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C Marche ou paye : espace public “antichambre de la dépense”

B. Contrôle social

Les dispositifs d’architecture hostile sont installés par les autorités pour sécuriser la ville et donner une bonne image de celle-ci ; mais ils peuvent également être installés par les entreprises, contre les non-consommateurs ; ou encore les particuliers qui souhaitent protéger leur propriété privée et sa valeur immobilière…

Ce sont de véritables armes omniprésentes dans nos villes, qui servent à défendre les espaces publics face à certaines activités.

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Image de la ville et sécurité

Ces mesures sont, selon les politiques, nécessaires pour la sécurité publique. Dean Harvey, co-fondateur de Factory Furniture - une entreprise qui fabrique des produits dont des bancs, qui pourraient être classés comme du unpleasant design - nous dit à propos de ce type d’objets que “It can provide a solution : prevent drugs drops, minimize the amount

of time people spend in an area. With a perched or sloped surface, people can’t loiter for too long. [...] You need to be able to walk out of your house and feel safe. (However), when you consider a bunch of kids out on the street corner antisocial behavior, you’re in very dangerous territory” 28. Il présente ces objets comme des outils aux mains de la ville pour

répondre aux problèmes de drogue, de squat, de criminalité, d’insécurité…

28

Citation de HARVEY, Dean. in LO, Andrea. The debate : Is hostile architecture designing people

-- and nature -- out of cities ?. CNN, 21 décembre 2017.

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Banc : l’assise qui cadre

Durant le Siècle des Lumières, le banc va jouer un rôle fondamental dans le jardin à l’anglaise en tant que dispositif de pouvoir. Pour cause, le jardin pittoresque et sa “nature” viennent poser le cadre d’un mécanisme de contrôle visuel absolu, dont le focalisateur est le banc. Cela passe par l’organisation d’une promenade depuis laquelle se succèdent des tableaux, face auxquels on place un banc, au milieu d’un décor artificiel qui dissimule des messages de pouvoir comme nous l’indique Michael Jakob 29. Ce mécanisme vient jouer le rôle d’une censure où, si l’on ne cache pas ce que l’on ne veut pas montrer, on choisit plutôt de montrer ce que l’on veut que les personnes voient. De surcroît, le fait de ne laisser paraître que ce que l’on veut, fait que la personne ne réalise pas forcément qu’elle est manipulée, elle ne voit pas que quelque chose est caché. Dans ce cadre visuel déterminé, s’impose un cadre philosophique mais également politique.

De manière générale, quelque soit l’époque, le banc influence également, par sa forme et ses matériaux, la posture que l’on va adopter. Comme nous l’avons précisé en amont, l’action de s’asseoir inclut trois paramètres dont l’objet qui recevra le corps. Ce dispositif contient en lui une façon de s’asseoir, il va déterminer le mouvement et la position du corps assis. Michèle Jolé nous dit “le dossier qui doit, selon les auteurs, faciliter la

position de l’assise, peut s’assimiler si on se place dans une interprétation de remise en ordre sociétale, à un austère redressement du corps [...] Le banc est là pour ça : il dit en même temps une certaine manière de s’y maintenir” 30.

Or, si l’on considère que l’efficience de l’assise publique repose sur son adaptation au corps humain et à l’opportunité de son emplacement, le banc semble inefficace puisqu’à la fois la posture et la position du banc sont prédéterminés.

Par ailleurs, Alain Brossat parle de notre société moderne comme étant empreinte d’une culture de l’assis : bureau, télévision, bibliothèque… Si l’on va plus loin, on pourrait dire que la position assise, pourrait être assimilée à une position de faiblesse dans le sens où elle permet le repos d’un corps fatigué, voire une position d’infériorité, de soumission puisqu’elle rend le corps assis plus bas que le corps debout.

Le corps assis sur un banc, le regard accroché à quelque chose - comme il l’est face à un écran de télévision ou un tableau paysager dans un jardin pittoresque - l’usager de l’espace public ne voit que ce qu’on lui donne à voir ; l’on pourrait alors imaginer la transmission d’un message à l’assis et le contrôle social de l’assis par un tiers non assis.

29

“À cet égard, le banc [...] est au jardin exactement ce que le jardin dans sa totalité est au pays entier,

à savoir une fausse idylle, une halte mise en scène avec artifice, afin de mieux véhiculer des messages de pouvoir.”. in JAKOB, Michael. Poétique du banc. Paris : Macula, 2014, page 59.

30

JOLÉ, Michèle. “Quand la ville invite à s’asseoir - Le banc public parisien et la tentation de la dé-

pose”. L’accueil dans la ville. Paris : PUCA (Plan Urbanisme, Construction, Architecture), Les Annales de la Recherche Urbaine (2002, déc.) n°94, 2002, page 111.

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Agent silencieux

Bien qu’on en voit de plus en plus dans nos villes, il faut rappeler que l’invention de ces objets du unpleasant design ne date pas d’hier. Depuis de nombreux siècles, on voit par exemple des pics en haut d’un mur ou d’une clôture, pour dissuader et, au pire des cas, blesser la personne qui tenterait de gravir cet obstacle. Un autre exemple non moins révélateur du contrôle social, peut illustrer ce propos : quand l’empire Austro-Hongrois a annexé la Bosnie, ils ont mis en place des lampes choisies pour leur très forte luminosité afin d’éviter toute organisation d’actes de rébellion ou de résistance à la nuit tombée.

Aujourd’hui, on nomme parfois ces dispositifs “agents silencieux”. D’une part, ils sont nommés ainsi car ils remplacent l’agent de sécurité ou l’officier de police qui serait tenu de surveiller les comportements à un endroit donné. Ils dissimulent ainsi un manque d’effectifs des forces de l’ordre. Cependant, contrairement à un agent en chair et en os, cet objet ne rend pas possible une interaction, une discussion ; cet agent silencieux n’est pas ouvert au dialogue, il n’y a donc pas de négociations humaines possibles, l’objet ne laisse donc pas d’autre choix à l’usager que de partir ailleurs.

D’autre part, le terme “silencieux” peut faire référence au fait qu’on passe sous silence le contrôle social rendu possible par ces objets. Une municipalité va vendre au travers de sa politique ce qu’elle va apporter à la population (sécurité, propreté, santé…), seulement son discours orienté, passe sous silence les moyens pour arriver à ses ambitions de ville sécuritaire. Elle dissimule ses intentions en installant des objets issus du unpleasant design, sous de plus ou moins faux prétextes, comme des supposés rapports d’experts ergothérapeutes par exemple. Le unpleasant design utilise le domaine public pour contrôler le comportement humain. Cachées ou non apparentes, ces conceptions permettent de dissimuler cette manipulation du comportement de l’usager, sans bien sûr qu’il ne s’en rende compte, “cities are full of subtle architectural features designed to nudge you in the

right direction” 31. Elles jouent un double rôle : à la fois dissuader les comportements jugés

inacceptables et en même temps encourager un comportement approprié.

Plutôt que de mettre une personne, un individu, un nom à désigner coupable de l’idée de contrôle social, on préfère laisser l’objet ou le dispositif faire le travail. Le banc porte alors le chapeau de ces politiques violentes d’exclusion. Ce sont alors les objets qui sont les blâmés de l’histoire pour leur inconfort alors qu’il ne faut pas oublier que des personnes se cachent derrière ces conceptions. Ce n’est qu’une fois avertis et conscients que nos actions vont être orientées par ces objets, que nous pourrons choisir entre s’abandonner, se détourner ou refuser.

31

OMIDI, Maryam. Anti-homeless spikes are just the latest in “defensive urban architecture”. The

Guardian, Catégorie : Cities, 12 juin 2014.

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