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Contrôle du mouvement à l’échelle moléculaire

2. Stratégies de synthèse des rotaxanes

3.1. Contrôle du mouvement à l’échelle moléculaire

La majorité des machines moléculaires basées sur des structures entrelacées de type rotaxane fonctionne grâce à la liberté de mouvement dont ces dernières disposent. Toutefois, si certaines machines utilisent le caractère aléatoire du déplacement de l’unité macrocyclique le long de l’axe, d’autres tentent de contrôler la direction ou la répétitivité de ce mouvement. Ainsi, on retrouve dans cette catégorie les navettes (shuttle), les interrupteurs on/off (« switch ») et les muscles moléculaires. Plusieurs exemples sont décrits dans une revue de Yang de 2012.34

3.1.1. Navettes

Les navettes moléculaires basées sur un rotaxane sont construites à partir de l’élément linéaire, qui doit contenir au moins deux stations distinctes pour la molécule macrocyclique. Ces stations sont des zones du fil pour lesquelles le composant macrocyclique a une meilleure affinité, si bien qu’il est localisé préférentiellement aux alentours de ces régions.

Dans les navettes, la molécule macrocyclique se déplace donc de station en station, soit de manière aléatoire, soit de façon contrôlée, à l’aide d’un stimulus adapté.

Il s’agit des premières machines moléculaires basées sur un rotaxane, et de nombreuses autres fonctionnalités se sont développées à partir de cette capacité à contrôler les allées et venues d’une unité macrocyclique. Alors que la première navette, décrite par Stoddart,35

se déplace de station en station sans intervention du manipulateur, les machines préparées plus récemment permettent de contrôler la position de l’élément macrocyclique sur les stations. Ainsi, dix ans plus tard, le groupe de Leigh36 présente un rotaxane dont la molécule

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S. F. M. Van Dongen, S. Cantekin, J. A. A. W. Elemans, A. E. Rowan, R. J. M. Nolte, Chem. Soc. Rev. 2014, 43, 99-122.

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W. L. Yang, Y. J. Li, H. B. Liu, L. F. Chi, Y. L. Li, Small 2012, 8, 504-516. 35

Introduction générale

27 macrocyclique peut passer d’une station à une autre par photoexcitation, avant de revenir à

son état fondamental (i.e., le retour de l’unité macrocyclique à la première station).

Après avoir préparé par clipping, guidé par formation de liaisons hydrogène, le rotaxane 36 dont le fil contient une station succinamide et une station naphthalimide, les auteurs sont capables d’exciter le motif naphtalimide afin d’inverser la station préférentielle de la molécule macrocyclique (Figure 17).

Avant excitation, l’élément macrocyclique, donneur de liaisons hydrogène, est majoritairement localisé sur la station succinamide car c’est un bon accepteur de liaisons hydrogène (Kn < 0,01). Après photoréduction par pulsation laser du naphtalimide, l’équilibre

entre les composés 36-A-∙ et 36-B-∙ change (Kred > 1500) car le composé 36-B-∙ est un

accepteur de liaisons hydrogène puissant. L’unité macrocyclique se déplace alors sur la station succinamide en une microseconde dans l’acétonitrile. Après recombinaison des charges (environ cent microsecondes dans l’acétonitrile), le succinamide redevient le meilleur accepteur de liaisons hydrogène et la molécule macrocyclique retourne à sa position d’origine.

Figure 17 - Fonctionnement de la navette moléculaire de Leigh.36

Les auteurs comparent le fonctionnement de leur navette à celui d’un piston, dans lequel un mouvement puissant pouvant accomplir un travail mécanique est suivi par un mouvement de récupération dans lequel le système revient à son état d’origine.

Au-delà de la notion d’aller/retour inhérente au terme de navette, on peut également y trouver une notion de transport. Les navettes moléculaires pourraient donc être capables de transporter, et même trier, des objets de taille nanoscopique. Une telle machine doit comporter, outre les deux stations déjà évoquées, un système hôte-invité réversible sur la molécule macrocyclique. Le couplage de ces deux systèmes rend ces composés hybrides, entre la fonction « navette » de la machine, et sa fonction « contrôle de l’accès aux

36-A

36-A-∙

36-B

Introduction générale

molécules ». Nous ne développerons donc pas ici cette catégorie, mais il est intéressant de noter que de telles machines moléculaires ont déjà été décrites dans la littérature.37

3.1.2. Interrupteurs on/off

Egalement basé sur le principe de navigation du composant macrocyclique entre plusieurs stations, les interrupteurs incorporent une fonctionnalité supplémentaire, qui est active ou inactive en fonction de la position de l’unité macrocyclique.

A titre d’exemple, on peut citer le rotaxane 37 de l’équipe de Leigh,38

dont la partie linéaire comporte un motif dibenzylamine/ammonium capable de procéder à une catalyse par ion iminium, ainsi que deux stations triazolium (Figure 18). En réalisant une réaction de click CuAAC pour former ce fil au sein de la cavité d’un éther-couronne macrocyclique, les auteurs obtiennent un rotaxane qui peut être protoné ou déprotoné pour changer la position de l’élément macrocyclique. En effet, sous sa forme protonée, le rotaxane 37 comporte une station ammonium autour de laquelle l’éther-couronne se localise préférentiellement. Sous sa forme déprotonée 38 en revanche, les stations triazolium ont plus d’affinités avec la molécule macrocyclique que le groupe dibenzylamine.

Ainsi, les auteurs exercent un contrôle acido-basique sur la position de l’éther-couronne, et le motif dibenzylamine libre sous la forme déprotonée du rotaxane peut réaliser de la catalyse par ion iminium. En effet, l’utilisation du rotaxane comme catalyseur a été étudiée sur une réaction de Mickaël connue comme étant sensible à ce type de catalyse (Figure 19).

En présence du fil seul, la catalyse fonctionne et on obtient le produit 41, que ce soit avec le groupe dibenzylamine ou ammonium. Avec le rotaxane protoné 37, la fonction ammonium protégée par la présence de la molécule macrocyclique empêche la catalyse d’avoir lieu, et aucune réaction n’est observée tandis qu’avec le rotaxane non protoné 38, le groupe dibenzylamine accessible permet à la catalyse de fonctionner normalement.

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Introduction générale

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Figure 18 - Contrôle acido-basique de la position de l'unité macrocyclique.38

Ph O HS (CF2)7CF3 Ph S O (CF2)7CF3 5% catalyseur CH2Cl2 0,1M, TA, 5 jours

Figure 19 - Réaction type utilisée pour analyser la catalyse on/off.38

Les auteurs ont donc conçu un interrupteur moléculaire sous la forme d’un rotaxane capable d’exercer une fonction catalytique, qui peut être activée ou désactivée grâce à un stimulus acido-basique.

3.1.3. Muscles moléculaires

Dans un article très récent, Stoddart dresse l’état de l’art des muscles moléculaires basés sur des rotaxanes.39 Ces muscles artificiels sont des mimes des muscles biologiques, dans la mesure où ils sont capables d’adopter une conformation contractée ou relâchée en fonction d’un stimulus adapté.

La structure doit donc disposer de deux états différents, et trois types de rotaxanes répondant à ce critère sont à l’origine de muscles moléculaires : les guirlandes (« daisy chain »), les presses, et les cages (Figure 20).

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C. J. Bruns, J. F. Stoddart, Acc. Chem. Res. 2014, 47, 2186-2199.

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Introduction générale

Figure 20 - Représentation des différents types de muscles moléculaire dans leur état contracté (à gauche), et relâché (à droite).

Différents phénomènes peuvent alors faire office de stimulus pour déclencher le passage d’un état à un autre. Des muscles moléculaires ont été synthétisés en utilisant un stimulus ionique,40 photochimique,41 électrochimique,42 un stimulus par changement de solvant,43 et un stimulus par changement de pH.44

Figure 21 - Muscle moléculaire développé par les équipes de Stoddart et Ho. (A) Structure moléculaire du muscle, sous sa forme relâchée (haut) et contractée (bas). (B) Pliage des poutres cantilever sous l'action des rotaxanes.45

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M. C. Jimenez, C. Dietrich-Buchecker, J. P. Sauvage, Angew. Chem. Int. Ed. 2000, 39, 3284-3287. 41

R. E. Dawson, S. F. Lincoln, D. J. Easton, Chem. Commun. 2008, 34, 3980-3982. 42

C. J. Burns, J. Li, M. Frasconi, S. T. Schneebeli, J. Iehl, H.-P. Jacquot de Rouville, S. I. Stupp, G. A. Voth, J.

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Introduction générale

31 Un article intéressant paru en 2004 laisse présager de l’avenir des muscles artificiels.45

Les auteurs décrivent la synthèse d’un [3]rotaxane de type palindrome capable de se contracter et de se relâcher sous l’effet d’un stimulus électronique (Figure 21A).

En dotant les molécules macrocycliques d’une chaîne alkyle terminée par une fonction disulfure, les rotaxanes disposent d’un point d’ancrage pour pouvoir recouvrir un assemblage de « poutres cantilevers » suivant une monocouche auto-assemblée de muscles moléculaires (Figure 21B). Le déclenchement de la contraction des muscles moléculaires, obtenu en introduisant un oxydant, conduit à la pliure des poutres. Les auteurs parviennent à réaliser une courbure qui correspond à un déplacement de 35 nm, là où le passage de l’état contracté à l’état relâché d’une seule molécule de rotaxane équivaut à un déplacement de 2,8 nm seulement.

Ce résultat impressionnant témoigne des grandes capacités qu’offre le fonctionnement des molécules en réseau.

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