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consacrées à l’extradition et aux procédures équivalentes

55. L’extradition était définie par Maurice TRAVERS comme « l’acte par lequel un individu, condamné répressivement ou poursuivi à fins pénales dans un État, est, en exécution d’une demande, remis à cet État par un gouvernement étranger, sur le territoire duquel il a pu être trouvé, ladite remise consentie en connaissance de cause, pour assurer

La condition de la double incrimination en droit pénal international

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conformément au but exprimé dans la demande, le cours de la justice répressive du pays requérant »109. Mais on peut la définir plus simplement, comme « la procédure par

laquelle un État souverain, l’État requis, accepte de livrer un individu se trouvant sur son territoire à un autre État, l’État requérant, pour permettre à ce dernier de juger l’individu dont il s’agit ou, s’il a déjà été jugé et condamné, de lui faire exécuter sa peine »110.

56. L’extradition apparait en premier lieu comme un acte souverain tant pour l’État requérant en vertu de son droit de poursuite qui réclame le protagoniste en vue d’exercer sa justice répressive, que pour l’État requis qui exerce son droit de souveraineté en livrant un individu à l’État requérant111. L’extradition est également considérée comme un acte à

finalité répressive eu égard au lien apparaissant entre elle et le but de poursuivre ou de faire exécuter une condamnation prononcée à l’étranger : un acte de lutte contre une criminalité commune. Elle est par ailleurs à la fois un acte judiciaire, car c’est conformément aux lois françaises qu’il revient aux magistrats d’en examiner la demande, et un acte administratif, car son exécution donne lieu à décret, donnant dès lors le droit au Conseil d’État de contrôler la décision d’extradition en vertu de sa mission de contrôle de conformité de l’activité gouvernementale aux lois et aux conventions internationales112. De plus, l’extradition est l’une des mesures les plus contraignantes qui

soient mises à la disposition d’un État à l’encontre d’un individu113.

57. L’extradition est par ailleurs gouvernée par différents principes, essentiels en droit pénal international, et tout particulièrement ceux de la réciprocité et de la double

109 Maurice TRAVERS, Le droit pénal international et sa mise en œuvre en temps de paix et en temps de

guerre, Tome IV, 1921, n° 1947, p. 302.

110 Roger MERLE et André VITU, Traité de droit criminel, 7e , Cujas, 1997, p. 426. Le Professeur

BASSIOUNI définit l’extradition comme « a system consisting of several processes whereby one sovereign

surrenders to another sovereign a person sought as an accused criminal or a fugitive offender ». M. Cherif

BASSIOUNI, International extradition United States Law and practice, Third Edition, Oceana Publications Inc., 1996, p. 1.

111 Maurice TRAVERS, op. cit. p. 308

112 Didier REBUT, Extradition, Rép. Internat., Dalloz, 2009, n° 10.

113 Dietrich OEHLER, « les problèmes actuels de l’extradition », RIDP, 1968, p. 398

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incrimination114. Ces derniers pourraient être abandonnés dans un monde idéal, mais pour

l’heure sont à conserver en guise de soupapes de sécurité115.

58. La réciprocité en droit international public est un phénomène accentué, dans la société internationale contemporaine, par l’accroissement non négligeable de l’interdépendance entre les États, incitant dès lors tous les États à appliquer le droit international dans leurs relations, chacun ayant conscience que le respect de ses droits est subordonné au respect par lui des droits des autres États116. Autrement dit la réciprocité revient au principe du

« donnant donnant »117. Et bien qu’elle constitue une condition essentielle de

l’extradition, elle « n’en est nullement la base logique et nécessaire »118.

59. Or cette question de la réciprocité est en lien direct avec celle de la double incrimination. On ne parle effectivement pas de réciprocité lorsque l’un des deux États peut demander l’extradition pour un fait déterminé tandis que l’autre ne possède pas cette faculté en raison de la non-incrimination de ce fait par la loi de l’État requis119. Malgré ce lien il est

important de ne pas considérer l’une comme une condition corrélative de l’autre, car il n’est pas dans l’intérêt de l’État que son territoire devienne le refuge de malfaiteurs ayant commis des infractions graves en raison d’une quelconque non-réciprocité. Cela causerait du tort à la société en ce qu’elle doit être protégée des malfaiteurs et augmenterait la criminalité interne, le tout au nom du respect de la réciprocité. L’abandon de la réciprocité en tant que condition de l’extradition ne signifie pas pour autant l’abandon pur et simple de la double incrimination120.

114 D’autres principes sont également essentiels comme le principe de non-extradition des nationaux et

l’exonération des infractions politiques et militaires.

115 Jacob-M. VAN BEMMELEN, « les problèmes actuels de l’extradition », RIDP, 1968, p. 375.

116 Pierre-Marie DUPUY et Yann KERBRAT, Droit international public, 12e édition, Dalloz, 2014, p. 444,

n° 416.

117 Henri J. FERAUD, « les problèmes actuels de l’extradition », RIDP, 1968, p. 543. 118 Maurice TRAVERS, L’entraide répressive internationale, SIREY, 1928, p. 29. 119 Heinrich GRUTZNER, « les problèmes actuels de l’extradition », RIDP, 1968, p. 383. 120 Ibid.

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60. Partant de l’extradition comme un facteur de lutte contre la criminalité, elle en devient un instrument de droit pénal international à part entière afin de protéger les nations concernées des diverses atteintes à leurs valeurs ou leur stabilité. Dès lors les États ont tout intérêt à s’accorder. Malgré tout il est possible que l’État requis ne s’associe pas à la répression des faits faisant l’objet de l’extradition, ne les considérant pas comme des actes délictuels121. Cet intérêt ne doit cependant pas pousser à accorder l’extradition, car au fil

du développement du droit international et de l’extradition au cours du XVIIIe siècle, la

double incrimination a commencé à s’imposer dans les traités d’extradition. Citons par exemple le Traité de Jay entre les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni en 1794, et le Traité d’Amiens de 1802 entre la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Espagne, jamais entré en vigueur mais traitant de la double incrimination de manière claire. En effet, l’article XX de ce Traité prévoit que l’extradition « des personnes accusées des crimes de meurtre, de falsification ou banqueroute frauduleuse, commis dans la juridiction de la partie requérante, pourvu que cela ne soit fait que lorsque l’évidence du crime sera si bien constatée, que les lois du lieu où l’on découvrira la personne ainsi accusée, auraient autorisé sa détention et sa traduction devant la justice, au cas que le crime y eût été commis »122.

Malgré l’évaluation de l’extradition en droit international, on ne peut qu’observer que la double incrimination est bien installée en tant que l’une des conditions de fond auxquelles l’extradition peut ou doit être subordonnée, aux côtés de la réciprocité et des questions relatives aux nationaux123.

61. On distingue trois phases dans la conceptualisation de l’extradition : la première est la phase contractuelle au cours de laquelle deux États s’engagent à se livrer mutuellement les délinquants, la deuxième est la phase législative au cours de laquelle l’État construit un régime juridique encadrant l’extradition en droit interne, la troisième est la phase universelle au cours de laquelle l’extradition est soumise à un régime, une loi, ou un

121 Didier REBUT, op. cit. n° .7.

122 Jean-Marc THOUVENIN, « L’extradition », in Droit international pénal, 2e édition, Pedone, 2012 p. 1109

123 Maurice TRAVERS, Le droit pénal international, op. cit. n° 1991, p. 386 et s.

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instrument unifié par tous les États124. Cette analyse fut critiquée par la doctrine car elle

reste limitée au contexte de son époque, surtout après l’adoption de la Loi du 10 mars 1927 considérée comme un progrès en la matière. En effet, elle mit fin à une longue phase contractuelle de l’extradition pour amener logiquement l’extradition vers une phase universelle soumise à une loi unifiée de l’extradition. Mais l’histoire contemporaine a démenti cette analyse en prouvant que les États ont continué de conclure des conventions bilatérales ou plus, des conventions géographiquement limitées en matière d’extradition125. La double incrimination n’a pourtant pas été supprimée à l’instar du

principe de réciprocité, car elle reste une condition liée à l’ordre public de l’État requis. Citons à ce propos le rapport de M. Vallier au Sénat : « si, lit-on dans ce rapport, l’acte imputé est considéré comme un fait licite ou insignifiant, il est inadmissible qu’il puisse donner lieu à extradition car ce serait en quelque sorte, contraire à l’ordre public de cet État »126.

62. Puisque la double incrimination est une condition sine qua non de l’extradition, conçue comme une procédure de livraison d’un individu par un État à un autre État, il convient alors de faire une distinction entre l’extradition proprement dite et d’autres procédures assimilées. Elle se distingue de la procédure de « remise » à la Cour pénale internationale qui est définie comme « le fait pour un État de livrer une personne à la Cour en application du statut »127, et de la procédure de « transfert » d’une personne aux tribunaux

pénaux internationaux ad hoc, qui consiste en la remise d’une personne par un État à l’un des tribunaux pénaux internationaux (art. 29-2 du Statut du Tribunal pénal pour l’ex- Yougoslavie ; art. 28-1 du Statut du Tribunal pénal pour Rwanda ; art. 15-2 du Tribunal spécial pour Liban). Il convient également de distinguer l’extradition en tant qu’instrument classique de la coopération internationale en matière pénale, du mandat

124 Henri DONNEDIEU DE VABRES, « Le régime nouveau de l’extradition d’après la loi de 10 mars 1927 »,

Revue de droit international privé, 1927, p. 169 et s.

125 Didier REBUT, op. cit. n° . 14.

126 Rapport Vallier, 4 mars 1926, Doc. Parlementaires, Sénat 1926, annexe 114, p. 160. Cité in Maurice

TRAVERS, L’entraide répressive international, op. cit. p. 55.

127 Art. 102 du Statut de la Cour Pénale Internationale du 17 juillet 1998, disponible sur www.icc-cpi.int.

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d’arrêt européen. En effet, ce dernier diffère de l’extradition par la suppression de la procédure formelle d’extradition entre les États membres et en donnant un caractère purement judiciaire à son exécution en particulier avec l’exonération de toute dimension politique ou toute application de la réciprocité dans son exécution128. Le mandat d’arrêt

européen se caractérise également par la simplification des procédures applicables, la possibilité de remettre les nationaux et la suppression partielle du contrôle de la double incrimination129.

En matière d’extradition et de procédure équivalentes, deux types de normes doivent — enfin — être appréhendées : les normes internationales qui régissent l’extradition ou les procédures équivalentes entre deux ou plusieurs États (§ 1), et les normes internes des États qui permettent de compléter les normes internationales en ce domaine ou les remplacer (§ 2).

§ 1. Les normes internationales et européennes consacrés

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