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Entre les convictions des enseignants et les habitudes des apprenants : une culture éducative co-construite

Dans le document CONTEXTE GLOBAL, CONTEXTES LOCAUX (Page 162-166)

2 Construction du corpus : une démarche longitudinale

3 Interaction entre les cultures éducatives locales et les cultures éducatives intériorisées

3.2 Entre les convictions des enseignants et les habitudes des apprenants : une culture éducative co-construite

Regardons maintenant l’impact des cultures éducatives des apprenants sur les pratiques de ces deux enseignants. Dans le premier entretien d’auto-confrontation, l’enseignante, en commentant son cours, et surtout les scènes où elle se trouve face à des obstacles, se demande si le fonctionnement insatisfaisant de sa méthodologie est dû au choc culturel que cette dernière provoque chez le public.

{00:27:26} 0230 Enseignante pas assez claires+ les consignes + peut-être qu'ils n'ont pas l'habitude de travailler comme ça je sais pas

{00:33:16} 0246 Enseignante peut-être ils sont pas habitués à ce qu'on les touche+ chais pas + je suis très tactile+ je me rapproche des étudiants et je suis comme ça bon peut-être je sais pas hein +

culturellement euh + je sais pas[...]

{00:42:42} 0302 Enseignante peut-être ils sont pas + fin + je sais pas hein mais + ils sont être pas habitués à être assis en groupe+ ils sont peut-être pas habitués à à avoir le professeur qui n'est pas devant+

devant eux+ qui bouge comme ça tout le temps dans la classe [...]

{00:43:18} 0304 Enseignante peut-être que je suis trop souple+ je ne sais pas {00:43:20} 0305 Enquêtrice euh pourquoi↑ + parce qu'ils ont fait trop de bruit↑

{00:43:25} 0306 Enseignante non mais mais peut-être ils sont pas habitués à travailler + à étudier comme ça+

{00:52:59} 0370 Enseignante [...]peut-être ils ne saisissent pas bien la consigne parce que c'est déroutant+ c'est étonnant↑+ ils ont pas l'habitude de faire ça + peut-être voilà ils ont l'habitude d'avoir des cours très académiques+[...]

(1er entretien d’auto-confrontation, sur la séance 3, enseignante francophone)

Comme nous pouvons le remarquer, dans ces extraits, et presque tout au long de l’entretien, l’enseignante emploie une phrase qu’on peut qualifier de type : « peut-être ils sont pas habitués, je sais pas. ». Des éléments modaux tels que « peut-être » et la négation assez récurrents, prouvent que l’enseignante n’est pas du tout sûre de ses avis, des hypothèses qu’elle fait par rapport à la culture éducative de ses étudiants. Certes, il s’agit d’une enseignante débutante qui peut logiquement adopter une attitude moins affirmative envers ses choix méthodologiques. Mais n’oublions pas un autre élément assez significatif : il s’agit d’une enseignante qui n’a pas eu de réel contact avec la culture chinoise, information qu’elle mentionne avec inquiétude à plusieurs reprises tout au long du semestre.

Quand on étudie de près le deuxième entretien d’auto-confrontation, on constate que les inquiétudes de l’enseignante apparaissent beaucoup moins fréquemment. N’ayant toujours pas de référence sur la culture éducative du public pour vérifier ses hypothèses, l’enseignante procède plutôt à des adaptations didactiques et pédagogiques, tout en s’efforçant de créer un lien de confiance et d’affection avec les apprenants, ce qui peut être confirmé par une autre phrase type, également transversale dans ses entretiens : « ça ne marche pas » et « ça marche »

{01:22:27} 0508 Enseignante pour qu'ils parlent et et peut-être que je ferai la grammaire de cette façon là aussi + si ça marche pas je change+ mais j'essayerai cette façon là d'abord

{01:22:49} 0514 Enseignante au moins une fois+ mais bon on on a honte parfois parce que ça marche pas et il faut penser à autre chose+ mais là je vois que j'essaie plein de techniques par exemple+ au début+

pour la consigne++ plein++ euh j'explique↑+ le papier↑+ la formulation↑ + euh passer par un élève↑+ je tâtonne

(1er entretien d’auto-confrontation, sur la séance 3, enseignante francophone)

{01:19:59} 0225 Enseignante [...]j'ai envie de parler↑+ j'ai je peux pas le décevoir↑+ ça marche+ l'affect ça marche+ donc c'est ça que j'essaie de faire avec les étudiants+ même s'il y a des choses à reprendre + c'est bien [...]

(2e entretien d’auto-confrontation, sur la séance 7, enseignante francophone)

Ainsi, dans l’impossibilité de baser son choix méthodologique sur ses représentations des cultures éducatives du public, l’enseignante fait plutôt l’itinéraire inverse, elle tâtonne méthodologiquement tout en découvrant son public. On peut d’ailleurs noter dans l’entretien son intention de réutiliser avec un futur public sinophone les stratégies d’enseignement qui auront fonctionné.

Tout comme l’enseignante francophone, l’enseignant sinophone, en tant qu’enseignant débutant, fait des essais méthodologiques. Mais, à la différence de l’enseignante française, au moment où il participait à cette recherche, l’enseignant sinophone était en France depuis huit ans et il y a effectué ses études de DEA et de doctorat.

{00:23:13} 0100 Enseignant [...] je t’ai peut-être mentionné + je pense vraiment que les étudiants français sont très + très influencés par + c’est-à-dire+

les étudiants français sont très habitués + à trouver une

traduction correspondante+ ils + forcément ça c’est pour ça et ça c’est pour ça+ [...]

(1er entretien d’auto-confrontation, sur la séance 3, enseignant sinophone)

{00:36:11} 0124 Enseignant [...] et puis il y a encore une autre chose c’est-à-dire + :+

euh :++ ou i+ c’est-à-dire + en fait c’est exactement un grand obstacle pour les étudiants français+ mais non seulement pour leur classe+ c’est+ je pense+ je suis en train de critiquer je vais peut-être ne pas en parler (rire)

{00:37:31} 0125 Enquêtrice Non non allez-y

{00:37:32} 0126 Enseignant Mais de toute façon ce problème c’est non plus moi la première personne qui l’ait dit + en fait je veux dire+ euh :+ les

étudiants français quand ils apprennent le chinois+ ils ne sont

pas habitués à apprendre le chinois en chinois {00:37:44} 0127 Enquêtrice C’est-à-dire+c’est-à-dire vous trouvez que quand ils

apprennent une langue+ ils veulent l’apprendre en français {00:37:51} 0128 Enseignant oui+ils essaient de trouver une relation correspondante+ c’est

un point très particulier des étudiants français

(2e entretien d’auto-confrontation, sur la séance 7, enseignant sinophone)

{00:09:02} 0056 Enseignant Regarde ça c’est un Français typique+ ce qu’on dit sur l’estrade il veut tout noter + ah + en effet + beaucoup de choses ne sont pas importantes + ils notent notent notent et notent (rire)+ je pense que c’est justement l’habitude de beaucoup de Français+ c’est-à-dire+ vouloir juste tout noter

(3e entretien d’auto-confrontation, sur la séance 10, enseignant sinophone)

Nous pouvons remarquer, dans ses commentaires, que les discours concernant la culture éducative française sont assez affirmatifs, ce qui peut être confirmé par des indices lexicaux et syntaxiques soulignés en gras et aussi par la récurrence de ce genre d’éléments dans les entretiens. Cependant, il faut dire qu’il ne sera pas du tout pertinent de dire que le niveau des connaissances de la culture des apprenants est le facteur qui joue sur les attitudes de ces deux enseignants, l’une hésitante et l’autre affirmative. Sans parler du fait qu’il ne s’agit ici en aucun cas d’une démarche comparative, on peut imaginer l’existence d’autres éléments comme la personnalité et leur éventuelle participation dans ce processus de formation des représentations.

Ainsi, concentrons-nous plutôt sur ce qui peut être commun à ces deux cas. Ce qui est intéressant, c’est que l’enseignant de chinois désapprouve la prise de notes dans un cours de conversation, préfère le chinois au français comme langue d’enseignement, laisse à chaque fois un tableau tout rempli à la demande des étudiants et adopte comme langue d’enseignement le français. L’enseignante francophone, bien qu’elle se sente démunie sur le plan des cultures éducatives, adapte sans arrêt sa façon de faire pour qu’elle convienne au public en question. Un trait commun peut être relevé dans les pratiques de ces deux enseignants, même si l’un avoue son ignorance vis-à-vis des cultures éducatives chinoises et que l’autre se considère plus ou moins connaisseur de celles de son public : en cas de conflits culturels, hypothétiques ou attestés, ils s’adaptent aux habitudes des apprenants, de façon consciente ou inconsciente. La « faiblesse » ou le « manque d’insistance » de ces enseignants peut sans doute être expliqué par une bienveillante vigilance face à un public de culture différente de la leur. Si dans toute communication il existe des risques et des menaces, ces dernières auront la possibilité d’être plus fréquentes et accentuées dans une communication exolingue, tel est le cas de l’interaction entre un enseignant natif et son public. Il faut souligner que cette vigilance peut également être remarquée chez les étudiants : on peut choisir d’être silencieux quand l’enseignant parle trop vite, surtout pour ne pas gêner un

enseignant étranger. Comme vous pouvez sans doute l’imaginer, la vigilance et la réserve de part et d’autre peuvent créer une interaction à l’apparence paisible tout en impliquant la possibilité de malentendus entraînant parfois des émotions négatives.

En ce qui concerne la typification des apprenants, les deux enseignants, notamment l’enseignant sinophone, possèdent chacun une attitude contradictoire qui évolue : d’un côté, ils commentent les caractéristiques de chacun des étudiants en mettant en avant la singularité individuelle ; de l’autre, ils n’hésitent pas non plus à décrire les traits propres à l’ensemble du groupe en employant des pronoms ou des lexiques désignationnels tels que les étudiants français, les apprenants chinois et ils. Sans entrer dans les détails, un phénomène particulièrement intéressant nécessite qu’on y réfléchisse : à travers les discours des deux enseignants, on peut avoir l’impression que les Chinois et les Français sont timides, que ces publics ne veulent pas et n’osent pas parler. Pour l’enseignant sinophone ce sont les Anglais et les Américains qui parlent tandis que pour l’enseignante française, on aura toujours des paroles auto-sélectionnées avec un public portugais. S’agit-il d’un trait commun aux publics sino-français, relève-t-il d’un effet psychologique des enseignants de langue qui ont envie de faire parler le plus possible toute la classe ou bien est-ce une simple coïncidence ?

{00:40:09} 0293 Enseignante [...] je pense que : ça dépend des publics là + peut-être + cet été j'ai enseigné à des Portugais↑+ et eux ils prenaient la parole même sans lever les doigts + ils parlent ils racontent leur vie (rire) + même si c'est pas intéressant + enfin bon + euh + que j'avais pas forcément besoin de désigner + là pour cette classe ↑ comme ils sont peut-être beaucoup↑+ ils veulent pas trop parler↑+ je suis obligée de désigner pour obtenir un peu de réponse + (rire)

{01:05:35} 0219 Enseignant Les étudiants américains et anglais + oui je pense qu’eux ils aiment vraiment parler+ ils aiment beaucoup parler + peut-être en raison de la caractéristique nationale + [...] + mais les étudiants français n’aiment vraiment pas trop parler + ils aiment lire + ensuite il préfère que tu lui donnes un texte+ et puis il le lit seul là+ et le traduit+ (rire) ils aiment ça

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