1.4 Micro-natation
1.4.3 Contributions de la thèse : contrôlabilité de nageurs à deux et trois
Cette section présente les résultats publiés dans [GLMP18] avec Laetitia Giraldi, Pierre Lissy et Jean-Baptiste Pomet et dans [Mor19].
Ces résultats décrivent les propriétés de contrôlabilité des nageurs à deux et trois segments au voisinage de leur position d’équilibre. Pour chacun des nageurs, on traite quelques cas particuliers dans les propositions 1.53 et 1.57 avant d’énoncer le résultat général dans les Théorèmes 1.55et 1.60.
On utilise dans les propositions qui suivent la notion de STLC, introduite dans la Défi- nition1.5.
Proposition 1.53. Le nageur à deux segments est :
— STLC en (0, (0, 0)) si M1+ M2 = 0 ;
— non-STLC en (0, (β, 0)) pour tout β ∈ R si M1= 0, M2= 0 ou M1− M2 = 0.
La démonstration de cette proposition est effectuée dans le Chapitre6(Proposition6.17). Hypothèse 1.54. Pour le nageur à deux segments, on suppose que les magnétisations M1 et M2 vérifient M16= 0, M26= 0, M1− M26= 0 et M1+ M2 6= 0.
Mon résultat principal sur le nageur à deux segments est le suivant :
Théorème 1.55 ([Mor19] et Chapitre 6, Théorème 6.21). Sous l’hypothèse 1.54, le nageur à deux segments est STLC en (0, (γ2, 0)) avec
γ2 = κ 1 M1 + 1 M2 .
De plus, il n’est pas STLC en (0, (β, 0)) si β 6= γ2.
Éléments de preuve. On démontre le théorème ci-dessus en deux temps :
Preuve de la non-STLC. Soit β 6= γ2. On utilise la condition nécessaire fournie par le
Théorème1.27. En effet, on peut vérifier que le système (1.56) satisfait : — G0(0) = G1(0) = 0
— [G2, [G0, G2]](0) = γ2[G2, [G1, G2]](0).
(on rappelle que R1(0) désigne ici le sous-espace de R4engendré par les crochets de Lie itérés
de G0, G1, G2 contenant au plus une fois G2 et évalués en 0.)
On peut donc conclure, en appliquant le Théorème 1.27, que le nageur n’est pas STLC en (0, (β, 0)).
Preuve de la STLC en (0, (γ2, 0)). On définit Hek = Hk+ γ2 pour obtenir le nouveau
système
˙
z =Ge0+HekGe1+ H⊥Ge2. (1.58)
avec Ge0= G0− γ2G1,Ge1= G1 etGe2 = G2. On vérifie alors que
— (1.58) satisfait la LARC en (0, (0, 0)) (voir Définition1.11),
— (1.58) satisfait la condition de Sussmann S(1) (voir Définition 1.16).
D’après le Théorème1.17, ces conditions impliquent la STLC en (0, (0, 0)) du système (1.58), et donc la STLC en (0, (γ2, 0)) de (1.56).
Une version détaillée de cette preuve est présentée dans le Chapitre 6.
Remarque 1.56. Le Théorème 1.55, publié dans [Mor19], s’inscrit dans le prolongement d’un premier résultat sur le nageur à deux segments, publié dans [GLMP18] qui affirme que le nageur à deux segments n’est pas STLC en (0, (0, 0)). Ce résultat est donc contenu dans le Théorème 1.55. Cependant, la preuve présentée dans [GLMP18], plus constructive, apporte un intéressant complément aux arguments développés dans [Mor19]. Voir à ce sujet la remarque 3.19dans le Chapitre 3 et le Chapitre4 qui reprend [GLMP18].
On étudie maintenant le cas du nageur à trois segments.
Proposition 1.57. Supposons que l’une de ces conditions soit vérifiée :
— M1− M3= 0 ;
— (M1+ M3 = 0 et M2 = 0) ;
— 9M2(M1+ M3) − 5M1M3− 7M22= 0 ;
Alors, le nageur à trois segments n’est pas STLC en (0, (β, 0)) avec β ∈ R.
La démonstration de cette proposition est effectuée dans le Chapitre 5 (Assumption6.8). Hypothèse 1.58. Pour le nageur à trois segments, on suppose que les magnétisations M1,
M2 et M3 vérifient M1− M36= 0; (M1+ M36= 0 ou M2 6= 0); 9M2(M1+ M3) − 5M1M3− 7M226= 0; P (M1, M2, M3) 6= 0, (1.59) avec
1.4 Micro-natation
Remarque 1.59. La dernière de ces quatre conditions, non traitée dans la proposition1.57, correspond à une expression apparaissant dans les calculs de la preuve du Théorème 1.60. La question de la contrôlabilité du nageur quand P (M1, M2, M3) = 0 reste ouverte. Les
simulations numériques montrent que, dans ce cas et avec un contrôle Hk au voisinage de
γ3, on a approximativement α1 = α2 en tout temps (voir la Figure 1.5). Cela peut suggérer
que le mouvement du nageur est alors limité et que le système n’est pas contrôlable. Mon résultat principal sur le nageur à trois segments est le suivant :
Théorème 1.60 ([Mor19] et Chapitre 6, Théorème 6.10). Sous l’hypothèse 1.58, le nageur à trois liens est STLC en (0, (γ3, 0)) avec
γ3 = κ
17(M1+ M3) − 16M2
9M2(M1+ M3) − 5M1M3− 7M22
.
De plus, il n’est pas STLC en (0, (β, 0)) si β 6= γ3.
La démonstration de ce théorème suit la même structure que celle du Théorème 1.55et est détaillée dans le Chapitre 6.
Remarque 1.61. Les théorèmes 1.55 et 1.60 démontrent en particulier que les nageurs étudiés ne sont en général pas localement contrôlables en (0, (0, 0)), c’est-à-dire avec des « petits » champs magnétiques. Ce manque de contrôlabilité est la traduction du fait que les champs G1 et F1 s’annulent en 0 : la composante parallèle du champ magnétique ne peut
pas agir sur le nageur lorsque celui-ci est aligné.
Ces résultats présentent un intérêt théorique du point de vue de la contrôlabilité des systèmes, mais fournissent aussi des informations importantes pour les applications en micro- natation. L’expression explicite des contrôles à fournir pour obtenir la STLC, et l’aspect des simulations numériques, contribuent à mieux comprendre la façon dont ce type de nageur se déplace.
Simulations numériques
Pour visualiser numériquement les résultats des Théorèmes 1.55 et1.60, on calcule des trajectoires à partir de l’équilibre 0 avec des contrôles restant « proches » du contrôle d’équi- libre. Soit β ∈ R et ε > 0. On définit les contrôles
Hk(t) = β + ε(h1+ h2cos(10t) + h3cos(100t)),
H⊥(t) = ε(h4+ h5cos(10t) + h3cos(100t)),
(1.60)
avec h1 à h6 des constantes prises aléatoirement dans [−1, 1]. En calculant et dessinant un certain nombre de ces trajectoires sur un petit intervalle de temps, on peut s’attendre à ce qu’elles recouvrent « à peu près » l’espace atteignable, permettant ainsi d’observer d’éventuelles régions inatteignables.
Les figures 1.4 pour le nageur à 2 liens et 1.5 pour le nageur à 3 liens présentent les résultats de ces simulations. On peut effectivement observer que seules les valeurs γ2 et γ3
permettent aux nageurs de couvrir un voisinage de l’origine dans le plan (x, y).
Pour le nageur à trois liens, on observe également sur la Figure 1.5 (graphique en bas au centre) le phénomène décrit dans la remarque 1.59, qui se produit pour les angles α1 et
(a) β = 0.5γ2 (b) β = 0.9γ2 (c) β = γ2 (d) β = 1.1γ2 (e) β = 1.25γ2
Figure 1.4 – Illustration de la contrôlabilité locale du nageur à deux liens. Sur chaque graphique, l’évolution de (x, y) pour 30 trajectoires a été dessinée avec des réalisations des contrôles (1.60) pris autour de (β, 0). Quand β est différent de la valeur critique γ2, les trajectoires restent systématiquement à gauche ou à droite de l’origine. Seul le contrôle de référence (γ2, 0) permet aux trajectoires de couvrir un voisinage de l’origine (graphique
central). Valeurs numériques utilisées : η = 4, ξ = 2, ` = 1, M1 = 1, M2= 3, k = 1, ε = 10−2,
T = 1.
α2 lorsque le polynôme P (M1, M2, M3) défini en (1.59) s’annule. Les simulations semblent
montrer que dans ce cas, on a appproximativement α1 = α2 en tout temps au voisinage du contrôle de référence (γ3, 0), ce qui n’est pas le cas si P (M1, M2, M3) 6= 0. Le nageur semble
ainsi « moins » contrôlable dans cette situation, sans que je puisse à ce stade démontrer qu’il est ou non STLC.
1.4.4 Perspectives
Extension à N segments
On peut généraliser par analogie le modèle des nageurs à deux et trois segments à une formulation à N segments avec N > 4. Les nageurs magnétiques à N liens sont étudiés dans [ADGZ15], où il est montré qu’ils peuvent avancer dans certaines directions en étant soumis à un champ magnétique oscillant. Les expériences réalisées notamment dans [AFPRG19] (voir la Figure1.3-(f)) valident une version 3D de ce modèle et résolvent un problème de contrôle optimal pour maximiser le déplacement du nageur sur une période.
Comme pour les nageurs à deux et trois liens, on se ramène à un système du type ˙zN = F0+ Hk(t)F1+ H⊥(t)F2. (1.61)
et on étudie la contrôlabilité en (0, (β, 0)) avec β ∈ R.
La complexité des expressions mises en jeu devient néanmoins trop grande pour pouvoir calculer explicitement les champs de vecteurs, les crochets de Lie d’intérêt, et a fortiori des valeurs critiques analogues à γ2 et γ3, même à l’aide d’un logiciel de calcul formel. J’ai en revanche démontré le résultat suivant :
Proposition 1.62. Pour le nageur à N segments, [F2, [F0, F2]](0) et [F2, [F1, F2]](0) sont
colinéaires.
La démonstration de cette proposition est effectuée dans l’Appendice A, section A.3. On en déduit que :
— s’il existe une valeur γN tel que [F2, [F0, F2]](0) = γN[F2, [F1, F2]](0), alors cette valeur
1.4 Micro-natation
Figure 1.5 – Illustration de la contrôlabilité locale du nageur à trois liens. Sur chaque couple de graphiques, l’évolution de (x, y) et de (α1, α2) pour 15 trajectoires a été dessinée
avec des réalisations des contrôles (1.60) pris autour de (β, 0). Quand β est différent de la valeur critique γ3, les trajectoires dans le plan (x, y) restent systématiquement à gauche
ou à droite de l’origine. Seul le contrôle de référence (γ3, 0) permet aux trajectoires de
couvrir un voisinage de l’origine. La deuxième rangée de graphiques montre le changement de comportement du système dans le plan (α1, α2) quand β = γ3 et P (M1, M2, M3) = 0.
Valeurs numériques utilisées : η = 4, ξ = 2, ` = 1, M1 = 8 (première rangée), M1 = 7.069 (deuxième rangée), M2 = 10, M3 = 4, k = 1, ε = 10−2, T = 1.
STLC en (0, (β, 0)) pour β 6= γN.
— γN existe en général, c’est-à-dire à l’exclusion uniquement de conditions génériques sur les magnétisations analogues à celles des hypothèses1.54 et1.58.
Par ailleurs, dans la section1.5et les Chapitres7et8, on utilise également un modèle de type N liens pour étudier des filaments élastiques non magnétisés à bas nombre de Reynolds. Nageur coudé à l’équilibre
Suivant la remarque 1.61, on peut se demander s’il n’est pas préférable de considérer un nageur « coudé » qui ne serait pas rectiligne à l’équilibre, de façon à ce que le contrôle Hk
puisse agir dessus. Dans [GLMP16], j’ai étudié un exemple de tel nageur à 3 liens coudé, dans lequel on remplace le couple élastique Tel3 = κα2 par
Tel3 = κ(α2− α0), (1.62)
avec α0 6= 0. L’état ((0, 0, 0, 0, α0), (0, 0)), noté (z0, (0, 0)), devient alors un état d’équilibre.
On présente brièvement les résultats développés dans [GLMP16]. Définissons la STLC par-
tielle pour les variables x et y :
Définition 1.63. Le système de contrôle associé au nageur coudé est dit partiellement STLC
en (z0, (0, 0)) pour les variables x et y si, pour tout ε > 0, il existe des voisinages V de z0 et
W de (0, 0) tel que pour tout zi dans V et (x1, y1) dans W, il existe un contrôle (Hk, H⊥)
défini sur [0, ] tel que la trajectoire du nageur partant de zi vérifie :
Figure 1.6 – Suivi de trajectoire le long d’une ligne droite pour le nageur à 3 liens coudé. Sur le dernier graphique représentant le nageur à t = 30s, on peut observer qu’il s’approche de la forme rectiligne α1 = α2= 0 (c’est également visible sur le graphique en haut à gauche, qui
représente l’évolution de α1 (en vert) et α2 (en rouge) en fonction du temps. Le graphique en bas à droite montre l’évolution des contrôles au cours du temps : le contrôle Hk (en bleu)
nécessaire pour poursuivre le suivi de trajectoire explose en fin de simulation.
— pour tout t dans [0, ε], |Hk| 6 ε et |H⊥| 6 ε.
Remarque 1.64. Pour un tour d’horizon plus complet de la notion de contrôlabilité par- tielle, voir par exemple [Dup15, Chapitres I et IV].
En linéarisant le système associé au nageur coudé autour de son état d’équilibre (z0, (0, 0))
et en calculant la matrice de Kalman, j’ai montré le résultat suivant :
Proposition 1.65. Le nageur coudé à 3 segments est partiellement STLC en (z0, (0, 0))
pour les variables x et y.
En fait, puisqu’on a deux contrôles et qu’on cherche à contrôler deux paramètres, on peut même inverser un système pour faire directement suivre à l’extrémité du nageur une trajectoire (x(t), y(t)) prescrite... jusqu’à ce que les trois segments s’alignent entre eux, c’est- à-dire que α1 = α2 = 0 à un certain instant. Quand cela arrive, cette méthode (naïve) de
suivi de trajectoires échoue (voir Figure 1.6). La question de savoir si on peut contrôler le nageur coudé en évitant de passer par un état où α1 = α2 = 0 reste ouverte.
Extension à un modèle 3D
Tous les résultats de cette section portent sur des nageurs en deux dimensions. Dans le cas en trois dimensions, la contrôlabilité quand on contrôle la déformation a été étudiée dans [LM14, GMZ13]. Il serait intéressant de savoir dans quelle mesure les propriétés de contrôlabilité en 2D sont conservées ou modifiées en 3D dans le cas avec contrôle par champ magnétique.