• Aucun résultat trouvé

B. La multidisciplinarité comme support, limitée par la désertification médicale

III. La contrainte du temps comme facteur altérant la qualité de la prise en charge

1) La consultation : une multitude de fonctions et d’objectifs

La consultation est un temps que le médecin consacre à son patient, et éventuellement à son entourage, et durant lequel il doit veiller à plusieurs aspects de la prise en charge.

Les médecins interrogés ont décrit toutes sortes de missions exercées durant la seule consultation. La première est d’être disponible pour écouter le patient, et lui laisser le temps de s’exprimer. Cette étape est importante, et montre au patient l’intérêt qu’on lui porte.

Le médecin doit également assurer la transmission d’informations au patient. Celle-ci est faite au fur et à mesure des consultations, et permet une éducation du patient sur les signes d’alertes et consignes essentielles. En effet, la réalisation d’une consultation d’annonce ou d’une consultation dédiée à l’éducation aux règles hygiéno-diététiques n’est jamais réalisée par les généralistes. Cette

83

absence de consultation dédiée est en partie liée au rapport temps/bénéfice défavorable, comme l’a expérimenté un des médecins, mais aussi à l’absence d’intérêt de certains patients. Les médecins interrogés considèrent qu’il ne s’agit pas d’éducation thérapeutique au sens strict du terme. Le caractère chronique de la pathologie et le risque de récidives de décompensations cardiaques sont aussi expliqués aux patients pour favoriser un suivi au long cours des règles diététiques. Les médecins répètent ces informations à chaque consultation pour maintenir les connaissances. Ils informent également l’entourage, quand l’occasion le permet, afin d’en faire un allié dans l’observance et la surveillance des signes d’alerte.

L’examen clinique est, s’il est fait de façon complète et rigoureuse, une étape qui prend du temps dans la consultation, notamment lorsque les patients sont obèses ou peu autonomes. Il est pourtant essentiel pour guider l’adaptation des médicaments, car décrit comme le principal déterminant de la démarche thérapeutique par les généralistes interrogés.

La réévaluation du traitement médicamenteux, qui prend en compte l’examen clinique, les comorbidités et les effets secondaires des médicaments est un autre aspect de la consultation, d’autant plus chronophage qu’il existe de nombreuses comorbidités. Comme le soulignent plusieurs médecins, les patients insuffisants cardiaques sont souvent âgés, polypathologiques et polymédiqués, facteurs rendant complexe cette partie de la prise en charge.

Enfin, le médecin doit assurer la surveillance biologique et éventuellement paramédicale. Il doit également coordonner les soins des différents professionnels de santé autour du patient, l’amenant parfois à appeler directement ces interlocuteurs, ou à rédiger un courrier.

Le contexte de sortie d’hospitalisation est d’autant plus chronophage pour le médecin qu’il doit généralement retracer les évènements de l’hospitalisation pour prendre le relai de la prise en charge. Le temps consacré dépend de la qualité et de l’exhaustivité des informations transmises par l’hôpital. Un des médecins ajoute que les patients, n’ayant pas toujours conscience de la charge de travail du généraliste, sont demandeurs de nombreuses choses annexes lors de la consultation. A noter que plusieurs médecins ont affiché dans leur salle d’attente des consignes rappelant qu’un rendez-vous correspondait à un patient et un motif. Ces consignes semblent ne pas être toujours comprises et respectées d’après une praticienne.

Ce temps de consultation peut être allongé par le trajet lorsque les patients sont vus à domicile. Si l’on considère que le médecin effectue cette démarche pour toutes les pathologies chroniques associées à l’insuffisance cardiaque, puisqu’il doit assurer une prise en charge globale de son patient, comment inclure le tout dans le format de la consultation ? Ce format est-il adapté chez les patients polypathologiques, fréquents parmi les patients insuffisants cardiaques ?

2) La charge de travail annexe à la consultation

Les charges annexes aux consultations qui sont mentionnées par les médecins sont souvent d’ordre administratif, alors perçues comme ayant peu d’intérêt.

Un des médecins aborde le sujet des ROSP durant son entretien, évoquant l’expérience négative de devoir réaliser un travail fastidieux durant une période d’épidémie, et cela sans en tirer un bénéfice personnel sur sa pratique. A cette absence de bénéfice s’ajoute un sentiment d’inutilité lié à l’absence de rigueur méthodologique des ROSP, source de colère et d’indignation.

84

Plusieurs médecins sont gênés par l’importance de la charge administrative, qui traduit parfois selon eux une traçabilité excessive, une formalisation inutile, voire une responsabilisation illégitime du médecin généraliste. Le Plan Personnalisé de Santé a été perçu par certains généralistes comme faisant partie de cette « paperasse », amenant à formaliser un travail qu’ils font déjà en pratique avec les autres professionnels de santé.

Le dernier travail annexe aux consultations mentionné lors des entretiens est la mise à jour des connaissances par la formation continue. Cette formation est réalisée par tous les généralistes, sous des formes différentes, formelles ou non, individuelles et collectives. Contrairement aux autres tâches annexes, la formation continue leur semble essentielle, et ils prennent le temps de la réaliser régulièrement. A noter que cette actualisation des connaissances est parfois réalisée au cours de la consultation, lorsqu’ils s’interrogent sur une situation clinique.

La liste des missions annexes du généraliste n’est pas exhaustive dans ce travail mais donne une idée de la complexité de la gestion du temps. Ce travail montre la lassitude voire la colère des médecins vis-à-vis de missions qui les éloignent de leur rôle d’accompagnement des patients.

3) Le manque de temps source de frustration

L’idée du temps est évoquée par la plupart des médecins dans les différentes étapes de la consultation. Le temps est en effet un gage de qualité des soins, et assurer toutes ces missions pendant la consultation semble difficile pour les généralistes.

La plupart regrettent de ne pas avoir plus de temps à consacrer à leurs patients, car cette situation est en contradiction avec les principes de disponibilité et d’accompagnement qu’ils mettent en avant. C’est donc souvent un sentiment de frustration qui est associé à ce manque de temps.

Ce sentiment apparait également chez 2 médecins lorsqu’ils évoquent la contrainte du temps dans la réalisation de leur formation continue : impossibilité à participer à un groupe de pairs ou à lire les formes non synthétiques des recommandations.

En effet, comment assurer une prise en charge de qualité lorsque le temps manque pour la formation continue ou pour la réalisation correcte des différentes missions de la consultation ? La frustration est en partie liée à une insatisfaction concernant la qualité des soins et l’obligation de déléguer certaines missions, notamment l’éducation thérapeutique.

L’indignation et la colère qui s’y associent chez certains médecins témoignent d’un sentiment d’incompréhension de leurs difficultés par les décideurs et structures de la politique de santé (politiques, assurance maladie, HAS…).

4) Les conséquences sur la qualité des soins

Les médecins insistent sur le temps important nécessaire à un interrogatoire complet, un examen clinique de bonne qualité et une transmission optimale des connaissances. Ils voient donc le manque de temps comme un obstacle à la qualité et à la réalisation complète des soins.

Ainsi, un des médecins a abandonné la pratique de consultations dédiées à la diététique, par manque de temps, impactant ainsi la qualité de la prise en charge non médicamenteuse en l’absence d’alternative locale. Un autre avance la difficulté de faire déshabiller complètement un patient peu autonome, dans le but de réaliser un examen clinique complet. Un dernier déplore manquer de

85

temps pour écouter le patient et ses questions concernant les règles hygiéno-diététiques. C’est donc la restitution des connaissances du patient qui est mal réalisée, gênant l’évaluation de son action par le généraliste. L’aspect médicamenteux semble moins concerné par ce problème, même si les médecins interrogés appuient principalement leur prescription sur l’examen clinique.

La surveillance adaptée d’un patient ayant une insuffisance cardiaque décompensée est parfois trop chronophage pour le médecin généraliste, qui, par manque de temps, doit adresser son patient en hospitalisation.

On voit donc bien l’impact de ce manque de temps sur la qualité de la prise en charge par le généraliste, mais aussi partiellement sur la décision d’hospitalisation en cas de décompensation. Pénalisant également la réalisation de la formation continue par les généralistes, le manque de temps influence indirectement la prise en charge par une moindre mise à jour des connaissances.