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2.1. Optimisation au bloc opératoire : Proposition d’une classification des démarches

2.1.1. Contexte et objectif

Nous reprenons ci-dessous l’intégralité du texte original élaboré dans le travail de thèse. Ce texte associe l’ensemble des développements, l’ensemble de la bibliographie ainsi que l’introduction à l’approche nommée "approche BIGDATA".

2.1.1.Contexte et objectif

La comparaison de l’hôpital avec le milieu industriel fait encore débat selon les milieux. Il n’en reste pas moins qu’au cours des 50 dernières années, l’hôpital s’est inspiré progressivement de l’entreprise. L’infrastructure technique et logistique des hôpitaux, l’agrégation des prestations par fonctions principales en plateau technique, hôtelier et consultations et leur traduction architecturale sont les indicateurs incontestables d’une sectorisation de type industrielle. Sur le plan managérial, la nouvelle Gouvernance31 avec son organisation matricielle en pôles (DUCLOS, et al. 2007) – tels des business units, le système de financement et de tarification à l’activité (T2A), les outils de gestion et même l’intitulé des instances de décision – Conseil de Surveillance, Directoire32, ont tous adopté une terminologie entrepreneuriale. Penser “production de soins” devient aujourd’hui une attitude acceptée, courante et attendue. Cette pensée traduirait la transition d’une conception de la médecine en tant qu’art vers un exercice scientifiquement fondé (SETBON, 2000) (SACKETT, STRAUS, RICHARDSON, ROSENBERG, & HAYNES, 2000). Plus largement, au-delà des frontières propres à l’hôpital, les regroupements, les coopérations, les réseaux de soins à des niveaux territoriaux ou régionaux confortent l’idée qu’à l’instar d’un tissu industriel, existe désormais une sorte de tissu "industrialo-sanitaire". Certains outils et méthodes d’organisation, d’optimisation ou de simulation, jugés efficaces dans l’industrie, font l’objet d’interrogations quant à leur intérêt

31 Initié dans le cadre du "plan hôpital 2007" et traduit dans l’Ordonnance n° 2005-406 du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de santé et Circulaire DHOS/E1 n°61 du 13 février 2004 relative à la mise en place par anticipation de la nouvelle gouvernance hospitalière.

pour les hôpitaux. Des tentatives de transfert méthodologique sont d’ailleurs régulièrement engagées à destination des plateaux techniques hospitaliers qui concentrent les plus gros moyens techniques, humains et technologiques.

Au sein même de ces plateaux techniques, le bloc opératoire est le centre de gravité des activités dites aigües. C’est un lieu où le patient abandonne totalement sa vie aux mains de l’équipe chirurgicale. Son importance est capitale puisque le nombre d’interventions réalisées chaque année dans le monde est estimée à quelques 234 millions soit 1 pour 25 personnes (WEISER, et al., 2008). En France, près de 6,5 millions d’interventions à caractère chirurgicale seraient pratiquées chaque année (CNC, 2009). En termes de moyens, on ne dénombre pas moins de 8 000 blocs opératoires dans lesquels travaillent un personnel hautement spécialisé et potentiellement nombreux : environ 4 400 infirmiers de bloc opératoires, 7 500 infirmiers anesthésistes (www.hopital.fr, 2013), et 25 500 chirurgiens dont 17 500 libéraux (INSEE 2013), (HOLLENDER 2005), (VALLENCIEN 2006) (MEAH 2007) (MILON 2008). Pourtant la question de fermeture ou de regroupements pour faible activité est récurrente (MEAH 2007) bien que difficile à réaliser (AFP 2010). Les indicateurs économiques (Rapport 2012 au Parlement sur le financement des établissements de santé 2011) et organisationnels (TONNEAU et LABORIE, Gestion et organisation des blocs opératoires dans les hôpitaux et les cliniques - Rapport final du chantier approfondissement 2008) posent aussi question. Les blocs opératoires figurent parmi les services où la nécessité de progresser est clairement identifiée aussi bien en termes de fonctionnement interne quotidien que dans la gestion et la coordination des ressources en phase pré et postopératoire. Certaines pistes de modernisation sont d’ailleurs bien connues (DOMERGUE et GUIDICELLI 2003), (HOLLENDER 2005) (VALLENCIEN 2006), (MEAH 2007), (MILON 2008) : il s’agit de solutions technologiques avec des procédures moins invasives, guidées par l’imagerie, il s’agit encore de sécurité opératoire, infectieuse, il s’agit de l’organisation de la chirurgie spécialisée ou de la personne âgée, de la chirurgie ambulatoire (ANAP 2012) (THEISSEN, et al. 2014), il s’agit de convalescences plus courtes.

A chaque nouvelle proposition, la question de son apport réel en termes d’amélioration se pose tel le médicament avec sa notion de Service Médical Rendu. La réponse nécessite avant tout de connaitre l’objectif visé. Or cet objectif est parfois bien difficile à établir : s’agit-il de soigner au mieux le patient, de faire un maximum de recettes ou un minimum de perte ? La tentation est grande de répondre que l’objectif est finalement multiple ; qu’il s’agit d’un point d’équilibre idéal posé quelque part entre plusieurs hypothèses et de nombreuses contraintes. Comment alors communiquer et piloter les acteurs qui participent à la réalisation d’un tel objectif ? Nouvelle interrogation, posée depuis longtemps dans l’industrie (WATERMAN, PETERS et PHILIPS 1980) (CROZIER, Le phénomène bureaucratique 1971) (CROZIER et FRIEDBERG, L'Acteur et le Système 1977), toujours actuelle (DUPUY 2011) et à laquelle le bloc opératoire n’échappe pas : la technicité des équipements et des opérateurs confère au

bloc opératoire une structure sociale différenciée (GRUENDEMANN 1970) (SAINSAULIEU 2006) qui renforce l’imperméabilité de l’organisation au monde extérieur et au changement. Même au sein d’une équipe chirurgicale soudée et spécialisée, chaque individu construit sa propre idée de l’objectif commun (ARAKELIAN, GUNNINGBERG et LARSSON 2011).

Une fois l’objectif fixé, reste à mesurer le résultat ou l’écart à l’objectif. Les indicateurs sur le taux de charge des blocs opératoires proposé par la MEAH (TROV, TROS, etc.) ou les Indices de Coût Relatif sont une première approche. Il faut pourtant bien saisir qu’ils relèvent tous de la catégorie des moyens mis en œuvre et jamais du résultat « patient », que pourrait être, de façon simplifiée, sa bonne santé. Même le système de tarification T2A n’approche ce résultat qu’à l’envers en prenant en compte la mortalité, la morbidité et la dépendance.

On l’aura compris, l’optimisation d’un système tel que le bloc opératoire est à la fois nécessaire et difficile. La complexité (HUT 2011) ainsi que les nombreux enjeux de management, comprenant la dimension financière, mais aussi la conception et l’appel implicite à plusieurs disciplines de l’ingénieur (travaux, informatique, biomédical, logistique, etc.), la sécurité, la qualité des soins, la répartition des ressources locales ou territoriales, incite les décideurs à puiser dans l’ensemble des corpus de réflexion pour tenter de progresser. L’expérience industrielle apporte là une trame solide et historique. Ainsi, dès la fin du 18ème

siècle en France, l’enseignement de l’exploitation du charbon à l’Ecole des Mines, fondée en 1783, ou de manière plus générale, peu après l’impact du taylorisme (F. W. TAYLOR 1957) l’organisation des ateliers de mécanique soulignent l’ancienneté et la persistance des questions posées par la rationalisation de l’Organisation Scientifique du Travail (OST). La Recherche Opérationnelle naît au cours de la seconde guerre mondiale pour optimiser des questions de logistique militaire. Elle incarne, un peu plus tard, la gestion scientifique, en facilitant la gouvernance de systèmes compliqués. BLACKETT, Von NEUMANN, ou SIMON, pour ne citer que les plus connus (ASSAD et GASS 2011), illustrent les progrès de l’ «operations research» et son influence profonde dans le secteur industriel. Dans les années 1970, la logique instrumentale de modèles d’optimisation de la rationalité de «l’agir» cède le pas à une logique d’analyse systémique avec une perspective de rationalité du «collectif» (ROY 2006) (ROADEF 2011) (DAVID, HATCHUEL et LAUFER 2012) (SEGRESTIN et HATCHUEL 2012). Dans la filiation de ce courant, la modélisation des processus des zones interventionnelles apporte aujourd’hui une contribution novatrice et pertinente sur le plan de l’aide à la décision qu’il s’agisse de dimensionnement de projet (GALLOT, et al. 2012) d’accompagnement au changement (BESOMBES, et al. 2007) ou d’optimisation des systèmes. L’efficacité de cette approche réside dans l’aptitude d’équipes pluridisciplinaires à aborder et exploiter plusieurs disciplines – mathématique, informatique, sciences de gestion et sciences organisationnelles. D’autres approches d’optimisation ont également émergées en matière de management, d’assurance qualité, de finances ou de comparaisons inter établissements (SAUSSOIS 2012)

(GEORGES et SAMSON 2012). Le décryptage des rouages d’une organisation, par une approche sociologique (CROZIER et FRIEDBERG, L'Acteur et le Système 1977) ou l’analyse des causes profondes d’une erreur humaine en milieu complexe ou même la recherche de seuils critiques en investissement-finance préfigurent souvent une meilleure compréhension des systèmes et des solutions d’optimisation.

Le but de cet article est de faire la part des méthodes couramment employées qui participent à l’optimisation d’un système tel que le bloc opératoire, d’en proposer une classification et d’en discuter les intérêts respectifs. Les termes de performance, d’optimisation, de décision sont discutés à la lumière des différentes méthodes recensées. Il ne s’agit pas de recettes, mais l’idée d’articuler plusieurs outils méthodologiques d’optimisation, de façon consciente ou comprise, semble s’imposer.