3.4. TTF étendu (exTTF) : un motif original pour la préparation de cages fonctionnelles
3.4.3. Contrôle redox du relargage d’un invité anionique
Figure 34. Structure RX (Synchrotron SOLEIL) de la cage Pd6L312+ (dimensions en Å) (a), géométrie autour des cations métalliques dans Pd4L28+ (b) et Pd6L312+ (c) 3.4.3. Contrôle redox du relargage d’un invité anionique
La synthèse de cages solubles dans une plus large gamme de solvants permet d’envisager un meilleur contrôle de l’encapsulation des invités dans la cavité en évitant la compétition complexation/solvatation qui peut s’opérer dans certains cas. Dans ce but, la synthèse d’un nouveau ligand LTEG incorporant des chaînes triéthylène glycol monométhyl éther (TEG) a été réalisée (Figure 35). Cette molécule possède un double avantage : outre une solubilité accrue apportée par les chaînes, la présence des atomes d’oxygène sur le cœur anthraquinonique est susceptible d’augmenter le caractère donneur de la molécule par effet mésomère donneur. S S S S N N N N LTEG O O O O O O O O O O O O O O O O
Figure 35. Structure du ligand cible LTEG portant quatre chaînes TEG Ce ligand a été préparé en trois étapes à partir de l’intermédiaire clé tétrahydroxyanthraquinone, dont la synthèse est décrite.[48] Ses propriétés électrochimiques ont été étudiées par voltammétrie cyclique et comparées à celles de son homologue dépourvu de chaines latérales (Figure 36). Le ligand LTEG montre le comportement caractéristique de l’unité exTTF (oxydation à deux fois un électron), avec une vague d’oxydation pseudo réversible présentant un retard en réduction (Eox = 0,05 V et Ered = ‐0,20 V vs Fc/Fc+). Il est par ailleurs notable qu’en comparaison du ligand L (Eox = 0,30 V vs Fc/Fc+), le pouvoir donneur‐ de LTEG est significativement accru.
Figure 36. Voltammogrammes cycliques de LTEG (CH3CN, C = 1 mM), L (CH3CN/CH2Cl2, C = 1 mM), Pd4L28+ et
Pd4LTEG28+ (CH3CN, C = 0,5 mM), nBu4NPF6 (0,1 M)), 100 mV.s‐1, C vitreux
Ce ligand s’auto‐assemble de la même manière que son homologue L avec le complexe Pd(dppf)(OTf)2 pour former de façon quantitative un édifice de type M4L2 (Pd4LTEG28+) qui a été parfaitement caractérisé. Malgré la présence des chaines TEG flexibles, des monocristaux ont été obtenus et la structure de l’édifice a été déterminée par diffraction des rayons‐X au synchrotron Soleil (Figure 37).
Figure 37. Structure rayons X de Pd4LTEG28+ (Synchrotron SOLEIL)
La structure de Pd4LTEG28+ est similaire à celle de Pd4L28+. L’angle de courbure entre les deux cycles 1,3‐ dithioles d’un même ligand, imposé par la stœchiométrie M4L2 est analogue (57° pour Pd4LTEG28+ et 56° pour Pd4L28+) ainsi que la taille et la forme de la cavité (15,5 x 11,4 Å).
Le voltammogramme cyclique de Pd4LTEG28+ présente comme attendu deux vagues d’oxydation. La première à E1ox = 0,49 V vs Fc/Fc+ correspond au motif exTTF et la seconde, réversible, à E2
ox = 0,81 V vs Fc/Fc+, aux quatre unités ferrocène auxiliaires (Figure 36). Comme attendu, le potentiel d’oxydation du ligand électroactif est décalé vers les potentiels positifs par rapport au ligand de départ (Eox = +0,46 V) après coordination aux centres métalliques et s’opère à un potentiel plus faible que pour son homologue dépourvu de chaines TEG dans Pd4LTEG28+. Contrairement à la cage Pd4L28+, le processus de réduction consécutif à l’oxydation des ligands est visible à Ered = ‐0,32 V, un potentiel similaire à celui observé pour le ligand. Ce
résultat pourrait être la conséquence du désassemblage de la cage après oxydation (ce point sera traité dans les paragraphes suivants).
La structure de Pd4LTEG28+ ne diffère de Pd4L28+ que par la présence des chaînes triéthylèneglycol sur le ligand, ce qui lui confère un pouvoir donneur‐ accru. Néanmoins, les études de complexations menées avec des composés polyaromatiques plans, n’ont pas montré une meilleure capacité de cette cage à complexer des composés neutres. Poursuivant l’objectif d’un contrôle du processus de complexation/expulsion d’un substrat, les efforts ont alors été focalisés vers la préparation d’un complexe hôte‐invité plus stable. Dans cette optique, la stratégie a été de tirer profit des charges positives localisées sur les cations métalliques (Pd(II) ou Pt(II)) qui tapissent les parois de la cavité de la cage Pd4LTEG28+. Ainsi, l’anion icosaédrique dodécafluoro‐closo‐dodécaborate de potassium (B12F122‐, 2K+) s’est révélé être un bon candidat. En effet, sa forme, sa taille ainsi que sa charge négative sont complémentaires en tous points à celles de la cavité. Un avantage supplémentaire de ce substrat, réside dans la possibilité qu’il offre de suivre sa complexation par RMN 19F.
L’interaction de l’anion B12F122‐ avec la cage Pd4LTEG28+ a été étudiée par plusieurs techniques (RMN 1H et 19F, RMN DOSY, courbe de Job, spectrométrie de masse) et a permis de mettre en évidence la complexation de deux anions dans la cavité. Cela se traduit notamment en RMN du fluor (Figure 38) avec la présence de deux signaux indépendants à des déplacements chimiques plus élevés que l’anion seul en solution. Par ailleurs, les coefficients de diffusion associés à ces signaux sont identiques à celui de la cage (4,8 10‐10 m²s‐1), ce qui traduit la très forte interaction entre les entités.
Figure 38. Spectres 19F NMR (CD3CN) de a) (B12F122 ,2K+); b) (B12F122 ,2K+) (1 équiv.) en présence de Pd4LTEG28+, c) (B12F122 ,2K+) (2 équiv.) en présence de Pd4LTEG28+ et d) la superposition des RMN DOSY 19F correspondant à (a), (b) et (c). Le coefficient de diffusion de la cage Pd4LTEG28+ seule dans les mêmes conditions est de 4,8 10‐ 10 m²s‐1
Des monocristaux du système hôte‐invité ont été obtenus et confirme la stœchiométrie 1:2 du complexe (Figure 39). A l’état solide, chaque anion B12F122‐ est localisé entre deux centres métalliques Pd(II) avec une distance Pd∙∙∙F de 3,3 Å, distance qui est inférieure à la somme des rayons de van der Waals (≈ 3,8 Å), indiquant qu’une interaction de type électrostatique s’opère entre l’anion et les centres métalliques. En conséquence, la géométrie de la cage Pd4LTEG28+ dans ce complexe est partiellement modifiée par rapport à celle de Pd4LTEG28+ libre, avec une augmentation de la distance Pd∙∙∙Pd qui passe de 11,37 Å dans Pd4LTEG28+ libre à 12,50 Å dans le complexe. Comme attendu, les chaînes TEG complexent les cations alcalins K+, ce qui permet probablement de favoriser le processus de cristallisation.
Figure 39. Structure rayons‐X de (B12F122‐)2⊂Pd4LTEG28+. (a) vue selon l’axe B12F12 − B12F12 et (b) vue de dessus
Le système (B12F122‐)2⊂Pd4LTEG28+ constitue pour plusieurs raisons un excellent candidat pour un contrôle du processus de relargage de l’invité : l’interaction entre l’hôte et l’invité est forte, le comportement de l’anion peut être suivi par RMN du fluor et enfin les propriétés électroniques et géométriques du ligand électroactif sont adaptées.
Dans cette optique, les comportements du ligand LTEG et de la cage Pd4LTEG28+, soumis à un cycle d’oxydation et de réduction chimiques, ont été suivis par RMN 1H, DOSY et 19F. Les oxydants utilisés sont NOSbF6 ou thianthrenium (Th●+) et les réducteurs sont la pentafluorophénylhydrazine (PTF) ou le tétrakis(diméthylamino)éthylène (TDAE), les résultats obtenus s’avérant similaires quelques soit le couple utilisé.
L’étude centrée sur le ligand (Figure 40) montre très clairement qu’il est possible de suivre par RMN l’ensemble du processus d’oxydation et de réduction par voie chimique. Il est important de noter que l’espèce oxydée a également été caractérisée par spectrométrie de masse FTICR.
Figure 40. Suivi RMN 1H (CD3CN) de l’oxydation puis réduction du ligand LTEG (C = 5,20 10‐3 M) avec thianthrenium (Th●+). (a) LTEG, (b) 2 équivalents de Th●+ et (c) 1 équivalent de TDAE ajoutés. Les signaux en noir correspondent à la formation de thianthrène
Une étude similaire a ensuite été menée sur l’édifice auto‐assemblé Pd4LTEG28+ (Figure 41). L’addition de l’oxydant se traduit par un déblindage des signaux correspondant au ligand LTEG similaires à ceux observés
pour le ligand seul, oxydé dans les mêmes conditions (Figure 40b). Par ailleurs, trois espèces sont identifiables par RMN DOSY : le ligand oxydé LTEG2+ (D = 6,00 10‐10 m².s‐1), le complexe cis‐Pd(dppf)(OTf)2 (D = 8,05 10‐10
m².s‐1) et le thianthrène généré pendant le processus redox (D = 2,22 10‐9 m².s‐1). Ce résultat traduit sans ambiguïté que l’oxydation des unités exTTF entraine un désassemblage de la cage Pd4LTEG28+. Ceci s’explique par la combinaison de deux effets : 1) le changement conformationnel qui accompagne l’oxydation du ligand et 2) le caractère électroattracteur du noyau exTTF2+, qui diminue la disponibilité du doublet de l’azote des unités pyridine. De façon remarquable, l’addition du réducteur TDAE conduit au réassemblage de la cage Pd4LTEG28+ traduisant la réversibilité du processus (Figure 41d).
Figure 41. Suivi RMN 1H (CD3CN) de l’oxydation (Th●+) puis de la réduction (TDAE) de la cage Pd4LTEG28+ (C = 2,95 10‐3 M) : (a) Pd4LTEG28+, (b) après ajout de 4 équivalents de Th●+, (d) après ajout de 2 équivalents de TDAE, (c) RMN DOSY 1H correspondant à (c)
Le processus d’oxydation/réduction a ensuite été appliqué au système hôte/invité dans l’objectif de contrôler par voie redox le relargage et la recomplexation de l’invité par l’hôte (Figure 42). L’addition de 4 équivalents de Th•+ sur le complexe B12F122‐⊂Pd4LTEG28+ entraine la disparition des signaux caractéristiques en RMN 19F de l’anion encapsulé au profit d’un nouveau signal à plus haut champs, attribué à l’anion libre en solution. Cette analyse est confirmée par l’augmentation significative du coefficient de diffusion (Figure 42b) qui présente une valeur similaire à celui de B12F122‐ analysé seul en solution (Figure 38d). La réduction du mélange par TDAE conduit à la reformation spontanée du complexe hôte/invité (Figure 42c et d).
Figure 42. Suivi RMN 19F (CD3CN) de l’oxydation/réduction de B12F122‐⊂Pd4LTEG28+ (C = 2,0 10‐3 M) : (a) B12F122‐
⊂ Pd4LTEG28+, (b) après ajout de 4 équivalents de Th•+, (c) après ajout de 2 équivalents de TDAE, et (d) RMN 19F DOSY superposées correspondant à (a), (b) et (c)
En conclusion, il a été démontré par des études en RMN 1H, 19F, DOSY 19F et spectrométrie de masse, que l’édifice Pd4LTEG28+ permet la complexation de substrats variés, qu’ils soient neutres ou chargés. Les propriétés singulières de cet édifice à parois riches en électrons, ont également permis de démontrer pour la première fois que le contrôle de l’encapsulation par une cage auto‐assemblée peut s’opérer sous l’action d’un stimulus redox.[49]