1/ Contexte de l étude et hypothèses de travail
Les moustiques génèrent une nuisance importante et sont notamment contrôlés grâce
à des traitements insecticides. Aujourd‟hui, les gîtes où se développent leurs larves sont
souvent pollués par des xénobiotiques d‟origine anthropique (HAPs, PCBs, pesticides etc.
…). Jusqu‟à présent, l‟impact de ces xénobiotiques sur la capacité des larves de moustiques à
résister aux insecticides chimiques reste méconnu. Cette thèse vise à étudier la réponse des larves de moustiques aux xénobiotiques environnementaux d‟origine anthropique et leur impact sur les mécanismes de résistance aux insecticides chimiques. L'impact des
xénobiotiques environnementaux sur la résistance des moustiques aux insecticides est
abordé à travers deux hypothèses (Figure 12):
1) A court terme, l‟exposition des larves de moustiques à certains xénobiotiques environnementaux peut modifier leur tolérance aux insecticides par l‟intermédiaire d‟une
modification de l‟expression de certains gènes de détoxication (accommodation). Autrement
dit, l'induction par certains xénobiotiques d'enzymes de détoxication capables de métaboliser un (ou des) insecticide(s) peut augmenter leur tolérance vis-à-vis des insecticides. Cette première hypothèse sera traitée dans le Chapitre II.
2) A plus long terme, l'exposition des larves de moustiques à certains xénobiotiques environnementaux peut influencer la sélection des mécanismes de résistance aux insecticides. Ainsi, l'exposition récurrente des larves de moustiques à certains xénobiotiques environnementaux favorise-t-elle ou retarde-t-elle l'apparition de la résistance ? L'induction par certains xénobiotiques environnementaux d'enzymes de détoxication capables de métaboliser un insecticide favorise-t-elle leur sélection et par conséquent l'apparition de la résistance métabolique ? Cette seconde hypothèse sera traitée dans le Chapitre III en
combinant l'exposition des larves à certains xénobiotiques et leur sélection avec des
insecticides chimiques.
En parallèle de ces études sur le court et long terme, des expérimentations par ARN interférant ont été menées pour rechercher l‟importance des gènes potentiellement impliqués dans le métabolisme des insecticides. Elles seront discutées dans le chapitre IV.
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D'une manière générale, cette thèse devrait permettre de mieux comprendre les
interactions gènes-environnement chez les moustiques pour une meilleure compréhension
des mécanismes de résistances aux insecticides en rapport avec l‟environnement chimique.
L‟application principale de cette étude concerne l‟optimisation des traitements insecticides
utilisés en démoustication, mais elle présente également un intérêt fondamental pour la compréhension des mécanismes moléculaires associés à la résistance.
2/ Modèle biologique utilisé
Le principal modèle animal utilisé au cours de cette thèse est le moustique Aedes aegypti (Linnaeus, 1862) (Figure 13). Il figure parmi les moustiques ayant le plus fort impact sanitaire à cause des maladies qu‟il transmet, de la grande diversité d‟habitats qu‟il peut
coloniser et de sa proximité avec l‟homme (Lounibos 2002). Il est vecteur de la dengue, de la fièvre jaune et du chikungunya (Chhabra et al. 2008). Près de 40% de la population mondiale est exposée à la dengue et plus de 50 000 personnes sont infectées par an (Liu et al. 2004, Malavige et al. 2004). Le virus de la fièvre jaune quant à lui touche plus de 200 000 personnes par an (OMS).
Figure 12 : Problématique de
l’étude : Quel est l‟impact de l‟homme
en raison de ses rejets dans
l‟environnement sur la biologie du moustique, que ce soit sur le court terme (Tolérance) ou le long terme
(Résistance) ? Et quels sont les
mécanismes impliqués ?
Figure 13 : Aedes aegypti au stade adulte femelle (A), nymphale (B), larvaire (C) ainsi que sa carte de
répartition et les zones touchées par la dengue (d‟après Malavige et al., β004).
A
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En plus de son fort impact sanitaire, cette espèce s‟élève très facilement au laboratoire.
La souche de laboratoire Bora-Bora originaire de Polynésie française est une souche sensible aux insecticides ne présentant aucun mécanisme de résistance. Elle est maintenue en conditions standardisées au laboratoire à une température de 27°C, une hygrométrie de 70-80% et un cycle jour/nuit de 16h/8h. La capacité de dessiccation des œufs permet leur
conservation pendant plusieurs mois. Dans ces conditions, le cycle de vie complet du moustique est de 3 semaines environ (Figure 1). Ces caractéristiques (facilité d‟élevage,
temps de génération court, stockage des œufs) en font un modèle de choix pour le présent
travail, notamment pour les expérimentations de sélection au laboratoire. Des souris sont utilisées hebdomadairement pour le repas de sang des femelles accouplées et des papiers imprégnés de miel constituent la nourriture sucrée des adultes. Quant aux larves détritivores, elles sont nourries tout au long de leur développement avec des croquettes pour lapin essentiellement constituées de foin compacté.
L‟autre intérêt majeur de cet organisme réside dans son génome entièrement
séquencé (Nene et al. 2007), permettant d‟aborder ce travail au niveau des gènes et d‟utiliser les techniques de pointe de la biologie moléculaire.
3/ Approche expérimentale
Pour répondre aux hypothèses énoncées plus haut, deux grandes approches combinant toxicologie, biochimie, transcriptomique et validation fonctionnelle ont été menées en parallèle. L‟impact des xénobiotiques sur la biologie des larves de moustique a été étudié sur le court terme d‟une part et d‟autre part sur le long terme (Figure 14). Premièrement, l‟effet
à court terme des polluants sur la tolérance des moustiques aux insecticides a été étudié en exposant des larves d‟Ae. aegypti à différents xénobiotiques puis en réalisant des expérimentations toxicologiques, biochimiques, puis enfin transcriptomiques. Les xénobiotiques entraînant une amélioration de la tolérance des larves de moustiques aux insecticides ont été ensuite utilisés pour l‟étude de l‟impact à long terme des xénobiotiques
sur la résistance des moustiques aux insecticides. Les profils transcriptionnels des gènes candidats dégagés au cours de la première étude ont été étudiés de manière plus approfondie afin de déterminer quels gènes sont les meilleurs candidats potentiellement impliqués dans le métabolisme des insecticides. Enfin, une dernière partie de cette thèse a consisté à mettre au
point une méthode d‟ARN interférant sur larves de moustiques afin d‟éteindre spécifiquement
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l‟augmentation de tolérance des larves à certains insecticides chimiques. La complexité de la
thématique et les difficultés d‟étude des phénomènes impliqués nous ont conduits à réaliser
nos expérimentations majoritairement en laboratoire. Une collaboration avec le laboratoire de
Lutte contre les Insectes Nuisibles (LIN) de l‟Institut pour la Recherche et le Développement
(IRD) nous a également permis de travailler sur des souches et populations naturelles d‟Aedes
aegypti de la Martinique, où la résistance des moustiques aux insecticides chimiques est préoccupante (Rosine 1999, Etienne 2006) et où la contamination de l‟environnement par des
polluants d‟origine anthropique est avérée (Bocquene et Franco 2005). Cette thèse a constitué
l‟un des axes majeurs du projet ANR mosquito-Env depuis 2008.
Figure 14 : Approche expérimentale utilisée pour l‟étude de l‟impact des xénobiotiques sur l‟émergence de résistances aux insecticides chez les moustiques.
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