau 4 : Tableau récapitulatif des différences de protocoles des couplages réalisés.

Conjugué Tampon de dilution Contrôle du pH Précipité (délai d’apparition) Ratio molaire curare/protéinea Reconnaissance, en ELISAb

rocuronium(« 11eq »)-BSA PBS Non Non Inconnu Oui

rocuronium(« 1eq »)-BSA PBS Non Non 4 Non

rocuronium(« 1eq »)-HSA PBS Non Non 9.5 Non

rocuronium(« 5eq »)-HSA PBS Non Oui, 15 minutes Non applicable Non applicable

rocuronium(« 4eq »)-HSA MES Oui Oui, pendant dialyse 19.2 Oui

rocuronium(« 5eq »)-HSA MES Oui Oui, à 1h30 22.1 Oui

a Le nombre de curare par protéine porteuse est évalué par MALDI-TOF MS.

b La capacité des sera de 2 patients sélectionnés à reconnaitre les conjugués curare est analysée par ELISA.

Afin d’optimiser le protocole, et de mesurer précisément l'efficacité de couplage, j’ai développé des échanges avec les chercheurs de l’UPR 2301 du CNRS au sein de l’Institut de Chimie des Substances

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Naturelles à Gif sur Yvette. Ceux-ci ont effectué des analyses des conjugués curare-protéine par spectrométrie de masse MALDI-TOF (« Matrix Assisted Laser Desorption Ionisation - Time of flight »). Cette technique repose sur un spectromètre de masse avec une source d’ionisation laser assistée par matrice et un analyseur à temps de vol. Les échantillons sont déposés sur une matrice que des tirs lasers pulsés viennent désorber, entraînant une ionisation de l’échantillon par transfert de charge. Soumises à des différences de potentiels, les molécules ionisées sont accélérées puis transférées dans l'analyseur TOF qui va permettre leur séparation en fonction de leur rapport masse sur charge (m/z). Les ions de rapport m/z les plus petits arriveront en premier au détecteur, qui

enregistrera un signal, sous forme d'un spectre de masse. Cette technique analytique bénéficie d’une

meilleure résolution qu’une analyse par spectrométrie de masse seule. La technique la plus sensible pour mesure de masse résolutive est l'electrospray. Malheureusement, les essais avec cette technique ont été infructueux sur nos couplages à cause de l'hétérogénéité des échantillons. Le conjugué Rocuronium(« 1eq »)-BSA (Figure 12B) a permis en fait le couplage de quatre molécules de rocuronium-COOH par molécules de BSA (Figure 13). Ce taux est relativement faible car la BSA contient 59 sites NH2 de couplages potentiels .

Bien qu’il s’agisse d’une réaction chimique assez classique, le couplage du rocuronium-COOH était confronté à l’apparition d’un précipité blanc assez dense, et ce de façon plus ou moins rapide (Tableau 4). Comme attendu, plus le nombre d’équivalents de rocuronium-COOH par rapport à la protéine porteuse était élevé (dans un objectif d’augmenter la quantité de rocuronium fixée par molécule de protéine), plus le précipité était dense et apparaissait rapidement. Ainsi, la réaction réalisée avec cinq équivalents de rocuronium-COOH entraînait un précipité massif et quasi-total dès la mise en présence des réactifs. L’hypothèse est que, dans ces conditions de réaction, l’adjonction d’une quantité supérieure à un équivalent de rocuronium-COOH à la BSA entraînait une déstabilisation du conjugué,

Figure 13 : Spectres MALDI-TOF de la BSA (ligne bleue) et du conjugué rocuronium(«1eq»)-BSA (ligne rouge). Le delta de masse correspond à 4 molécules de rocuronium-COOH par molécule de BSA.

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corrélée en quantité et en vitesse à la concentration de rocuronium-COOH.

L'objectif à ce stade était donc d'obtenir le meilleur compromis pour la densité du rocuronium au sein du conjugué : suffisamment importante pour son antigénicité mais pas trop élevée de façon à garantir sa stabilité. Dans ce but, j’ai d’une part changé la molécule porteuse en travaillant sur l’HSA. D'autre part, j'ai optimisé les conditions de couplage. En effet, même si la BSA et l’HSA sont deux molécules qui possèdent 76% d’homologie de séquence, certaines de leurs caractéristiques diffèrent [154]. Lorsqu’elle est activée, la BSA présente plus d’auto-agrégation que l’HSA [155]. Différentes études spectroscopiques ont également montré que la liaison de petites molécules est responsable de forces intra-moléculaires pouvant entrainer des changements conformationnels de la protéine [154]. L’HSA contient 58 sites NH2. Le même protocole à un équivalent de rocuronium-COOH a néanmoins permis de coupler 9.5 molécules de rocuronium-COOH par molécule d’HSA (rocuronium(« 1eq »)-HSA) (Figure 14), soit deux fois plus que sur la BSA en utilisant le même protocole, et sans engendrer de précipités. A cinq équivalents, bien que le précipité apparaisse de façon légèrement différée (15 minutes), il entraîne la majorité de la protéine, avec une protéine indosable (Tableau 4).

En s'appuyant sur la littérature, notamment des couplages de nanoparticules, j'ai également proposé la modification de plusieurs paramètres [153, 156, 157] :

- Augmentation de la quantité de sulfo-NHS, jusqu'à une quantité molaire supérieure à celle du rocuronium-COOH, afin d’améliorer la stabilité de l'intermédiaire réactionnel [158-161]. - Modification du tampon de la réaction. Le protocole initial utilisait du PBS à pH 7.2 tout au

long de la réaction. J’ai choisi d’effectuer la première phase d’activation du rocuronium-COOH par l’EDC dans un tampon MES (MES 0.1M + NaCl 0.5M, pH 5.6) [156]. Le pH de cette solution a ensuite été amené à 7.2, avant de l’ajouter à la solution de la protéine porteuse (elle-même toujours diluée dans du PBS à pH 7.2).

- Contrôle et ajustement du pH au cours de la seconde phase de la réaction car la précipitation 72304.7

HSA-Roc A_SA-1-5 0:O21 MS, BaselineSubtracted, Smoothed

0 100 200 300 400 500 In te n s. [ a .u .] 20000 40000 60000 80000 100000 120000 140000 m/z

Figure 14 : Spectre MALDI-TOF du conjugué rocuronium(«1eq»)-HSA.

Le delta de masse correspond à 9.5 molécules de rocuronium-COOH par molécule de HSA.

34 des conjugués est largement liée au pH.

Figure 15 : Spectre MALDI-TOF du conjugué Rocuronium(« 4eq »)-HSA dans le protocole amélioré. Le delta de masse correspond à 19.1 molécules de rocuronium-COOH par molécule d’HSA.

Grâce aux différentes améliorations apportées au protocole, les réactions réalisées à quatre et cinq équivalents de rocuronium-COOH ont permis d’obtenir des conjugués HSA couplés respectivement avec 19.2 et 22.1 molécules de rocuronium-COOH (Figure 15). Lorsque l’on observe les différents spectres MALDI-TOF, on remarque aisément que plus la quantité de rocuronium-COOH est élevée, moins le spectre est fin. Lorsque la densité est faible, le pic est remarquablement étroit démontrant une dispersion très limitée du taux moyen de couplage. Par exemple, pour le rocuronium(« 1eq »)-BSA, les molécules de BSA sont couplées avec 3 à 5 molécules de rocuronium avec une moyenne à 4, ce qui entraine peu de différence de masse et donc une base du pic étroite (Figure 13). Par contre, lorsque la densité du curare est élevée, il y a plus de dispersion des moyennes de molécules couplées par protéines porteuses entrainant une distribution des masses et une base du pic plus larges. Les conjugués issus de ces deux couplages ont permis de reproduire les résultats ELISA obtenus avec le sérum des patients : identification des mêmes sérums « positifs » et « négatifs » (Figure 16).

78188.0

Roc C_Surnageant_SA-1-5 0:D14 MS Raw

0 100 200 300 In te n s. [ a .u .] 20000 30000 40000 50000 60000 70000 80000 90000 m/z

Figure 16 : ELISA IgG humains anti-rocuronium, réalisée avec le conjugué rocuronium(« 5eq »)-HSA. Le contrôle positif (courbe verte) est un sérum de souris numéro G’758, qui est une souris humanisée produisant des IgG1 humaines et immunisée par du rocuronium. Le contrôle négatif (courbe grise) est un sérum de souris humanisée non immunisée. Les courbes bleues et rouges représentent deux des quatre patients présentant des IgG anti-rocuronium.