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D U COTE DES ENSEIGNANTS

T ABLEAU 20 O BJETS ET MÉTHODES DE RECHERCHE SUR LES PRATIQUES ENSEIGNANTES EN DIDACTIQUE DE L ’ HISTOIRE GÉOGRAPHIE AUJOURD ’ HUI , D ’ APRÈS LE SYMPOSIUM RÉUNI À M ONTPELLIER EN AOÛT

C. D U COTE DES ENSEIGNANTS

Dernière catégorie d’acteurs susceptibles de permettre la diffusion d’un bricolage dans les pratiques enseignante, les enseignants eux-mêmes. La logique de diffusion serait alors non plus ascendante (bottom up) ou descendante (top down) mais horizontale. A en croire Jean- Marc Merriaux, directeur du réseau Canopé (réseau de création et d’accompagnement pédagogique, dépendant du ministère de l’Education Nationale), ce type de diffusion est appelé à connaître un développement important dans un avenir proche, et cela via les réseaux enseignants :

« On est resté longtemps sur une
volonté de diffusion des bonnes pratiques et de l’innovation basée
sur une logique de généralisation,
c’est-à-dire qui remonte vers le haut pour redescendre ensuite vers le bas. Cela ne fonctionne plus aujourd’hui et il faut être sur des logiques de dissémination car les nouveaux contenus se diffusent plus lentement mais de façon plus efficace à travers la capillarité des réseaux ».163

Il convient bien entendu de replacer ces paroles dans leur contexte, celui du lancement par Canopé d’un nouveau réseau social professionnel à destination des enseignants, Viaeduc164. Mais au-delà de ce contexte le projet, porté par un « Groupement d’Intérêt Public », répondait à la fois à une demande et à un besoin. Il est trop tôt aujourd’hui, quelques mois après le lancement, pour en faire un retour critique. C’est donc à d’autres réseaux, plus anciens, que je m’intéresserai ici, pour y chercher, à nouveau une place, ou un relais possible pour le bricolage enseignant.

Il en existe différentes sortes, qui agissent à différentes échelles. Le premier est le réseau

163 Interview de Jean Marc Merriaux par le SNUipp (Syndicat National Unitaire des Instituteurs, des Professeurs

des écoles et des PEGC, dossier « Enseignant 2.0 en ligne ! », 15 septembre 2015, http://snuipp.fr/Des-logiques- de-dissemination

164Viaeduc est un projet porté par le Groupement d’Intérêt Public « Réseau Professionnel des Enseignants » (GIP

RPE), qui réunit sept partenaires publics : Réseau Canopé, CNED, Laboratoire TECHNÉ de l’université de Poitiers, et privés : Éditions Belin, Les Argonautes, Beechannels, Leancurve. Le GIP a été créé par arrêté daté du 7 octobre 2014, publié au Journal Officiel. Il a connu une phase expérimentale de 2013 à mai 2015 et a été lancé le 20 mai 2015. Offrant aux enseignants la possibilité de former des groupes sur différentes thématiques, mais aussi de publier des ressources voire de créer un blog, Viaeduc a pour ambition d’organiser la communauté enseignante et plus largement éducative jusque-là dispersée dans une multitude de sites, de blogs et de réseau.

local. Limité à l’échelle de l’établissement, il est le lieu de l’interconnaissance. C’est ce réseau que nous avons d’emblée mobilisé Ariane J. et moi pour diffuser notre concours-photo, en demandant à nos collègues d’être membres du jury.

Jusqu’à la fin des années 1990, ce réseau local était peu relayé à d’autres échelles, si ce n’est par l’APHG (Association des Professeurs d’Histoire Géographie). Créée en 1910 pour veiller à la défense des intérêts de la discipline, elle n’était pas conçue à l’origine commeun espace de mutualisation et de diffusion des pratiques. Si elle s’est considérablement modernisée, se dotant notamment d’un site internet, rénové en 2014, elle ne constitue néanmoins pas un « réseau en ligne » qui permettrait à ses 9 000 adhérents d’interagir, et la publication des ressources reste réservé à un nombre limité de rédacteurs.

Les « réseaux en ligne » se sont développés avec l’apparition d’Internet, à la fin des années 1990, puis du web 2.0 165. On peut les définir comme des associations mobilisant

différents outils de communication en ligne (site web, liste de diffusion, réseaux sociaux comme Twitter ou Facebook) pour permettre à leurs adhérents de communiquer entre eux et de publier des ressources. Par les outils dont ils se dotent, les réseaux enseignants en ligne pourraient donc être des espaces d’expression pour les bricoleurs. L’histoire-géographie compte deux réseaux de cette nature, l’association des Clionautes créée en 1998 et Aggiornamento créé en 2011. Leur fonctionnement et leur cahier des charges le permettent- ils pour autant ? En ce qui concerne leur fonctionnement, Isabelle Quentin, chercheure en Sciences de l’Education, fournit une grille de lecture intéressante. Ayant consacré sa thèse aux fonctionnements des réseaux en ligne et à leurs trajectoires (2012), elle propose de distinguer deux types de réseau : les ruches et les bacs à sable. Les premiers, assez proches des communautés de pratiques définies par Etienne Wengers (1998)166 se caractérisent par la

primauté donné au collectif sur l’individuel. Les règles de fonctionnement y sont strictes, et les ressources publiées sur le site web sont le résultat d’une élaboration collective. Les « bacs à sable » ont quant à eux des règles plus souples et souvent implicites, ce qui peut les rendre

165 L’expression « web 2.0 » a été utilisée pour la première fois par Dale Dougherty en 2003. Elle caractérise

l’évolution du Web (« Wordle Wide Web », la « toile mondiale) vers l’interactivité, permettant à l’internaute de ne pas être simplement un réceptacle passif d’information, mais aussi de contribuer à l’échange d’informations et d’interagir, grâce à des outils simples.

166 C'est-à-dire un fonctionnement dans lequel les membres s’engagent les uns envers les autres autour d’une

entreprise commune, créant un langage propre et un répertoire partagé, développant ainsi une culture professionnelle qui leur est propre

difficiles à comprendre pour les nouveaux arrivants, avec quelques membres qui jouent un rôle central. L’objectif de ce type de réseau est de rassembler pour les mutualiser des collections de contributions individuelles. Si on applique cette grille de lecture aux Clionautes et Aggiornamento, on pourrait ranger le premier dans la catégorie « bac à sable ». Il publie en effet essentiellement des contributions individuelles (chaque adhérent en a la possibilité), dans une intention de mutualisation pour permettre la mise en œuvre du programme, avec une arborescence du site web qui se décline pour chaque cycle en niveaux puis en disciplines. Sur la liste de diffusion167, les enseignants font part de questionnements pour la mise en

œuvre du programme.

Aggiornamento168 s’apparenterait davantage à une « ruche », ce que semble confirmer

son statut (un « collectif »). De plus, la plupart des articles y sont signés de manière collective. Tous les membres n’y prennent cependant pas la même part, comme l’indique le collectif lui- même : « le collectif Aggiornamento compte près de 200 inscrits sur la liste de discussion. Parmi eux, des actifs/ves, des silencieux/ses, des intempestifs/ves, des discrets/ètes etc »169.

Quoiqu’il en soit, qu’ils soient ruche ou bac à sable, la question est de savoir s’ils sont des lieux d’expression possibles pour les bricoleurs. Pour cela, il faut se tourner vers les objectifs que se donne chacun d’entre eux.

En ce qui concerne Aggiornamento, l’objectif est le renouvellement de l’enseignement de l’histoire et de la géographie : « il s’ouvre à tous ceux qui se sentent investis dans la (recon)quête de nouvelles fondations pour notre discipline, notre métier, notre système éducatif »170 . Soumis à un comité de lecture, les billets publiés sur le blog hébergé par

hypothèses.org visent à proposer une lecture critique du système éducatif et de l’enseignement de l’histoire-géographie. Parfois réflexions de fond sur les programmes, ils peuvent également prendre la forme de réactions « à chaud » sur l’actualité. Ils sont alors le plus souvent collectifs. La liste de diffusion procède du même esprit : les questionnements portent très rarement sur des séquences de cours en particulier, ou sur des exemples de mise

167 A laquelle je me suis abonnée le 26 octobre 2015

168 Je suis membre du collectif Aggiornamento depuis sa création en janvier 2011.

169 Aggiornamento, Qui sommes-nous ? http://aggiornamento.hypotheses.org/qui-sommes-nous 170 Laurence De Cock, A propos, http://aggiornamento.hypotheses.org/25

en œuvre, comme c’est le cas des Clionautes et portent davantage sur les curricula171.

Les Clionautes ont le même souci d’intervenir dans la vie publique, mais les objectifs sont différents, puisqu’ils visent « la promotion et la défense de l’enseignement de l’histoire, la géographie, l’éducation civique, juridique et sociale ainsi que la diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie »172. Les moyens diffèrent également : « pour cela, nous défendons une démarche de pédagogie active et notamment la mutualisation entre enseignants et les projets d’étudiants et d’élèves leur permettant d’être acteurs de leurs acquisitions ». C’est donc davantage du côté de la pédagogie que de l’épistémologie que les Clionautes souhaitent se positionner, ce qui se traduit, nous l’avons vu, par la publication de ressources pour mettre en œuvre les programmes.

Au final, qu’en conclure pour notre bricoleur ? Le chemin naturel de ses bricolages semble être l’association des Clionautes, plus encline à accueillir les mises en œuvre des enseignants ; cependant la nature « bac à sable » du réseau fait courir le risque à son bricolage de passer inaperçu, un grain de sable supplémentaire. A contrario, Aggiornamento est davantage tourné vers des questions de gouvernance générale. Il n’exclut pas pour autant les pratiques, comme en témoigne l’extrait de ce mail de la fondatrice du collectif, Laurence De Cock, en date du 31 décembre 2010 et qui inaugure le collectif :

« […] And last but not least, nos pratiques. La place de la didactique, de la pédagogie, de nos modalités d'auto-formation ; nos lassitudes, nos ennuis, nos "moments de grâce" (pour reprendre l'expression de Sophie) ou "petits bonheurs" (Françoise), nos déstabilisations, nos questionnements, nos ruses, nos détournements, nos résistances, nos capitulations etc.… ». [Cet item est le dernier d’une liste d’objectifs assigné au collectif]. (De Cock, 31/12/2010).

Au bricoleur alors de trouver son chemin, dans l’un ou l’autre de ces réseaux. Le premier lui donne l’assurance d’un espace de parole, le deuxième lui offre un lieu de débat. Dans les deux cas, des effets d’imposition inhérents à tout groupe peuvent conduire à une certaine auto-censure.

Il nous reste avant de conclure une dernière configuration à évoquer, et qui a elle aussi

171 C'est-à-dire « sur la conception, l’organisation et la programmation des activités d’enseignement /

apprentissage selon un parcours éducatif » (d’après EducTechWiki , http://edutechwiki.unige.ch/fr/Curriculum, consulté le 27/10/2015)

été rendue possible par le développement du web 2.0 : c’est lorsque l’enseignant, bricoleur ou non, choisit de créer son propre blog. Il devient alors auteur, et, par rapport aux configurations précédentes, a la maîtrise de ce qu’il diffuse173. Les blogs enseignants se sont

ainsi multipliés depuis les années 2000, sans qu’on en connaisse les chiffres précis. De différentes natures, blogs de classe ou blogs enseignants, blogs ayant vocation à publier des ressources pour les élèves ou des ressources par les élèves, ces blogs peinent néanmoins à sortir de l’anonymat, même s’il existe quelques « stars » dont les blogs enregistrent un grand nombre de visites par an174. C’est dans ce contexte que j’ai créé en 2010 un blog, appelé

« Histargeo » et dans lequel j’ai publié en 2011 les photographies du concours-photo. Blog de classe, il a toujours eu une audience limitée (12 600 visites en 2011).

***

Bricolage donc, notre concours photo aurait pu en rester là. Compter sur les relais existants pour y parvenir n’est pas suffisant : encore faut-il les investir. Ce que j’ai tenté de faire, investissant le champ de la recherche en didactique d’abord, via un master II en didactique des disciplines (2010-2012), puis à partir de 2012 cette thèse. Mais aussi en participant à deux groupes de recherche successivement, de 2012 à 2015 sur l’étude de cas et depuis 2015 sur le raisonnement en géographie.

Celui de l’institution scolaire ensuite, en devenant membre du GEP (Groupe d’Expérimentation Pédagogique) à l’automne 2012, après avoir sollicité et obtenu une inspection en 2011, et professeur-relais à la Cité de l’Architecture (depuis 2013).

Celui des réseaux enseignants enfin, en devenant tour à tour auteur d’un blog, dès 2010, qui m’a servi d’interface pour le concours-photo en 2011, en adhérant aux réseaux enseignants en ligne, Aggiornamento dès sa fondation en 2011 puis très récemment les Clionautes, participant même à la phase expérimentale de Viaeduc à partir de septembre 2014.

Certes, le bricoleur qui investit ces différents espaces n’en est plus tout à fait un, ou plus exactement, toujours bricoleur, il devient également, selon les cas formateur, chercheur,

173 Une liberté à nuancer cependant, puisque sur le plan technique il dépend de son hébergeur.

174 C’est le cas par exemple du blog de Monsieur Mathieu, qui a attiré en 3 ans 3.5 millions de visiteurs

enseignant investi dans des associations ou des collectifs.

Mais n’était-ce pas le cas dès le départ ? La figure 64 permet d’observer que lorsque nous avons mis en place le concours-photo, avec Ariane J., j’étais déjà investie dans le champ de la recherche et dans des réseaux enseignants. La recherche a ainsi servi de pivot, pour répondre à des questions que je me posais depuis longtemps sur ma pratique, et pour y développer à mon tour des outils, qui ont pris pour point de départ un bricolage né de la pratique. Elle doit beaucoup aux formateurs que j’y ai rencontrés, et plus particulièrement Christian Grataloup et Caroline Leininger.

Réseaux Institution Recherche Enseignement Octobre 2011 : mise en place d’un concours photo Professeure d’histoire-géographie

Recherche collaborative 1 Recherche collaborative 2 Master II de didactique Doctorat en didactique de la géographie

Membre du GEP

Professeure-relais à la Cité de l’Architecture

Création d’un blog « Histargeo » puis « GeoPhotoGraphes&Carto Membre d’Aggiornamento

Membre des Clionautes

2011 2012 2013 2014 2015 2016

FIGURE 64DEPUIS 2010, UN PARCOURS D’ENSEIGNANTE DANS LA RECHERCHE, AU SEIN DE L’INSTITUTION SCOLAIRE,

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