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1.2.1. Présentation du site d’étude

La Nouvelle-Calédonie, située dans le Pacifique sud-ouest à environ 1500 km à l’est de

l’Australie (Figure 1.2), est entourée d’une barrière de corail de 1600 km de long, délimitant un lagon

de 24 000 km². Trois Provinces composent ce territoire : la Province Sud (où se situe Nouméa), la

Province Nord et la Province des Iles. La population calédonienne est estimée à 230 000 habitants,

dont 10,6 % dans la Province des Iles, 21 % en Province Nord et 68,4 % en Province Sud

(ISEE-ITSEE, recensement 2004). La Grande Terre (île principale) est la 4

ème

plus grande île du Pacifique

Sud, avec une superficie de 16 500 km². Géographiquement proche du centre de biodiversité de

l’Indo-Pacifique centré sur l’archipel Indo-Malais (Kulbicki & Rivaton 1997), l’écosystème

récifo-lagonaire de Nouvelle-Calédonie est caractérisé par une grande richesse spécifique, et son état de santé

général apparaît encore satisfaisant en regard de l’état des récifs coralliens à l’échelle mondiale

(Wilkinson 2002 & 2004). À l’heure actuelle, environ 1700 espèces de poissons récifaux ont été

répertoriées au sein des lagons néo-calédoniens (Fricke & Kulbicki 2007). Outre sa position

géographique vis-à-vis du centre de biodiversité indo-malais, l’importante diversité observée en

Nouvelle-Calédonie est à relier à la grande variété d’habitats marins côtiers qui y sont présents.

L’étendue géographique de cette île et la superficie de son lagon sont à l’origine de gradients

environnementaux forts (notamment côte-large et nord-sud) et de conditions environnementales

variées (influence océanique et apports terrigènes plus ou moins dominants selon les zones). Il en

résulte des biotopes diversifiés et contrastés : mangroves, fonds meubles, récifs frangeants, îlots

coralliens, récifs-barrières, etc. (Kulbicki & Rivaton 1997). Ainsi, en offrant une multitude de niches

écologiques pouvant répondre à des traits de vie variés, cette diversité d’habitats apparaît comme un

important facteur structurant de l’hétérogénéité spatiale des peuplements biologiques, et notamment

ichtyologiques (Kulbicki & Rivaton 1997, Letourneur et al. 1997).

Figure 1.2 : Situation de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique et localisation du site d’étude sur la côte

nord-ouest.

Le site d’étude considéré ici correspond à la zone de Voh-Koné-Pouembout (VKP), située sur la

côte nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie (Figures 1.2 & 1.3). Située en Province Nord, il inclut les

communes de Voh, Koné (chef lieu de la Province Nord) et Pouembout. La zone d’étude délimite une

surface lagonaire de 756 km², dans laquelle la plupart des biotopes récifo-lagonaires présents en

Nouvelle-Calédonie sont représentés. Elle comprend notamment une large portion de récifs-barrières

(représentant 114 km² de platier au total) entrecoupés de quatre passes, ainsi que de nombreuses

formations de récifs intermédiaires et frangeants (respectivement 37 km² et 122 km² de platier)

(Andréfouët & Torres-Pulliza 2004). Au niveau du littoral, cet espace lagonaire est bordé par des

mangroves particulièrement étendues (83 km² au total) en regard du reste du littoral néo-calédonien,

notamment au niveau des embouchures. Le récif-barrière est distant de la côte de 6 kilomètres en

moyenne (minimum: 2,9 km, maximum : 9,7 km).

D’un point de vue humain, la zone est faiblement peuplée (9600 habitants, répartis en 9

localités) et assez caractéristique des zones rurales de la côte ouest de Nouvelle-Calédonie. La

population y est multiculturelle, mêlant des modes de vie mélanésiens, calédoniens, européens ou

encore polynésiens. L’installation géographique de ces différentes communautés conditionne les

localités présentes sur cette zone ainsi que leur organisation. On distingue notamment des tribus

mélanésiennes (13% de la population de la zone) et des villages multiculturels (87% de la population)

(ISEE-ITSEE, recensement 2004), ces derniers concentrant l’essentiel de l’urbanisation et des activités

économiques (Figure 1.3).

Figure 1.3 : (a) Aperçu de la zone de Voh-Koné-Pouembout (VKP), limites de la zone d’étude et présentation

des éléments géographiques et géomorphologiques d’intérêt. (b) Aperçu de la zone VKP en image satellite

composite. Les villages apparaissent en lettres majuscules et les tribus en lettres minuscules3

1.2.2. Contexte local et enjeux : origine des objectifs de la thèse

La Nouvelle-Calédonie est un territoire en pleine expansion économique, notamment en raison

d’un fort potentiel minier (second exportateur mondial de minerai de nickel). L’exploitation du

minerai de nickel y est présente depuis des décennies, mais l’amélioration des techniques d’extraction

et de traitement du minerai a récemment ouvert des possibilités d’exploitation inenvisageables par le

passé. Ainsi, la mise en exploitation de nouveaux gisements est en projet en plusieurs endroits de la

Grande-Terre. Les activités minières ont un fort potentiel d’impact sur les environnements terrestres,

côtiers et marins, via leur fonctionnement direct mais également via le développement économique et

démographique qu’elles engendrent. La nécessité de suivre ces impacts pour mieux préserver les

milieux naturels constitue donc un enjeu majeur, et le défi est double pour la Nouvelle-Calédonie :

favoriser le développement économique de son territoire tout en préservant un patrimoine naturel

unique, dont une partie a été incrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO en juillet 2008. L’un des

principaux projets miniers concerne la mise en place d’un complexe d’exploitation et d’exportation du

minerai de nickel dans la zone VKP, dont la situation apparaît ainsi particulièrement représentative des

enjeux économiques et écologiques auxquels doit faire face la Nouvelle-Calédonie. Ce projet prévoit

la mise en exploitation du massif du Koniambo mais également la construction d’une usine côtière de

traitement du minerai de nickel, à laquelle sera associée une structure portuaire industrielle (Figure

1.3a).

Plusieurs conséquences environnementales liées à l’installation de ce complexe minier sur la

zone VKP peuvent être envisagées. On peut distinguer des impacts directs, liés à l’activité minière et

industrielle en elle-même, et des impacts indirects résultant du développement économique et humain

de la zone en lien avec l’installation de ce nouveau pôle. Ces deux types d’impact soulèvent des

problématiques de suivi, de gestion et de conservation distinctes, notamment en termes d’échelle

spatiale.

Les impacts directs seront essentiellement liés à la phase de construction puis au

fonctionnement de la mine et de l’usine côtière, qui engendreront des perturbations des milieux

terrestres et marins environnants. Concernant les milieux marins, la mise en suspension de particules

et de sédiments en lien avec le chantier côtier de construction de l’usine sera l’un des premiers impacts

à survenir. En particulier, le dragage d’un chenal d’une cote de -13 m, pour le passage des navires

minéraliers, est en cours depuis mi-2008 entre le site de la future usine et la passe la plus proche (passe

de Duroc), correspondant approximativement à l’extraction de 10 millions de tonnes de sédiments en

16 mois de chantier. Bien que les précautions nécessaires aient été prises, le panache turbide engendré

par ces travaux aura un impact direct sur les habitats récifo-lagonaires et les ressources qu’ils abritent.

Dans une moindre mesure, un impact du même type est prévisible suite aux travaux côtiers de

terrassement et de construction de l’usine. Sur une période de temps plus large, le fonctionnement de

la mine devrait provoquer une augmentation du ruissellement et des apports terrigènes au niveau des

bassins versants concernés par l’exploitation du minerai. L’ensemble de ces impacts vont donc

survenir dès le court terme (certains étant déjà en cours) et constituent une perturbation directe des

communautés récifo-lagonaires proches. L’emprise spatiale exacte de cet impact ne sera pas discutée

ici et doit prendre en compte des facteurs complexes (structure des bassins versants, courantologie

lagonaire, etc.), toutefois elle devrait principalement concerner la partie nord de la zone.

Une autre catégorie d’impacts, qualifiés ici d’indirects, sera liée à l’augmentation

démographique rapide que va induire la mise en place du pôle minier. Le projet en lui-même devrait

créer plus d'un millier d'emplois mais ce sont probablement les activités connexes reliées à cette

arrivée de main d'œuvre (commerces, services, travaux d’urbanisation…) qui devraient contribuer le

plus à l’augmentation démographique de la zone. Actuellement faible, la population locale serait

amenée à doubler d'ici 2015, et à tripler d'ici 2020 (Province Nord, SDAU 2007). Cette augmentation

démographique et urbaine, dans une zone initialement rurale, devrait avoir de nombreuses

conséquences environnementales. La pêche représente une activité prépondérante pour les populations

côtières de Nouvelle-Calédonie (tant pour de la plaisance qu’en tant que source de nourriture ou de

revenus à part entière). Il est donc notamment attendu que l’augmentation démographique et les

changements socio-économiques associés entrainent des modifications significatives des activités de

pêche sur la zone et une probable intensification de la pression d’exploitation. Cet impact indirect de la

mine s’inscrit dans une échelle d’espace différente des impacts directs évoqués précédemment : les

effets d’une modification ou d’une augmentation de la pression de pêche sur les ressources

halieutiques devraient émerger et évoluer plus progressivement, et s’étendre à la zone VKP dans son

ensemble.

Dans un tel contexte, il apparaît crucial d’étudier et de comprendre les effets potentiels de ces

deux types d’impact (directs et indirects) sur les ressources marines de la zone VKP afin de pouvoir

faire face aux enjeux de suivi et de gestion qu’ils soulèvent. La nature différente de ces impacts, tant

dans leurs effets potentiels sur les ressources que dans leur emprise spatio-temporelle, nécessite de les

étudier de manière séparée en vue de pouvoir dissocier leurs conséquences écologiques. L’attribution

de dégradations ou de modifications des écosystèmes locaux à l’un ou l’autre de ces impacts ne sera en

effet possible que si l’ensemble des sources de perturbations potentielles sont connues. Les méthodes à

mettre en œuvre, la nature et la sensibilité des analyses nécessaires à leur étude et leur suivi futur

devront donc être envisagées de manière distincte. Dans le présent travail de thèse, nous nous

intéresserons exclusivement aux conséquences indirectes du projet minier en devenir, et notamment

aux enjeux soulevés par l’accroissement attendu de la pression de pêche. Les données utilisées pour

aborder la pêche et ses effets écologiques ont été collectées avant l’occurrence des autres grands

impacts attendus de la mine (i.e. impacts directs, ayant débuté mi-2008), permettant d’étudier cette

perturbation de manière isolée et spécifique.

Les perspectives de changements et d’intensification des pratiques de pêche soulèvent des

enjeux cruciaux en termes de gestion des ressources marines locales et de conservation des

écosystèmes exploités. Dans cette zone rurale, peu de données sont disponibles et peu d’études ont

porté sur ses écosystèmes récifo-lagonaires de manière spécifique. En particulier, il n’existe pas de

donnée historique concernant les peuplements biologiques exploités et leurs niveaux d’exploitation, à

l’instar de nombreuses régions du Pacifique insulaire confrontées à des enjeux similaires (voir partie

1.1.3.). Ces enjeux de suivi et de gestion, ainsi que la nécessité préalable d’étudier les ressources

exploitées et leurs usages, sont à l’origine des objectifs de ce travail de thèse qui se focalisera sur les

ressources ichtyologiques récifo-lagonaires de la zone VKP.