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1.4 Micro-natation

1.4.1 Contexte

Propulsion à bas nombre de Reynolds

Nager, c’est l’action de se déplacer à l’intérieur d’un fluide en se déformant. À notre échelle, les stratégies de natation font en général appel à l’inertie du fluide. Un exemple classique est celui de la coquille Saint-Jacques qui s’ouvre lentement et se ferme rapide- ment, utilisant ainsi l’inertie pour produire un déplacement net dans le sens opposé à son ouverture. La situation est très différente pour un organisme ou un robot microscopique. Le nombre de Reynolds, qui mesure le rapport entre les effets inertiels et les effets visqueux, est proportionnel à la longueur caractéristique de l’objet considéré, et vaut environ 103 à 104 pour un humain nageant dans l’eau. Pour un micro-organisme tel qu’un spermatozoïde, qui mesure seulement quelques dizaines à quelques centaines de micromètres, ce nombre est bien inférieur à 1 (10−4 à 10−5) ; on est alors dans un régime appelé écoulement de Stokes où les effets inertiels sont négligeables face aux effets visqueux. Dans une présentation [Pur77] considérée comme fondatrice du domaine de la micro-natation, Purcell appelle ce phénomène le théorème de la coquille Saint-Jacques : à bas nombre de Reynolds, faire des mouvements réversibles conduit à faire du sur-place. Ce régime de Stokes, bien particulier, justifie que la micro-natation constitue un domaine à part entière.

Micro-robots nageurs

L’étude de la micro-natation a notamment pour but de concevoir de robots capables de se déplacer efficacement à cette petite échelle. De tels robots offriraient de nombreuses applications dans le domaine biomédical : robots livreurs [CHS+17] qui délivrent des médi- caments à des endroits précis du corps humain en se déplaçant dans les vaisseaux sanguins ou à travers les tissus ; robots capteurs [BKJH+11] capables de collecter des informations

Figure 1.2 – Quelques exemples et illustrations de micro-robots nageurs. (a) Robot chimique propulsé par production de bulles de gaz [SMBU+09]. (b) Vue d’artiste de robots chimiques appelés « sphères de Janus » [GLA05]. (c) Robot magnétique en forme de tire-bouchon [PZN13]. (d) Vue d’artiste de micro-robots chirurgiens. (e) Robot biologique propulsé par un spermatozoïde capturé dans un tube magnétique permettant de fixer la direction souhaitée [MMSC+15]. (f) Robot magnétique de la forme étudiée dans la thèse, astreint ici à nager le long d’un cercle [AFPRG19].

dans des endroits inaccessibles aux capteurs ordinaires ; robots nettoyeurs [WLdÁ+15] qui attrapent une substance indésirable (par exemple toxique pour l’organisme) et la capturent pour la déplacer ailleurs ou la faire disparaître ; robots chirurgiens [LRB+09] qui pourraient réaliser des actes chirurgicaux peu intrusifs.

Dans tous les cas, ces micro-nageurs doivent être capable se déplacer efficacement, ra- pidement et avec précision. Différentes stratégies peuvent être envisagées pour les pro- pulser : propulsion à l’aide d’une réaction chimique [SMBU+09], d’un champ magnétique [PZN13,GSM+10,GF09], d’un micro-nageur biologique [MMSC+15], d’un champ de pression acoustique [GGOS+13], d’un gradient de température, etc. La Figure1.2présente quelques exemples.

On renvoie à [Wan13,LdÁG+17,PF18] pour des revues plus complètes sur l’état de l’art en matière de micro-robots nageurs et de leurs applications.

Contrôlabilité

À bas nombre de Reynolds, la dynamique d’un nageur quelconque s’exprime comme un système d’équations différentielles ordinaires, linéaires en les dérivées des paramètres de position. On peut alors voir ce type de système comme un système de contrôle et étudier sa contrôlabilité.

Les premiers travaux dans ce domaine [SW89] supposent que le contrôle est donné par la déformation du nageur : c’est en changeant sa forme qu’on produit un déplacement. Citons par exemple le nageur de Purcell constitué de trois segments reliés par des liai-

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sons élastiques, dont on étudie une version magnétisée dans la suite. D’autres études sur la contrôlabilité de nageurs par déformation sont effectuées dans [MTT07, Loh12, LM14, LST13, ADGZ13, GMZ13, LST13]. Dans ce cas, la dynamique est régie par un système contrôle-affine sans dérive. On a vu qu’on dispose alors de résultats puissants de contrôla- bilité dûs à la géométrie sous-riemannienne, comme le théorème de Rashevskii-Chow. De nombreux résultats de contrôle optimal ont également été obtenus dans ce cadre : citons [TH07,ADL08,ADH+13,CGM14]

Quand on agit indirectement sur la déformation du nageur via un champ magnétique comme dans la suite, la commandabilité est plus délicate à obtenir. On peut le comprendre intuitivement : on n’a alors plus que deux ou trois contrôles (les composantes du champ magnétique dans le plan ou l’espace) pour agir sur l’ensemble des paramètres de position et de forme du nageur. Le système de contrôle associé présente quant à lui une dérive. Comme on l’a vu en section 1.2, les résultats de contrôlabilité pour les systèmes avec dérive sont moins généraux et l’on ne connaît pas de condition nécessaire et suffisante de contrôlabilité locale.

Pour ma part, je me suis intéressé à la contrôlabilité d’un modèle de robot à liens élastique planaire, contrôlé à l’aide d’un champ magnétique extérieur [GO14, ADGZ15]. La contrô- labilité du nageur magnétique à deux liens a été d’abord étudiée dans [GP17]. Les auteurs montrent que les techniques standard (étude du linéarisé, condition de Sussmann) échouent à démontrer sa contrôlabilité locale au voisinage de la position d’équilibre. Ils obtiennent un résultat de contrôlabilité locale « faible » (α-STLC, voir Définition 1.6) en adaptant la méthode du retour de Jean-Michel Coron [Cor07, Chapter 6], conçue à l’origine pour établir la contrôlabilité locale de certaines EDP.

Dans ma thèse, j’ai introduit une nouvelle approche, inspirée des travaux de Sussmann [Sus83], qui consiste en quelques mots à construire un développement judicieux de la so- lution contrôlée au voisinage de la position d’équilibre. J’ai pu grâce à cela montrer la non-contrôlabilité à l’équilibre du nageur magnétique à deux liens [GLMP18]. J’ai ensuite généralisé cette approche pour déduire une condition nécessaire générale de contrôlabilité locale, présentée en section 1.2(Théorème 1.27), et résoudre plus largement la question de la contrôlabilité locale des nageurs à deux et trois liens au voisinage de leur équilibre. Ainsi, les Théorèmes 1.55 et 1.60 montrent que la contrôlabilité locale en temps petit de ces na- geurs n’est possible que si le champ magnétique appliqué au robot reste proche d’une valeur constante bien particulière, qui dépend des paramètres de magnétisation du robot.

Dans la section1.4.2, on décrit succinctement le modèle, puis on présente dans la section 1.4.3 les résultats de contrôlabilité obtenus pour les nageurs, illustrés par des simulations numériques. Enfin, la section2.4.4est consacrée aux perspectives futures.

Les résultats de cette section ont été publiés dans [GLMP18] et [Mor19], reproduits aux Chapitres 5et6.

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