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Chapitre 1: L’état de l’art

2.2 La contribution de l’agriculture locale dans l’approvisionnement des villes

Historiquement, les villes ne produisent pas ce qu’elles consomment (Ascher, 2001), et elles utilisent leur hinterland agricole afin de subvenir à leurs besoins en denrées alimentaires. Selon le schéma de Johann Heinrich von Thünen (1783-1850), père de l’économie géographique, les ceintures maraîchères se localisent près des villes (Mathieu, 2003, p. 923), avec les produits périssables à proximité immédiate et les produits céréaliers, voire l’élevage, un peu plus loin. Sans entrer dans le détail explicatif de la rente foncière, mise en avant par certains auteurs (Sinclair, 1967; Bryant, 1989; Poulot, 2015), il s’agit de mesurer l’organisation auréolaire des productions agricoles autour des communes, nécessaires pour nourrir la ville proche (voir schéma ci-après). Ce schéma (fig.2) permet de mesurer l’importance des localisations des denrées agricoles et leur spécialisation suivant le centre de la ville et selon une logique d’approvisionnement.

Comme illustré dans le schéma ci-après, les zones de chalandise sont concentriques, autour de la ville-centre, et permettent de fournir à une distance réduite les produits dont la conservation est difficile: lait, fruits, légumes et animaux qui produisent le lait. Cette première couronne nécessite une intensification du travail de la part de l’agriculteur. On trouve ensuite la sylviculture qui permet aux habitants de se chauffer et, dans la troisième couronne, les céréales dont la conservation est plus facile. Enfin, très loin du centre-ville, les terres sont occupées par les élevages destinés à nourrir les populations. Dans sa thèse de doctorat, Phlipponneau, en

74 1956, note aussi que « la ville a fait naître à ses portes une zone de cultures spécialisées destinées à l’approvisionner en produits frais » (Poulot, 2015). D’où l’importance de la proximité géographique des denrées alimentaires destinées à la ville.

Figure 2: Schéma du principe du modèle de von Thünen

Source: Myriam Baron, Hypergéo, 2010.

Néanmoins, depuis l’avènement de l’automobile et l’étalement des villes en dehors de leurs remparts, la configuration spatiale de la ville et son hinterland agricole ont été ébranlés. Ce changement est imputé au phénomène de la périurbanisation, arrivé très tôt, dès les années 1950-1960 dans les pays nord-américains, et dans les décennies 1960-1970 en Europe. Une rupture de ce schéma développé par le hobereau allemand von Thünen sur l’approvisionnement des villes par une agriculture locale, de proximité, est en marche (Phlipponneau, 1956; Poulot, 2015). Ce bouleversement dans l’approvisionnement des villes s’opère en réalité dès 1925, en particulier dans les pays développés, mais il reste encore d’application dans un grand nombre de pays en développement, comme certains chercheurs l’ont montré (Aubry et al., 2008 et 2012; Aubry, 2015).

La ville s’autonomise vis-à-vis de l’agriculture locale et tend de plus en plus à s’approvisionner à des milliers de kilomètres, très loin de ses ceintures maraîchères. Elle est passée à une agriculture mondialisée (Charvet, 2007), déconnectant les habitants de leurs agriculteurs. Cet affranchissement a été rendu possible à travers les nombreux progrès qu’a connus le monde agricole. Ces changements, tant structurels (agrandissement des fermes) que techniques (mécanisation), mais également ceux réalisés en agronomie, ont permis de multiplier les rendements par quatre depuis le premier quart du XXe siècle (Mazoyer et Roudart, 2002). À cela s’ajoutent les progrès dans les transports réfrigérés et les modalités de conservation des

75 produits dits périssables. De plus, l’extension de la ville s’est tout naturellement faite sur les terres qui la jouxtent, mettant à mal ces ceintures maraîchères, qui ont disparu ou ont été déplacées (BAGF, 1994). Toutefois, depuis l’Antiquité, les hommes ont toujours échangé leurs produits agricoles afin de nourrir les populations (Charvet, 2007; Fleury et Vidal, 2010), et l’agriculture a très tôt été insérée dans un système d’échanges qui a permis le développement de l’humanité (Fleury et Vidal, 2010). Dès la fin du XIXe siècle, des espaces agricoles aux

particularités liées à la fois aux territoires et aux hommes se constituent et exportent vers les marchés mondiaux.

Comme le souligne Jean-Paul Charvet: « La mondialisation de l’alimentation efface chaque jour davantage l’espace et le temps: les consommateurs des pays riches peuvent désormais se procurer en toute saison des denrées alimentaires venues de tous les continents» (2007 : 1). C’est surtout le capitalisme industriel qui a propulsé, dès le début du XXe siècle, l’agriculture

dans ces échanges mondiaux, élargissant de fait les marchés de consommation, partout dans le monde. Comme le notent certains chercheurs, c’est à cette époque que naît le « système alimentaire mondial » (Rastoin et Ghersi, 2010). Ce système façonnera l’agriculture dans le monde entier, entrant dans une phase de transformation dans laquelle les firmes agro- industrielles lui dictent ses attentes et son intégration dans les industries agro-alimentaires. Dès cette période, les productions maraîchères sont déplacées (Poulot: 58, 2015) là où la main- d’œuvre est la moins onéreuse et où les conditions climatiques leur sont favorables. Nous assistons à une réelle césure entre bassins de production et bassins de consommation, donnant lieu à des productions de masse spécialisées, dont les prix sont tirés vers le bas.

Pourtant, depuis quelques années, force est de constater que de plus en plus de consommateurs tentent de s’approvisionner à travers une agriculture locale, synonyme de « bien manger » (Maréchal et al., 2008). Bien que ce mouvement soit visible dans un nombre de pays de plus en plus important, les conditions de mise en place de cet approvisionnement local passent par une agriculture de proximité. Cette dernière semble peu en mesure d’y répondre, ce qui a conduit des chercheurs à tenter de la quantifier. C’est en particulier dans les pays développés que cet exercice difficile a été mené, reposant sur des études prospectives et bien compliquées à mettre en œuvre.