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Le contenu informationnel de la notation extra-financière est-il intégré dans

Chapitre 2 : Le cadre théorique des modèles multifactoriels : anomalies ou

2.7 Le contenu informationnel de la notation extra-financière est-il intégré dans

extra-financière est-il intégré dans les cours ?

La notion d’investissement socialement responsable comprend toutes les démarches ayant vocation à intégrer des critères extra-financiers relatifs à l’environnement, les ques-tions sociales, éthiques et la gouvernance d’entreprise dans les décisions de placements et

dans la gestion de portefeuilles. Le concept «ESG » fut introduit en 2004 par un rapport

du Pacte mondial des Nations Unies : « Who cares Wins – Connecting Financial Markets

to a Changing World ». Cet évènement, organisé par l’ancien Secrétaire général des Nations Unies comptait un groupe volontaire d’institutions financières pour développer les axes de réflexion majeurs assortis de recommandations sur la question d’une meilleure intégration des dimensions environnementales, sociales et de gouvernance d’entreprise dans la gestion d’actifs, dans les services de courtage en valeurs mobilières ainsi que dans les fonctions

de recherche associées (Rapport final du « Global Compact Leaders Summit », United

Nations Headquarters, le 24 juin 2004, p.2). Le rapport final fut approuvé par une vingtaine d’institutions financières comprenant de grandes banques telles que BNP Paribas, HSBC, Morgan Stanley, des propriétaires d’actifs (Allianz et Aviva Investors), des gestionnaires d’actifs (Henderson Global Investors) ainsi que d’autres parties prenantes (tel qu’Innovest).

Le « rapport Freshfield » issu du programme des Nations Unies pour l’environnement,

publie en 2005, ses premières remarques et constats relatifs à ce qu’ils appellent « la

pertinence financière des questions ESG » et ouvre le débat sur l’impact financier que

revêt l’utilisation de données ESG sur la gestion d’actifs. Le rapport du Pacte mondial des Nations Unies de 2004 ainsi que le rapport Freshfield constituent les fondements des

promul-gués dès 2006. Les PRI produisent un signal fort au sein de la communauté d’investisseurs et sont parvenus à rassembler de grandes institutions financières du monde entier comme signataires. À titre indicatif, la somme de ces signataires représente une enveloppe de 89 trillions de dollars. Le nombre annuel de nouveaux signataires des PRI constitue ainsi un baromètre caractérisant l’attractivité et la prise en compte de ces préoccupations par les investisseurs. Le succès des PRI a largement contribué au développement de la filière ESG qui vit foisonner une multitude de nouveaux fournisseurs de données extra-financières. Bien que l’on puisse se réjouir de cet engouement créateur d’une nouvelle industrie de la donnée,

Eccles, Lee et Stroehle (2019) [213] avancent que cette nouvelle offre apparaît cacophonique

et créé une difficulté non négligeable pour l’investisseur. Ce dernier est amené à devoir naviguer parmi une importante masse d’offres disponibles sur le marché de la donnée ESG. L’offre est, en effet, très disparate en comprenant des produits et services allant de scores globaux d’un univers large de titres, aux scores d’entités spécifiques d’un sous-ensemble plus restreint, en passant par des classements par secteur avec possibilité d’inclure ou d’exclure un panel de sociétés selon l’approche d’investissement et d’obtenir des rapports de recherche plus ou moins personnalisés sur une sélection de noms. Cette profusion d’offres s’accompagne également d’une difficulté supplémentaire soulignée par Chatterji,

Durand, Levine et Touboul (2016) [142] qui attestent que les différentes sources ESG

(les agences de notations extra-financières) n’offrent pas de notations systématiquement convergentes. L’apparition de ces difficultés s’explique sans aucun doute par une appétence croissante des investisseurs pour ces supports d’investissement. La prise en compte de ces préoccupations s’accompagne toutefois d’un questionnement qui dépasse la simple gestion d’actifs en interrogeant plus largement le lien qui existe entre performance sociale, dans une acception large, et performance financière. Cette interrogation nourrit de nombreuses réflexions et conduit à de nombreux désaccords matérialisés par plusieurs compréhensions et interprétations.

— Les partisans de la« shareholder value », pensent que le devoir des entreprises est

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des entreprises (RSE)41 coûte plus que cela ne rapporte. Cette posture, également

appelée, « primat de l’actionnaire » par Brabet (2010) [97] (p.33) stipule que

les firmes ont vocation à maximiser leurs rentabilités, « avec la planète comme

terrain de manoeuvre, pour que la main invisible du marché, l’équilibre des intérêts particuliers, assurent le bien-être sociétal »(Brabet, 2010 [97], p.33). Dans ce cadre, les entités régulatrices ont pour mission de maintenir une concurrence non biaisée

au sein du marché. Cette intervention doit demeurer minimaliste et « garantir les

droits de propriété, la liberté d’entreprendre, d’investir et de commercer » (p.33).

Porter et Kramer (2011) [595] s’inscrivent plus ou moins directement dans cet

axe en introduisant la notion de « création de valeur partagée » (« Creating

Shared Value » ou CSV). Les auteurs présentent la CSV comme les politiques et les pratiques qui renforcent la compétitivité tout en faisant progresser les conditions sociales et économiques dans les communautés dans lesquelles elle opère. Cette dernière demeure critiquée pour son soutien au capitalisme. En effet, la poursuite de la valeur partagée en représente une évolution plus qu’une remise en cause en accordant une plus grande attention aux problèmes de société.

— La théorie des parties prenantes (Freeman, 1984 [320] et Clarskon, 1995 [158])

propose de régler les conflits opposants les dirigeants et les propriétaires en affectant à la firme un mécanisme de gouvernance en intégrant toutes les parties prenantes, les«non-investing stakeholders ». La théorie de valeur actionnariale n’offre, en effet, aucune sortie au conflit dirigeant-actionnaire, car elle stipule à travers sa notion

de relation d’agence une relation seulement bipartite. « Il s’agit d’une relation

dans laquelle le principal dispose du pouvoir de contrôler et de diriger l’activité de l’agent » (Clark, 1985 [157], p.56). La théorie des parties prenante avance une solution, supposée, créatrice de valeur. Cette création de valeur intangible est par ailleurs réputée comme un avantage concurrentiel selon Hillman et Keim (2001)

[400]. Jo et Harjoto (2012) [440] montrent que la gouvernance d’entreprise influence

41. Brabet (2010) [97] met en perspective que la notion même de RSE génère de nombreux désaccords. Certains auteurs cherchent à développer le «concept»de RSE alors que d’autres, soutiennent qu’il s’agit d’un théâtre où s’affrontent et coopèrent de nombreux acteurs (Levy et Kaplan, 2008 [485] et Okoye, 2009 [574]).

positivement la construction du lien avec les parties prenantes et produit une création de richesse intangible.

— Une évolution institutionnelle doit intervenir pour que l’intégration de la RSE soit profitable. C’est dans ce dernier cadre que s’inscrivent les travaux de Rebérioux,

mais surtout ceux de Vogel (2005) [674]. Ces auteurs vont montrer que le contexte

institutionnel actuel favorise la shareholder value ainsi que le court-termisme par

rapport à la stakeholder value de Freeman (1984) [320]. Réberioux (2003) [602]

critique la théorie des parties prenantes en avançant que l’élargissement du périmètre de gestion de l’entreprise ne fait l’objet d’aucun consensus. S’agit-il d’un objectif multiple à destination de la direction ? S’agit-il de doter les parties prenantes d’un pouvoir décisionnel ? L’auteur conclut que ce désaccord participe à retenir la conception de la valeur actionnariale qui bénéficie d’un cadre juridique plus solide. La prise en considération des enjeux sociétaux, repose sur une décision qui émane de la firme par l’intermédiaire de son dirigeant, de ces actionnaires ou plus largement de ces parties prenantes. Néanmoins, plutôt que de caractériser la conduite d’une politique RSE comme une action volontaire, la théorie institutionnelle met en exergue que cette dernière ne découle pas nécessairement d’un choix consenti

(Aguilera, Ganapathi, Rupp et Williams 2007 [4] ; Campbell, 2007 [121]). Cette

décision doit être contextualisée dans un champ économique où de nombreuses considérations s’entrechoquent relativement à une régulation formelle et informelle

(Brammer, Jackson et Matten, 2012 [100]).

Ces diverses interprétations conduisent à des désaccords dans la littérature sur le sens

du lien entre performance sociale et financière. Godfrey, Merrill et Hansen (2009) [349]

introduisent le concept de management du risque afin d’expliquer cette relation par les caractéristiques des firmes et par les réactions du marché. Les managers qui décident d’améliorer la performance sociale de leurs firmes créent de la valeur pour les actionnaires.

Oikonomou, Brooks et Pavelin (2012) [573] soulignent l’importance des conditions de

marché dans la détermination de l’intensité existante entre la dimension sociale et le risque. Les auteurs s’interrogent sur une relation qui n’associe pas la performance financière, mais

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le risque financier bien que les deux éléments demeurent intimement liés. Ils concluent qu’il coexiste à la fois un lien négatif et faible, entre la performance sociale et le risque systématique ainsi qu’un lien, positif et fort entre l’irresponsabilité sociale et le risque

financier. Lackmann, Ernstberger et Stich (2012) [467] attestent qu’une amélioration de la

prise en compte des enjeux ESG produit une réaction plus soutenue du marché lorsque la

firme revêt un risque systématique élevé (βrMrf) et un fort levier d’endettement.

A contrario, Fama et Miller (1972) [296] et Fama (1978) [233] suggèrent que, sous l’hypothèse d’un marché où règne une concurrence pure et parfaite, la satisfaction des actionnaires impose des décisions d’investissement ou de financement qui visent à maximi-ser la valeur de marché de la firme. Le coût du capital est un sujet central, récurrent et directement lié à la recherche d’un modèle estimant le moins imparfaitement les rentabilités attendues par les actionnaires. Contrairement à la théorie des parties prenantes, la théorie

de l’agence de Jensen et Meckling (1976) [439]) offre un cadre d’analyse dans lequel les

investisseurs sont incités à investir dans la prise en compte de ces enjeux uniquement si cela

permet de construire une réputation de qualité (Barnea et Rubin, 2010 [57]). Cheng, Hong

et Shue (2014) [148] avancent, à partir de leurs résultats, que les dirigeants de grandes

ca-pitalisations américaines bénéficient à titre personnel d’avantages issus des investissements ESG. Les auteurs suggèrent qu’une telle configuration conduit, paradoxalement, à une des-truction de valeur pour la firme. Le lien entre performance sociale et performance financière

peut être négatif. Brammer et Pavelin (2005) [101] observent une relation significativement

négative entre les scores ESG et les rentabilités boursières sur les marchés américains

et anglais. Les auteurs soutiennent que les titres les plus vertueux i.e. les mieux notés,

obtiennent une maigre compensation financière attribuable à la dimension sociale des recrutements, d’une part, et de l’environnement, d’autre part. Brammer, Brooks et Pavelin

(2006) [99] observent sur le marché anglais « [...]that considerable abnormal returns are

available from holding a portfolio of the socially least desirable stocks » (p.97). Brammer

et Pavelin (2005) [101] et McWilliams et Siegel (2001) [528] partagent la conclusion de

Vance (1975) [671] selon laquelle les titres poursuivant des ambitions sociétales voient leurs

relation entre la performance sociale et la performance financière est négative à cause de

la destruction d’avantage concurrentiel. Ce « désavantage concurrentiel » est induit par

des dépenses pour une politique RSE qui n’offre aucun retour sur investissement. À partir

du modèle à quatre facteurs de Carhart (1997) [129], Bauer, Koedijk et Otten (2005) [65]

montrent que des fonds éthiques allemands et américains sous-performent leurs indices

de références et enregistrent une performance ajustée du risque systématique (βrMrf)

inférieure. Cette observation est néanmoins nuancée par les performances de quelques fonds anglais qui enregistrent des performances parfois supérieures à leurs benchmarks respectifs.

Bauer, Koedijk et Otten (2005) [65] mettent toutefois en perspective que leurs résultats

indiquent, à l’instar d’un bilan comptable, une photo instantanée de la performance des

gérants à un instant t. Les auteurs avancent que les gérants devraient, dans l’ensemble,

bénéficier d’effet d’apprentissage. Cette conclusion milite pour une anticipation optimiste et conduit à retenir que les futures performances des fonds éthiques devraient surperformer

les fonds standards. Becchetti, Ciciretti, Hasan, et Kobeissi (2012) [67] travaillent sur un

échantillon américain, sur la période 1990-2004, comprenant les anticipations de diverses caractéristiques et concluent que l’information relative au degré d’implication dans la prise en compte des enjeux sociétaux contribuait à améliorer le degré d’efficience des marchés.

Ullman (1985) [669] soutient, en revanche, qu’il n’existe pas de lien entre la performance

sociale et la performance financière.

S’interroger sur le contenu informationnel que revêt la notation extra-financière est une question qui s’inscrit dans le cadre de la théorie de l’efficience des marchés. Le contenu informationnel approximé par la notation extra-financière jouit de nombreux fondements théoriques et semble plus large et vaste que ceux approximés par des ratios comptables ou financiers.