• Aucun résultat trouvé

Contraintes budgétaires et changements institutionnels transforment la gestion des agents

1. Budget, cadre législatif et changement institutionnel : les facteurs d’évolution de la gestion des agents

1.1. Contraintes budgétaires et changements institutionnels transforment la gestion des agents

1.1.1. De moins en moins de fonctionnaires dans les collectivités territoriales ?

Le recours au contrat court s’inscrit d’abord dans un contexte général de déficit budgétaire des collectivités territoriales : parmi d’autres dépenses en hausse, les collectivités peinent à financer l’accroissement mécanique de la masse salariale avec le vieillissement des agents en poste146, alors que les dotations de l’État diminuent ainsi que leurs propres recettes fiscales.

« Mécaniquement, on aura à faire des économies, ça ce n’est pas nouveau. Je veux dire, vous embauchez une équipe : ils sont jeunes, ils sont beaux. Mais au plus ils vieillissent, au plus ils coûtent cher, de facto, au plus le temps passe et plus votre masse salariale, même identique en nombre, vous coûte plus cher […] Le contexte aujourd’hui est trop contraint. Les difficultés se posent plus fort chez nous avec nos 500 agents… Et les rentrées sont moins importantes, les taxes professionnelles, les réformes de la fiscalité locale, la commune s’appauvrit, on a moins de confort, donc moins de saisonniers. » (MAIRIE1-G)

De ce fait, les collectivités publiques sont, comme les ministères et établissements publics d’État, sommées de réduire le nombre de fonctionnaires pour diminuer leurs dépenses et rééquilibrer leurs budgets. Dans de nombreuses collectivités, cette politique se traduit de plusieurs manières : non remplacement des départs en retraite des agents titulaires et diminution des recrutements sous statut.

« Ces difficultés sont accrues avec les baisses de subventions et la volonté depuis dix ans de réduire le nombre de fonctionnaires où on ne remplace pas deux ou trois fonctionnaires sur cinq qui partent à la retraite, donc ça repose sur ceux qui restent. » (GEST-AVI)

C’est ainsi la baisse des effectifs statutaires qui entraînerait, dans les collectivités enquêtées, un recours accru aux agents en CDD, notamment en contrat court, pour absorber la charge de travail laissée par les départs non remplacés. Les enquêtés évoquent par ailleurs la généralisation d’une logique de flexibilisation et de précarisation des emplois, les agents en CDD (ou en CDI) étant préférés aux fonctionnaires même pour des besoins inscrits dans la durée147.

« On a besoin de recruter mais on n’a pas de possibilités pour des titulaires. Beaucoup de collectivités font des CDI sans respecter les règles. On ne peut pas être toujours dans les clous mais on essaie de respecter les règles au maximum » (MAIRIE2-G)

« Normalement, on ne peut pas faire des CDD sur des emplois permanents mais on ne peut pas faire autrement, sinon il faudrait embaucher un fonctionnaire. Aujourd’hui, les collectivités ont moins de moyen, recruter sur CDD c’est moins cher que recruter un fonctionnaire, on privilégie cette modalité. » (MAIRIE3-G)

De fait, l’un des principaux avantages pour l’employeur public est qu’un agent en CDD coûte en moyenne moins cher qu’un agent titulaire, car il est embauché sur une base indiciaire faible (et que son salaire n’augmente pas avec l’ancienneté) : « on embauche [les contractuels] sur le premier échelon du grade la 146 Cet accroissement automatique de la masse salariale provient du fait que la rémunération des fonctionnaires augmente à mesure qu’ils acquièrent de l’ancienneté dans la grille indiciaire correspondant à leur grade. Ce phénomène est mesuré par un indicateur de gestion propre à la fonction publique, le glissement vieillesse technicité (Bezes, 2005).

147 Sur longue période, et à l’échelle de l’ensemble de la fonction publique territoriale, incluant communes, départements et régions ainsi que les établissements publics placés sous leur tutelle, Emilie Biland (2017) ne constatait pas de substitution des emplois titulaires par les emplois contractuels. Comme elle l’indiquait cependant, la Loi Transformation de la fonction publique (votée en 2019) instituant un plan de départs volontaires et encourageant la contractualisation a cependant pu changer la donne, amplifier cette tendance et accentuer le recul de la norme statutaire.

plupart du temps. Donc c’est sûr que ça coûte moins cher […] Mais c’est sûr, sur l’ancienneté, les indices de carrière, les primes, bon, il y a une petite économie souvent sur l’embauche en contractuel. » (COMCOM1-BRI)

Comme dans le domaine des activités hospitalières et de l’hébergement médico-social et social, la réduction des effectifs composant le noyau dur réduit les possibilités de flexibilité fonctionnelle interne, c’est-à-dire la redistribution du travail en cas d’absence. Cette pression croissante sur les effectifs permanents, accrue au fil des départs non remplacés, est mentionnée dans plusieurs entretiens :

« On a plus du tout ou presque de budget sur les embauches. Le contexte c’est ça, depuis les dernières élections, le choix politique sur la commune c’est celui-là, une restriction maximale des embauches. Les effectifs sont en baisse. Sur le service entretien, il y a eu pas mal de départs, mais il n’y pas de recrutement en interne, les effectifs sont au taquet. Donc dès qu’il manque quelqu’un ça se ressent car ils sont au minimum niveau effectif. » (MAIRIE-AVI)

Dernier point signalé dans les entretiens : la réduction des dépenses salariales peut aussi reposer sur la réduction du halo du marché interne, c’est-à-dire du nombre d’agents en CDD (dont certains pouvaient être renouvelés sur des périodes longues). Historiquement, les agents non titulaires ont toujours été les premiers concernés par les compressions de personnel (Ruiz, 2013).

« C’est le service public, donc les salariés pensent qu’ils sont toujours protégés, mais en fait on doit aussi avoir un équilibre budgétaire, etc. Donc bon, c’est sûr c’est les contractuels qui ont trinqué. » (COMCOM1-BRI)

Si le tableau d’ensemble paraît sombre, certains cas se distinguent par une politique de remplacement des départs à contrecourant des contractions du noyau dur, comme dans cette mairie :

« 500 agents pour une ville comme ça, normalement 250 agents est un ratio plus commun. Mais ici choix politique : service public plus nombreux, avec la crèche, services techniques, menuisiers, etc.., presque tous les services en régie. C’est ce qui explique le nombre de personnel titulaire. Personnel vieillissant, réduction des dotations, donc difficultés à trouver les bons compromis. Mais globalement, les effectifs ne virent pas. Remplacement un pour un, maintien autant que faire se peut d’un service public digne de ce nom. » (MAIRIE1-G)

Cet exemple rappelle avec force que la gestion de l’emploi public est le résultat de choix politiques : remplacer chaque départ à la retraite par un agent titulaire permet ici d’« internaliser » de nombreux services municipaux plutôt que de les sous-traiter (services techniques, menuiserie) ou de les confier en délégation de service public (crèche). Comme l’ont montré les comparaisons internationales sur ce sujet, les modes de gestion possibles se situent sur un continuum allant de l’externalisation à la prise en charge directe, toutes les situations d’hybridation étant possibles, et aucun choix n’étant irréversible (Grimshaw et al., 2012 ; Jaehrling, 2015). En France, les évolutions récentes du processus d’intercommunalité favorisent d’ailleurs la gestion directe des services et équipements publics, mais non sans bouleverser au passage les organisations et communautés de travail.

Les changements institutionnels qui contribuent à redistribuer les compétences des collectivités territoriales en matière de politiques publiques ont par ailleurs un impact sur les budgets disponibles et la gestion des ressources humaines.

1.1.1. La montée en puissance de l’intercommunalité bouleverse l’organisation du travail et la gestion des agents

En seulement dix ans, trois lois ont permis d’accélérer et de renforcer les formes institutionnelles de coopération entre communes, le plus petit échelon de l’administration territoriale148. Le terme d’intercommunalité résume ce phénomène, qui se traduit concrètement par la création d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : communautés de communes ou d’agglomération, et plus récemment métropoles. Si depuis l’origine, les intercommunalités ont pour objectif de permettre la gestion commune de certains services publics locaux, des formes de coopération plus intégrées se sont développées, parfois assorties d’un régime de fiscalité propre (Verpeaux et al., 2018). Dans ce cas, les communes délèguent à ces nouveaux échelons territoriaux des compétences en plus grand nombre, allant parfois jusqu’à certains pans de la gestion de leurs ressources humaines – dont les agents peuvent ainsi être « transférés » d’un employeur à l’autre.

Dans les cas les plus classiques de gestion commune d’équipements ou de service, comme dans le cas de la collecte d’ordures ménagères ou des piscines, évoqués ci-après, la gestion est « remontée » d’un échelon, « échappant » aux communes. Dans le cas évoqué ci-dessous, la réduction budgétaire se traduit par une réduction du nombre de saisonniers embauchés, et donc une diminution de l’ouverture de l’équipement. Elles ont des incidences en matière d’organisation.

« La piscine est passée en métropole, donc ce n’est pas nous qui nous en chargeons. Le contrat court sur la commune, pour nous c’est plus du remplacement. » (MAIRIE1-G)

« On était en commune et on est passés métropole, donc plus grand… on nous a réduit le budget sur l’embauche des saisonniers… chaque année ça diminue, mais on s’en sort quand même pour avoir des effectifs stables. On jongle quoi. Pour certaines collectes ou piscines, il nous faut un effectif particulier, c’est réglementé. Donc on a des problèmes pour embaucher à hauteur normale. Alors, on doit fermer certaines collectes ou piscines. Mais ce qu’on fait pour le moment c’est qu’on fait une durée plus courte, pour pouvoir les ouvrir mais à moindre coût entre guillemets. Donc pour le moment on ne ferme pas, mais on ouvre plus tard, ou moins longtemps… mais si on nous baisse toujours plus le budget on devra fermer. » (METROP-G) L’intercommunalité peut aussi complexifier le circuit décisionnel, l’autorité politique devant juridiquement valider toute décision d’embauche. À l’échelle de grandes métropoles, ceci entraîne un allongement des délais de signature, particulièrement dommageables lorsque le contrat court répond à un besoin urgent : « On a des problèmes quand même au niveau de l’organisation du travail. On a un délai de signature du contrat très, très, long. Il faut un mois pour que la présidence suive. Donc il nous faut anticiper sur 1 mois, 1 mois et demi. Maintenant qu’on est Métropole, on n’a pas le choix, les délais se sont rallongés. Évidemment, pour la présidence ça fait aussi une forme de travail massif en plus. C’est pour ça qu’on fait aussi appel à des vacataires : on peut parfois appeler la veille pour le lendemain... donc bon, on ne peut pas faire un contrat normal. Mais pour les saisonniers, c’est compliqué aussi. Lorsqu’on a des signatures de dernière minute, imaginez comme on peut avoir du mal ! En février, on démarre pour avril, et ensuite on continue pour mai juin juillet et août. Mais on a des problèmes en permanence sur cette période. Il faut mettre les gens en paye aussi... Il nous faut les documents administratifs, les gens ne les envoient pas forcément dans les temps, et nous il faut faire face pour maintenir le service public, donc c’est compliqué ! Pourtant on les appelle un par un pour leur expliquer, les horaires, le secteur, les documents à fournir etc. ! Mais on a toujours des soucis. » (METROP-G)

Les procédures d’embauche, qui requièrent l’échange de documents, le remplissage et la signature de formulaires, expliquent que certaines solutions sont privilégiées à d’autres : il est ainsi plus facile d’appeler directement quelqu’un qu’on connaît, pour lui demander de dépanner, que de passer par le circuit complet de recrutement en CDD. Si les recrutements pour des besoins permanents peuvent donc « remonter » à l’échelon intercommunal, les recrutements en urgence, pour des besoins urgents, restent donc gérés par les communes pour des raisons pratiques.

Dans la plupart des cas, la prise en charge des équipements ou des services amène les communautés de communes et d’agglomération à intégrer les agents qui s’occupaient déjà de l’équipement et du service dans les communes – voire à en embaucher de nouveaux. Intégrer de nouvelles équipes peut profondément transformer la composition de la main d’œuvre, et nécessiter un changement de culture organisationnelle, voire une modification profonde des modalités de gestion :

« Avec la nouvelle compétence déchets, nous avons changé d’ère, en termes d’effectif et en termes de sociologie du personnel. Avant, le personnel était essentiellement le personnel des services fonctionnels – agents de catégorie A, cadres, experts, mais avec cette nouvelle compétence nous avons intégré des personnels de catégorie B et C, ce qui a des impacts sur les accidents du travail et l’absentéisme. Nous avons intégré le personnel des communes qui était affecté aux déchets, certains étaient déjà en maladie. Ceci explique le recours aux contrats courts, pour remplacement. Il y a 3 ans, nous n’en faisions pas. Une agrégation petit à petit de nouvelles compétences, la création de l’agglo date de 2004, qui a des impacts sur l’organigramme, avec des disparités au sein de l’agglo en termes de conditions de travail, certains agents ont droit à des primes, d’autres non… » (COMCOM1-AVI)

La prise en charge de la compétence de collecte et tri des déchets a ainsi conduit cette communauté de communes à intégrer des agents ouvriers et techniciens dont les conditions de travail sont bien plus pénibles que celles des cadres et experts qui composaient l’équipe auparavant. La gestion du personnel a donc dû être réorientée vers la sécurité au travail, les absences consécutives aux accidents du travail et à la pénibilité sur ces postes étant compensées par des embauches en contrats courts. L’activité des gestionnaires de ressources humaines a ainsi été transformée du tout au tout, à la fois parce qu’il s’agit de gérer un nouveau personnel, aux caractéristiques bien distinctes du précédent, mais aussi parce que leurs remplacements requièrent d’entretenir un vivier de candidats mobilisables au pied levé, d’établir de nombreux contrats de travail, de réorganiser sans cesse les plannings, etc.

Quel que soit l’échelon territorial concerné, la gestion des agents s’inscrit dans le cadre statutaire de la fonction publique, qui présente de nombreuses exceptions au droit commun du travail – même pour les agents qui ne sont pas fonctionnaires : les contractuels et les vacataires.

1.2 Le cadre statutaire et législatif de recours au contrat dans la fonction publique

Outline

Documents relatifs