Nous sommes maintenant prêt à donner la dénition de la distribution qui sera utilisée pour dénir la fonction L p-adique de f. On suppose que f > SkΓ0N,ε est une forme propre
pour l'opérateur Tp avec valeur propre ap qui est un entier algébrique par le théorème 1.2.23.
On suppose de plus que le polynôme X2 a
pX εppk1 possède au moins une racine non
nulle α. C'est équivalent à supposer que p Ñ N et ap x 0. On remarque que si α et β sont les
deux racines de X2 a
pX εppk1, alors α β ap et αβ εppk1.
Dénition 2.2.1. Pour a,m > Z avec m A 0, on dénit
µf,αP ; a,m
1
αvpmλf,Pa,m
εppk2
αvpm1λf,Pa,m~p
où λf,Pa,m λf,P ; a,m dénote que f et P sont vus comme constants.
Proposition 2.2.2. Pour a,m > Z avec m A 0, µf,α satisfait la propriété de distribution
µf,αP ; a,m Q
ba mod m b mod pm
µf,αP ; b,pm.
Démonstration. Le côté droit de l'équation est
Q ba mod m b mod pm µf,αP ; b,pm Q ba mod m b mod pm 1 αvppmλf,Pb,mp εppk2 αvppm1λf,Pb,m .
Puisque que λf,Pb,m ne dépend que de b modulo m, on obtient que
Q ba mod m b mod pm εppk2 αvppm1λf,Pb,m p εppk2 αvppm1λf,Pa,m.
On additionne puis soustrait le terme εppk2
αvpm1λf,Pa,m~p pour faire apparaître l'action de
l'opérateur Tp Q ba mod m b mod pm µf,αP ; b,pm 1 αvpm1 ba mod mQ b mod pm λf,Pb,mp εppk2λf,Pa,m~p εppk2λ f,Pa,m~p εppk1 α λf,Pa,m 1 αvpm1λTpf,P ; a,m εpp k2λ f,Pa,m~p εppk1 α λf,Pa,m .
L'hypothèse que f est une forme propre pour Tp avec valeur propre ap et le fait que α2 apα εppk1 0implique que Q ba mod m b mod pm µf,αP ; b,pm 1 αvpm1ap εppk1 α λf,Pa,m εpp k2λ f,Pa,m~p 1 αvpmλf,Pa,m εppk2 αvpm1λf,Pa,m~p µf,αP ; a,m. Ì
Comme pour les symboles modulaires, nous avons une formule pour les convolutions de µ. Proposition 2.2.3. Soit ψ un caractère de Dirichlet de conducteur M relativement premier à p. Alors, pour n copremier à M,
µf
ψ,αψpP Mz; b,n
ψpvpn
τψ a mod MQ ψaµf,αP,Mb na,Mn. Démonstration. Observons d'abord que
Q a mod M ψaψpλf,PMb na~p,Mn~p Q a mod M ψa~pλf,PMb na~p,Mn~p Q y mod M ψyλf,PMb ny,mn~p
en posant y a~p. Comme M,p 1, p est inversible modulo M et a~p parcourt également un système complet de résidus lorsque a parcourt un tel système. Ainsi, en utilisant la formule pour la convolution de λ, on obtient
µf ψ,αψpP Mz; b,n ψpvpn τψ a mod MQ ψa 1 αvpnλf,PMb na,Mn εppk2 αvpn1λf,PMb na,Mn~p ψpvpn
τψ a mod MQ ψaµf,αP ; Mb na,Mn.
Ì Pour M un entier plus grand que 0 et copremier à p, on pose
Zp,M limÐ v Z~pvM Z Z p Z~MZ, Zp,M limÐ v Z~pvM Z Z p Z~MZ.
Zp,M est l'union des disques ouverts Da,v a pvM Zp,M ` Zp,M indicés par les entiers
naturels a relativement premiers à pM et les entiers naturels v plus grands ou égaux à 1. On note par Q une clôture algébrique de Q dans C et on xe un plongement Q Cp. Ce
plongement provient du fait que C Cp en tant que corps puisque les deux ont le même degré
de transcendance sur Q. Notons que Cp n'est pas isomorphe à C comme espaces topologiques,
le premier étant totalement non connexe. Soit v la valuation sur Cp qui étend vp normalisée de
telle sorte que vp 1. Soit Op` Cpl'anneau des entiers de Cpet soit Op x > Cp vx 0
le sous-anneau des unités. On xe une forme modulaire f > SkΓ0N,ε comme dans la sous-
section précédente et on considère le Cp-espace vectoriel de dimension nie Vf Cp@QLfQ
ainsi que le Op-réseau Ωf ` Vf généré par Lf. Nous prenons maintenant quelques lignes pour
expliquer la motivation derrière l'espace Vf. D'abord, on munit Lf de la structure d'un Q-
espace vectoriel en considérant les générateurs de Lf comme une base libre pour cet espace
que l'on note LfQ. On remarque que µf,αP ; a,m prend ses valeurs dans LfQ. Le but étant
de considérer µf,α comme une distribution (une mesure possiblement non bornée) sur Zp,M,
on étend les dénitions de φ, λ et µ pour P > PkCp de telle sorte que µf,αP ; a,m prend
maintenant ses valeurs dans Vf. Le réseau Ωf nous donnera une structure entière pour les
valeurs de µf,α.
Notons par x ( xp la projection de Zp,M sur Zp. Comme pour les fonctions localement analy-
tiques sur Zp, on dénit de manière analogue les fonctions localement analytiques sur Zp,M.
Dénition 2.2.4. Soit U b Zp,M un ensemble ouvert. Une fonction F U Cp est dite
localement analytique s'il existe un recouvrement de U par des disque Dai,vi tels que, sur
chaque disque, F est donnée par une série de puissances convergente Fx Q
nC0
bnx ainp
à coecients dans Cp. On note par LAU l'ensemble des fonctions localement analytiques
sur U.
Puisque la distribution µf,α n'est pas nécessairement bornée, nous ne pouvons pas utiliser
l'approche des sommes de Riemann (voir la dénition 1.1.30) pour intégrer les fonctions loca- lement analytiques contre cette distribution. Le théorème suivant nous permet tout de même de dénir une intégrale à partir de µf,α.
Théorème 2.2.5 ([AV75]). Fixons un entier h tel que 1 B h B k1. Supposons que le polynôme X2 apX εppk1 possède une racine α > Cp telle que vα @ h. Fixons une telle racine α.
Alors, il existe une unique intégrale U LAU Vf,U,F ( RUF qui satisfait les propriétés
1. Cette intégrale est Cp-linéaire en F et additive en U.
2. RDa,vx j
p µf,αzj; a,pvM pour 0 B j @ h.
3. Pour tout n C 0, RDa,vx anp > pn
α v
α1Ωf.
4. Si F Pªn 0cnx anp converge sur le disque Da,v, alors
SDa,vF ª Q n 0 cnS Da,vx a n p.
Lorsque α est une racine de X2a
pXεppk1 avec vα @ k 1, on dira que α est une racine
p-admissible et on écrira RUF dµf,α pour l'intégrale correspondante. Si la forme modulaire f de
niveau N est telle que p Ñ ap avec p Ñ N et que l'on note α et β les deux racines du polynôme
de Hecke ordonnées de telle sorte que vα B vβ, alors vα 0 et vβ k 1. On déduit que lorsque p Ñ ap, il y a une unique racine p-admissible et on omettra d'y faire référence en
notant l'intégrale correspondante par RUF dµf. Lorsque f est telle que pSap et p Ñ N, alors les
deux racines sont p-admissibles et il existe deux intégrales RUF dµf,αet RUF dµf,β. Le cas pSN
est plus dicile à traiter, mais nous supposerons la plupart du temps que p Ñ N.
Dénition 2.2.6. Un caractère p-adique est un homomorphisme de groupes continu χ Zp,M Cp pour un certain M.
Si M1SM, Zp,M1 est un quotient de Zp,M et on peut identier les caractères de Zp,M1 avec
certains caractères de Z
p,M. On dira qu'un caractère p-adique χ sur Zp,M est primitif s'il ne
se factorise pas de la façon suivante
Zp,M Zp,M1 Cp
pour M1 un certain diviseur propre de M. Pour tout caractère p-adique χ, il existe un unique
M tel que χ est primitif sur Zp,M. Ce M est un entier plus grand ou égal à 1 copremier à p qui est appelé le p-conducteur de χ. De plus, tout caractère de Dirichlet primitif modulo pvM peut être vu comme un caractère de p-conducteur M en le composant avec l'application de réduction modulo pvM. Par exemple, les deux homomorphismes de la sous-section 1.1.1
x( ωx et x ( `xe sont des caractères p-adiques de p-conducteur 1. Un autre exemple de caractères p-adiques est les caractères de la forme χx xj
pψx où j est un entier et ψ est
un caractère d'ordre ni. Les caractères de cette forme sont appelés caractères spéciaux. Dénition 2.2.7. Soit α une racine p-admissible de f et χ un caractère p-adique de p-
conducteur M. La fonction L p-adique de f en χ est donnée par Lpf,α,χ S
Si le p-conducteur de χ est M et que M
1SM, alors on pourrait croire que RZ
p,Mχdµf,α
RZp,M1χdµf,α, mais ce n'est pas le cas en général. Ainsi, la dénition n'est valide que pour les
caractères primitifs sur Z p,M.
Cela a du sens d'intégrer les caractères p-adiques, car ceux-ci sont localement analytiques. Un caractère χ Z
p,M Cp peut être uniquement factorisé comme un produit de la forme
χ χ0χ1 où χ0 Z~pMZ Cp et χ1 1 pZp Cp. Le relèvement de χ0 à Zp,M est
une fonction localement constante. Le groupe 1 pZp est topologiquement cyclique. Soit γ un
générateur topologique de 1 pZp `γe. Soit a un élément quelconque de 1 pZp. Alors, on
peut écrire a γs pour un certain s > Z
p. La continuité de χ1 implique que χ1a χ1γs
exps logχ1γ est localement analytique en s. Finalement, le produit χx χ0xχ1`xe
est exprimé comme une série de puissances sur chaque disque a pMZp,M.
La condition 2 du théorème 2.2.5 nous dit que µf,α est uniquement déterminée par ses valeurs
évaluée en xj
p, 0 B j @ k 2, sur les disques Da,v pourvu qu'elle respecte les conditions 1,3
et 4. Soit Xn HomcontZp,M,Cptors l'ensemble des caractères p-adiques d'ordre ni. Alors,
la condition 2 est équivalente à connaître les valeurs RZp,Mψxx j
pµf,α pour 0 B j @ k 2 et
tout caractère de Xn. En eet, supposons que la condition 2 tient et soit ψ un caractère de
conducteur pvM. Le fait que ψ soit localement constant sur a MpvZ
p,M donne SZ p,M ψxxjpµf,α Q a mod pv M a,pM 1 ψa S Da,vx j pµf,α.
Réciproquement, supposons que la valeur de RZp,Mψxx j
pµf,α est connue pour tout caractère
d'ordre ni et 0 B j @ k 2. Nous voulons déterminer l'intégrale de xj
p sur un disque Da,v,
a,pM 1. Remarquons d'abord que SDa,vxjpµf,α S Zp,Mχap vM Z p,Mxx j pµf,α.
Par la proposition 1.3.10, nous pouvons décomposer la fonction caractéristique comme une somme de caractères. Posons Xn,v l'ensemble des caractères de conducteur pvM. Alors,
SZ p,M χapvM Z p,Mxx j pµf,α S Zp,M 1 φMp 1pn1 Q ψ>Xn,v ψa1ψx x j pµf,α 1 φMp 1pn1 Q ψ>Xn ψa1 S Zp,Mψxx j pµf,α.
Dénition 2.2.8. Pour s > Zp, soit χsx le caractère p-adique déni par la formule
χsx `xpes expps logp`xpe.
On note Lpf,α,χ,s Lpf,α,χχs1 RZ
p,Mχx`xpe
s1dµ f,αx.
Remarque 2.2.9. La normalisation que nous donnons ici de la fonction L p-adique n'est pas tout à fait la même que celle donnée dans [MTT86]. Dans loc. cit., Lpf,α,χ,s est dénie
en intégrant plutôt χx`xpes. Il s'agit d'un choix purement esthétique. Avec notre choix de
normalisation, l'axe de symétrie pour l'équation fonctionnelle de Lpf,α,χ,s sera en s 1
tout comme l'axe de symétrie pour la fonction L complexe de f est en s 1.
Proposition 2.2.10. La fonction Lpf,α,χ,s est localement analytique en s et est dénie
pour s > Zp.
Démonstration. Voir le théorème [Vi²76, page 254]. Ì
Dénition 2.2.11. Un groupe de Lie p-adique G sur Cp est une variété sur Cp qui possède
une structure de groupe telle que l'application de multiplication est une fonction localement analytique.
L'ensemble des caractères p-adiques HomcontZp,M,Cp admet une structure de groupe de Lie
p-adique. Nous dirons qu'un caractère est modéré s'il est trivial sur 1pZp et nous dirons qu'il
est sauvage s'il est trivial sur Z~pMZ. Comme nous l'avons déjà remarqué, chaque caractère
sur Z
p,M peut être décomposé uniquement comme le produit d'un caractère modéré et d'un
caractère sauvage. Pour u > Cp avec Su 1S @ 1, on dénit un caractère sauvage particulier par
χu Zp,M Zp 1 pZp Cp
où les deux premières èches sont les surjections naturelles et la troisième èche envoie un choix de générateur topologique γ de 1 pZp sur u. Soit χ1 un caractère sauvage quelconque.
Nous savons que γ 1 mod p, donc Âγ limn ªγp
n 1. De plus, Æ χ1γ χ1 lim n ªγ pn 1 car χ1 est un homomorphisme continu. Donc,
lim n ªχ1γ 1 pn lim n ª pn Q i 0 pn iχ1γ i1pni 0, car les termes centraux 0 @ i @ pn tendent vers 0 et χ
1γp
n
tend vers 1. Ainsi, Sχ1γ 1S @
1 et χ1γ > u > Cp Su 1S @ 1. Il suit que tout caractère sauvage est donné par χu
pour un certain u. Notons que cette représentation de χ1 dépend du choix d'un générateur
topologique. Pour ψ un caractère modéré, l'application u ( ψχu identie le disque u > Cp
Su1S @ 1 avec l'ensemble des caractères sur Z
p,M dont la partie modérée est égale à ψ. Donc,
HomcontZp,M,Cp est une union nie et disjointe de disques unités ouverts de Cp en posant
est localement analytique. Nous avons donc la paramétrisation T ( χ1T, χ1Tγa 1T a.
Avec cette coordonnée locale, Lpf,α,ψ,T S
Zp,Mψxχ1Txµf,αx SZp,Mψx1 T axµ
f,αx
où, pour un x xé, a est tel que `xe γa. Donc, ax logp`xe
logpγ . Finalement, Lpf,α,ψ,T S Zp,Mψx1 T logp`xe logp γ µ f,αx.
En écrivant 1 T logp`xelogp γ comme une somme de coecients binomiaux, nous voyons que
Lpf,α,ψ,T ª Q n 0 TnS Zp,Mψx log`xe log γ n µf,αx
est localement analytique en T . Le changement de l'ordre de sommation et d'intégration se fait en utilisant la partie 4 du théorème 2.2.5. Le passage d'une coordonnée à l'autre se fait en posant T γs1 1.
Les caractères p-adiques ψxxj
pavec partie modérée égale à ψ0correspondent à T ζnγj1 où
ζnest un racine pn-ième de l'unité. Ainsi la condition 2 du théorème 2.2.5 peut être reformulée
en disant que Lpf,α,ψ0,T est uniquement déterminée par ses valeurs en T ζn γj 1 pour
toute racine pn-ième de l'unité et 0 B j @ k 2.