• Aucun résultat trouvé

2 Les conventions internationales en matière de stupéfiants

257. La lutte contre les stupéfiants n’est devenue un objet de droit pénal international qu’au XXème siècle. Auparavant, il ne constituait pas une problématique pénale appelant une intervention internationale. Mais, sous l’impulsion de la stratégie juridique des États-Unis au sein des Nations-Unies, la question des drogues a été élevé au rang de « problème humanitaire et universel » qui a conduit à d’exporter un modèle prohibitionniste à l’ensemble de la planète288.

258. Pour les Nations-Unies, l’ambition de faire intervenir la Communauté internationale visait d’abord l’objectif de mettre en place un régime administratif de contrôle des stupéfiants afin d’en réserver l’usage à des fins médicales et scientifiques289. C’est ce qui

fut réalisé par la Convention unique du 30 mars 1961 sur les stupéfiants290, et la

Convention du 21 février 1971 sur les substances psychotropes. L’objectif du droit international par lesdites conventions est d’instaurer un régime de contrôle sur le marché licite des drogues pour usage médical ou scientifique seulement. Cette volonté apparait dans les préambules des deux conventions qui reconnaissent « que l’usage médical des stupéfiantes demeure indispensable pour soulager la douleur et que les mesures voulues

287 Guide législatif sur les conventions et Protocoles mondiaux contre le terrorisme, Office des Nations Unies

contre la drogue et le crime, 2004, p. 7.

288 Renaud COLSON, « Prendre le droit international et européen de la drogue au sérieux ? Note sur la

rationalité punitive du régime prohibitionniste », in Fondements et objectifs des incriminations et des peines

en droit européen et international, ANTHEMIS, 2013, p. 207 et s.

289 Christine GUILLAIN, « Les injonctions pénales du droit international et du droit européen en matière de

drogue : un dialogue de sourds ? », in ibid., p. 179.

290 Il faut rappeler que la Convention du 1961 sur les stupéfiants a remplacé tous les traités antérieurs en ce

domaine.

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

doivent être prises pour assurer que des stupéfiants soient disponibles à cette fin »291 et

qu’il est « nécessaire de prendre des mesures rigoureuses pour limiter l’usage de ces substances à des fins légitimes »292.

259. Toutefois la mise en œuvre de ces conventions s’est montrée insuffisante pour empêcher le détournement de ces drogues à des fins illicites293, ce qui a causé beaucoup de troubles

au sein de la communauté internationale notamment après le constat de l’influence de ce marché sur l’économie et la santé humaine. Par conséquent les Nations-Unies ont opté pour la répression par l’adoption de la Convention du 20 décembre 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas de mesures répressives dans les deux premières conventions en matière de drogues. Les dispositions pénales en la matière ont cependant été insérées timidement comparé aux règles administratives comme le démontre le préambule de la Convention de 1988 ainsi rédigé : « Reconnaissant la nécessité de renforcer et de compléter les mesures prévues dans les conventions antérieures afin de réduire l’ampleur et l’étendue du trafic illicite et d’en atténuer les graves conséquences ».

Cette différence de perspective entre les conventions explique en partie le faible agencement de la double incrimination dans la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants, modifiée par le Protocole de 1972 et la Convention de 1971 sur les substances psychotropes.

260. Les conventions de 1961 et de 1971 ne contiennent pas dans le corps de leur texte de dispositions dédiées à l’extradition ou à l’entraide judiciaire en matière pénale. Il était assez difficile, du moins à cette époque-là, eu égard à la grande diversité des traditions morales, religieuses et culturelles, d’établir des règles internationales universellement acceptables trouvant leur application dans les systèmes pénaux nationaux en matière de

291 Préambule de la Convention unique du 30 mars 1961 sur le stupéfiant.

292 Préambule de la Convention du 21 février 1971 sur les substances psychotropes. 293 Christine GUILLAIN, op. cit., p. 179.

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 142 —

drogue.294. En ce sens on voit apparaître la possibilité pour les États parties de faire des

réserves quant à l’usage du cannabis à des fins non médicales295, ou de substances

psychotropes pour certains groupes à l’occasion de cérémonies magiques ou religieuses296.

261. Cependant ces difficultés n’ont pas empêché la communauté internationale d’instaurer des dispositions répressives au sein des conventions précitées. L’article 36 de la Convention de 1961 et l’article 22 de la Convention de 1971 intitulé « Dispositions pénales » ont englobés des dispositions répressives contre le détournement qui poursuivent deux objectifs : l’un concerne l’incrimination et la répression de ces comportements en droit national, et l’autre concerne la coopération internationale entre les États parties à la convention.

Or la double incrimination n’a aucune place clairement admise au sein de ces conventions, dans lesquelles les dispositions de coopération internationale sont relativement proches de celles de la Convention de La Haye pour la répression de la capture illicite d’aéronefs. Cela peut s’expliquer de plusieurs façons, dont l’ancienneté de ces conventions montrant la fiabilité du développement du droit international au sein des Nations-Unies, et la nature « non-répressive » de ces conventions expliquant de ce fait un nombre insuffisant de dispositions conventionnelles répressives.

262. Les États sont liés en la matière par le paragraphe 2 de l’article 36 de la Convention de 1961 écrit comme suit : « sous réserve des dispositions constitutionnelles de chaque partie, de son système juridique et de sa législation nationale : b) i : chacune des infractions énumérées aux paragraphes 1 et 2, a, ii, du présent article est de plein droit comprise comme cas d’extradition dans tout traité d’extradition conclu entre les Parties. Les Parties s’engagent à comprendre ces infractions comme cas d’extradition dans tout traité d’extradition à conclure entre elles ». Ce qui les oblige, en accord avec leurs

294 Commentaire sur la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, préparés par le Secrétaire général

conformément au paragraphe 1 du dispositif de la Résolution D XXXIV du Conseil économique et social, en date de 3 août 1962.

295 Article 49 de la Convention de 1961. 296 Article 32 de la Convention de 1971.

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

systèmes constitutionnels et juridiques, de considérer les infractions mentionnées comme des infractions extraditionnelles. Le but est de permettre aux États de s’entraider sur des actes considérés comme des actes infractionnels au regard du paragraphe 1 et 2-a-ii de l’article 36. Il en résulte que ces comportements doivent être incriminés eu égard au paragraphe 1 et 2-a-ii, et que la condition de double incrimination sera implicitement remplie pour les infractions en question.

263. Ce paragraphe 1 de l’article 36 a énuméré les actes que les États doivent incriminer : la culture, la production, la fabrication, l’extraction, la préparation, la détention, l’offre, la mise en vente, la distribution, l’achat, la vente, la livraison, à quelque titre que ce soit, le courtage, l’envoi, l’expédition en transit, le transport, l’importation et l’exportation de stupéfiants non conforme aux dispositions de la présente convention, ainsi que « tout autre acte qui, de l’avis de ladite partie, serait contraire aux dispositions de la présente convention … ». Laisser certains aspects de la répression à l’appréciation des États parties peut mener à des divergences textuelles et juridiques notamment sur les types de comportements incriminés voire à entrer en contradiction avec les dispositions de cette convention, une telle application peut également poser des conflits d’interprétation sur la notion « d’infractions extraditionnelles ».

264. La rédaction de l’article 22 paragraphe 2-b de la Convention de 1971 sur les substances psychotropes est proche de celle de l’article 36 de la Convention de 1961 sans pour autant en être la copie. L’article 22-2-b, débute ainsi : « il est souhaitable que les infractions mentionnées … soient considérées comme des cas d’extradition aux termes de tout traité d’extradition conclu ou à conclure entre des Parties ». Cette introduction d’article laisse entendre un caractère facultatif ou de recommandation pour l’application de ce paragraphe. Ce qui est de nature à affaiblir la position de la double incrimination dans cette convention. Mais le paragraphe 2-b-ii, de l’article 36 de la Convention de 1961 prévoit que « l’extradition est subordonnée aux autres conditions prévues par le droit de la Partie requise », et le paragraphe 2-b, de la Convention de 1971 ajoute que : « toutefois, l’extradition sera accordée conformément à la législation de la Partie à qui la demande d’extradition est adressée ». Le renvoi aux législations nationales dans ces

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 144 —

conventions est la solution la plus efficace pour imposer l’exigence de la double incrimination en matière d’extradition entre les États parties.

Lesdites conventions ne contiennent en revanche aucune disposition consacrée à l’entraide judiciaire pénale, et ce même dans la partie réservée aux dispositions pénales. 265. Quant à la Convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de

substances psychotropes de 1988, elle n’opère pas de grand changement, ni ne diffère de manière remarquable sur la situation de manière générale ou sur le traitement de la double incrimination plus particulièrement. Malgré cela, elle est considérée comme étant la première convention multilatérale dans laquelle tous les instruments de la coopération internationale en matière pénale, qu’ils soient traditionnels ou modernes ont été intégrés et reconnus297. Les nouveautés apportées par cette convention au niveau de l’entraide

judiciaire sont le transfert des procédures répressives (article 8), l’exécution des décisions criminelles rendues par l’autorité étrangère (article 6 § 10), le transfert des personnes condamnées (article 6 § 12) le transfert et l’exécution des décisions de confiscations rendues par l’autorité étrangère (article 5 § 4).

266. Il semblerait qu’un critère de gravité soit introduit par l’article 6 intitulé « L’extradition » dont le paragraphe 1 précise que : « le présent article s’applique aux infractions établies par les parties conformément au paragraphe 1 de l’article 3 ». En effet on peut comprendre que l’extradition pouvant être accordée par l’État requis à l’État requérant doit se limiter aux infractions relativement graves conformément à la législation sur les drogues et énumérées à l’article 3 § 1298. Ainsi, les dispositions relatives à l’extradition

n’englobent pas le paragraphe 2 de l’article 3 concernant les actes de détention, l’achat de stupéfiants et de substances psychotropes, et la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle.

267. Le paragraphe 2 de l’article 6 vise à considérer les infractions figurant au paragraphe 1 de l’article 3 comme des infractions extraditionnelles qui doivent être incluses dans tout

297 Julian J.E. SCHUTTE, « Extradition for drug offences : new developments under the 1988 U.N.

Convention against illicit traffic in narcotic and psychotropic substances », RIDP, 1991, p. 135.

298 Ces infractions sont le blanchiment d’argent, la fabrication, le transport ou la distribution de matériel,

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

traité d’extradition en vigueur et dans tous les traités à conclure dans le futur. La Convention de 1988 suit la même méthode que les autres conventions en tenant compte du modèle « liste d’infractions » des traités d’extradition et de ce fait, comme son nom l’indique, énumère une liste exhaustive d’infractions, sur le modèle des anciens traités. Le problème dans ce contexteest que certaines infractions figurant au paragraphe 1 de l’article 3 doivent être établies sous réserve des principes constitutionnels et des concepts fondamentaux des systèmes juridiques des États parties299. En effet, le fait de se référer

aux lois nationales est à même de produire des divergences entre les États à propos du modèle de l’intégration juridique de ces infractions ainsi que des différentes définitions de notions relatives à ces infractions comme la tentative, la conspiration ou les conseils. Ces divergences anticipées auront des effets sur la mise en œuvre de l’extradition à l’égard de l’exigence de la condition de la double incrimination en tant qu’exigence standard de la mise en œuvre de la coopération internationale en matière pénale300. De

plus, ces infractions ont été créées pour la première fois dans cette convention en matière de stupéfiants car elles échappaient, pour la plupart, à la coopération internationale au sein des anciennes conventions301.

268. La double incrimination n’a pas été expressément citée dans la Convention de 1988 mais le paragraphe 5 de l’article 6 rappelle que « l’extradition est subordonnée aux conditions prévues par le droit de la partie requise ou par les traités d’extradition applicables, y compris les motifs pour lesquels la partie requise peut refuser l’extradition ». La double incrimination, en tant que condition traditionnelle, demeure une condition respectée si le droit de la partie requise ou les traités d’extradition l’exigent.

269. La double incrimination joue toujours un rôle majeur dans les conventions moins développées comme celle-ci et ce malgré les innovations apportées. Si l’impact de cette

299 Paragraphe 1, c, de l’article 3 de la Convention de 1988. 300 Julian J.E. SCHUTTE, op. cit. p. 137.

301 Commentaire de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances

psychotropes 1988, faite à Vienne le 20 décembre 1988. P. 134.

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 146 —

condition a été atténué par l’intégration des infractions figurant au paragraphe 1 de l’article 3, il n’en a pas pour autant été éliminé complètement302.

270. En outre il apparaît que parmi les dispositions sur l’entraide judiciaire internationale en matière pénale au sein de la Convention de 1988 figurant en son article 7, plus aucune référence explicite n’est faite, ni à l’expression « double incrimination » ni à la notion ou au concept de double incrimination. Le premier paragraphe encourage les États parties à s’entraider en matière pénale pour toute enquête, poursuites pénales et toutes autres procédures judiciaires chaque fois qu’il s’agira de l’une des infractions figurant au paragraphe 1 de l’article 3. Dès lors les infractions du paragraphe 2 de l’article 3 sont également exclues du champ d’application de l’entraide judiciaire en matière pénale de cette convention.

271. Une fois l’énumération des mesures d’entraide faite (cf. paragraphe 2), le paragraphe 3 donne la possibilité aux États parties d’accorder toute autre forme d’entraide judiciaire si elle est autorisée par le droit interne de la partie requise. Cette reconnaissance des mesures d’entraide judiciaire ne figurant pas au paragraphe 2 mais en droit interne, est proche du concept dit de « l’utilisation spéciale de la double incrimination »303.

272. Le paragraphe 6 régit le conflit éventuel qui pourrait avoir lieu entre cette convention et les traités bilatéraux ou multilatéraux en donnant la priorité aux traités bilatéraux ou multilatéraux. Que faire si les traités bilatéraux et multilatéraux exigent la double incrimination pour accorder la demande d’entraide judiciaire adressée par l’État requérant, alors que la Convention de 1988 ne fait aucune référence à la double incrimination ? Convient-il de respecter les conditions stipulées par les traités en raison de leur priorité posée par le paragraphe 6 ou bien accorder la demande d’entraide même en l’absence de double incrimination ? La réponse n’est pas claire. Si l’on se fie à une interprétation littérale ; les traités bilatéraux et multilatéraux ont la priorité s’ils exigent la double incrimination. Mais le commentaire de la Convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes donne une réponse différente.

302 Ibid. p 139

303 Concept selon lequel l’État requis n’accorde pas l’extradition si l’État requérant se fonde sur une

Titre I.

Double incrimination et coopération pénale internationale

Selon le commentaire, le paragraphe 6 ne donne pas à ces traités priorité générale sur les dispositions de la Convention de 1988, mais il tend plutôt à empêcher que les obligations assumées dans le cadre du traité d’entraide judiciaire de caractère général se trouvent amoindries du fait des dispositions spécifiques de la Convention. Le commentaire a mis en lien cette interprétation avec le paragraphe 1 qui assure une entraide judiciaire la plus large possible, cela signifie que lorsque la Convention exige la fourniture d’une assistance plus large (sans exigence de double incrimination) dans le contexte du trafic illicite, que celle qui est prévue par les traités bilatéraux ou multilatéraux, ce sont les dispositions de la Convention qui doivent prévaloir304.

273. Les motifs de refus d’entraide judiciaire énoncés au paragraphe 15 pourraient cependant être interprétés comme pouvant contenir la double incrimination parmi eux. En effet, « l’entraide judiciaire peut être refusée : b) si la partie requise estime que l’exécution de la demande peut porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre public ou à d’autres intérêts essentiels ». Faire référence à l’ordre public national ou à d’autres intérêts essentiels peut très bien comprendre la double incrimination si l’État requis estime que la participation à une entraide judiciaire pour un fait n’ayant pas de caractère criminel porte atteinte à son ordre public305.

274. La confiscation dans la Convention de 1988 est abordée à l’article 5 qui est subdivisé en deux parties, la première concernant la confiscation en tant que mesure prise par l’autorité nationale sans aucun élément d’extranéité (aspect national), la deuxième concernant la confiscation demandée ou rendue par une décision adressée par une autorité étrangère (aspect international). Le paragraphe 4 alinéa c assure quant à lui que les mesures prévues aux alinéas a et b (mesures de confiscation, gel, détection ou saisie des biens et des instruments) sont prises par la partie requise conformément à son droit interne et selon les dispositions de ce dernier. Vu que la confiscation est une mesure classée parmi les formes d’entraide judiciaire internationale en matière pénale, elle est donc soumise au

304 Commentaire de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances

psychotropes 1988, faite à Vienne le 20 décembre 1988 op. cit. p. 159.

305 Didier REBUT, op. cit., n° 506.

La condition de la double incrimination en droit pénal international

— 148 —

même traitement que l’entraide judiciaire dans la Convention de 1988 qui ne prévoit aucune règle spécifique sur la double incrimination.

275. En général les conventions des Nations-Unies en matière de stupéfiant ne traitent pas explicitement de la question de la double incrimination, en tant que concept306. Nous

pouvons observer que les deux premières conventions, à savoir la Convention de 1961 et la Convention de 1971, ne sont pas des conventions répressives ce qui justifie l’absence totale de double incrimination et que la Convention de 1988 est considérée comme la première convention multilatérale répressive internationale dans laquelle tous les instruments de coopération internationale en matière pénale ont été reconnus pour la première fois.

Documents relatifs