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Jacques F OURNIER

2. La mise en œuvre des missions publiques

2.5. Le contrôle et l’évaluation

La fonction de contrôle a toujours été fortement présente dans l’organisa-tion administrative française. La démarche d’évalual’organisa-tion est d’implantal’organisa-tion plus récente. Par le contrôle l’autorité politique s’assure que la mission publique est correctement remplie. Par l’évaluation elle fait de la politique menée un bilan qui peut la conduire à une redéfinition voire à un abandon de la mission.

S’agissant des procédures de contrôle, on peut considérer qu’elles sont relativement bien rodées au sein de l’administration de l’État. Les divers corps d’inspection et notamment les trois inspections générales interminis-térielles (des finances, des affaires sociales, de l’administration) disposent des compétences nécessaires à l’exercice de leur mission. Elles ont su renou-veler leur problématique. La Cour des comptes joue assez intelligemment son rôle de défenseur de l’orthodoxie financière et de chasseur de toutes les formes de gaspillage. Diverses formes de contrôle externe, contentieuse (la justice administrative) ou non contentieuses (médiation, accès aux do-cuments administratifs, informatique et liberté) permettent aux citoyens de

faire valoir leurs droits. Cela peut prendre du temps mais l’accomplissement des missions est par là utilement encadré.

Pose problème cependant l’efficacité du contrôle exercé par les col-lectivités publiques sur les opérateurs qui leurs sont extérieurs : agences, établissements ou entreprises publics, entreprises privées délégataires de service public. L’État avait su mettre en place, au fil du temps, un appareil consistant et efficace de contrôle technique, faisant appel aux compétences des ingénieurs des ponts, des mines, du génie rural et autres, qu’il utilisait pour lui-même et qu’il mettait à la disposition des collectivités territoriales et à partir duquel il était possible de veiller à la bonne exécution des missions confiées aux différents opérateurs. Cette expertise publique est aujourd’hui en crise. L’apparition de techniques nouvelles moins bien couvertes par les ressources publiques (dans le domaine de l’informatique par exemple), les restrictions budgétaires et les coupes qu’elles ont entraînées dans certains domaines à la faveur de la RGPP, l’ouverture à la concurrence et le champ qu’elle donne à l’interférence des intérêts privés, se sont conjuguées pour di-minuer le rôle et réduire les moyens de cet appareil de contrôle. Des actions décisives sur le plan de l’urbanisme (remodelage d’un quartier urbain) ou de la santé et de la sécurité (construction d’un hôpital ou d’une prison) peuvent être réalisées sans que la collectivité publique ait les moyens concrets de surveiller leur exécution. Reconstruire, sur des bases de compétence et d’indépendance, la capacité d’expertise de l’administration publique est, dans cette perspective une priorité forte.

S’agissant de l’évaluation, concept lui aussi mis en avant par la circulaire Rocard de 1989, on a pu voir dans les deux dernières décennies, sa méthodologie s’affiner en même temps que son emploi se généralisait.

L’évaluation va plus loin que le contrôle. Elle s’interroge sur la pertinence et l’efficacité de la mission publique. S’est-on assigné les bons objectifs ? Quels effets a eu l’action menée sur la réalité économique et sociale ? Ce questionnement peut être formulé en amont (on est alors dans l’étude d’impact) ou en aval (c’est l’évaluation proprement dite). Les études corres-pondantes peuvent être menées dans le cadre de l’administration publique, ce qui est le cas plus fréquent dans la pratique française, ou en dehors d’elle. Aux États-Unis, leCongressional Budget Office, placé auprès du congrès joue un grand rôle dans ce domaine. Ailleurs, au Royaume-Uni par exemple, il est plus souvent que chez nous fait appel à des instances universitaires.

On a assisté au cours des dernières années en France à un développement considérable de ces travaux d’évaluation. Ils ont sous-tendu la démarche dite de révision générale des politiques publiques, menée à la hussarde, avec le concours de cabinets extérieurs à l’administration, durant le quinquennat du président Sarkozy. Ils sont l’élément central de l’approche nouvelle, dite de modernisation de l’administration publique, engagée sous la présidence Hollande. La MAP se veut plus équilibrée que la RGPP, en ce que elle associe les partenaires des politiques étudiées et que les considérations financières n’y sont plus, du moins en théorie, prédominantes. La méthodologie de ses études est décrite dans un document établi en décembre 2012 (Battestiet al.,

2012). Un programme de travail a été établi : il prévoyait l’évaluation de 40 politiques pour la seule année 2013.

L’avenir dira ce qu’il advient de ces travaux. Mais l’histoire nous dit déjà que, si elle a entraîné, en bien ou en mal, des bouleversements considérables dans l’administration de l’État, « la RGPP n’a pratiquement pas conduit à réduire les missions de l’État. Leur nombre s’est même accru pendant la période concernée1».

Sur ce constat, qui n’est qu’apparemment paradoxal, s’arrêtera ici notre analyse.

Conclusion

Quelles leçons tirer de cette revue des moyens utilisés par le décideur pour définir les missions publiques et veiller à leur bonne exécution ?

Les méthodes, les procédures existent, elles peuvent fonctionner. On peut certes les perfectionner. Mais l’obstacle principal n’est pas là.

Détechnocratiser la LOLF, mieux organiser la coproduction des politiques publiques, rendre plus efficace le contrôle sur les opérateurs, dynamiser le réseau des formations, savoir mobiliser les énergies autour d’un projet de service ou d’un contrat d’établissement, objectiver les évaluations et les rendre plus participatives : autant d’objectifs dont nous avons vu la pertinence chemin faisant et qui sont à la portée de ceux qui sont en charge de la réforme de l’État.

Encore faut-il utiliser à bon escient ces méthodes. Lucidité dans l’analyse des situations, pertinence dans les choix, courage dans les décisions, pédagogie dans l’explication, continuité dans l’action : la conjonction de ces exigences, à défaut de laquelle les missions publiques ne peuvent être correctement remplies, n’est jamais acquise à l’avance. Elle se révèle particulièrement difficile dans une période où le marché impose sa logique et où les égoïsmes s’exaspèrent. L’intérêt général ne peut prévaloir que s’il est porté par une réelle volonté politique.

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L’internalisation des missions de service public :