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Le constitutionnalisme comme clé de voûte des transitions démocratiques en Afrique

Partie 1 : Le cadre théorique et la méthodologie de la recherche

I. Le passage à la démocratie et le droit constitutionnel

2) Le constitutionnalisme comme clé de voûte des transitions démocratiques en Afrique

Le constitutionnalisme est utilisé en Afrique comme l‘outil majeur pour mettre en place l‘État de droit lors des transitions démocratiques. Ce phénomène s‘est surtout accentué depuis le début des années 1990 dans la plupart des anciennes colonies françaises. Cette période de construction démocratique a donc conduit parallèlement les régimes autoritaires à opérer de nombreux changements constitutionnels, ou à mettre en place de nouvelles constitutions. Le but étant ici de « créer un nouvel édifice institutionnel » pour permettre de garantir une véritable séparation des pouvoirs. Outre les exigences populaires et les pressions internationales, rendre la constitution effective devient, du moins en apparence, la mission des dirigeants africains à cette époque. Les aménagements visent également à renforcer les droits et libertés fondamentaux qui sont bafoués par ces régimes autoritaires. Bourgi fait ressortir deux faits marquants quant à ce regain du constitutionnalisme en Afrique : la place centrale de la constitution dans le débat démocratique et la « consécration de la justice constitutionnelle ». La constitution est perçue dorénavant comme « le fondement de l‘activité étatique » partout en Afrique83.

Assurément, les débats relatifs à la constitution restent très politisés et les conflits à propos de la loi fondamentale sont fréquents dans la plupart des pays africains. C‘est le cas en Côte d‘Ivoire, où les querelles politiques et les différentes crises trouvent leurs origines dans des controverses portant sur des questions d‘interprétation et de modification constitutionnelles. Ces contestations surgissent lors de chaque phase transitionnelle depuis 1990. La « consécration de la justice constitutionnelle » ne connaît un véritable essor qu‘à partir de l‘adoption de la Constitution de 200084. Auparavant, aucune disposition de la Constitution de 196085 ne prévoyait l‘existence d‘un Conseil constitutionnel. Certes, la Cour suprême – qui faisait office de Conseil constitutionnel – comprenait quatre chambres, dont une constitutionnelle, mais la Constitution ne fixait pas de compétences explicites pour cette chambre. C‘est seulement en 2000 que le Conseil constitutionnel est créé, et des pouvoirs

83 Albert BOURGI, « L‘évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l‘effectivité », Revue

Française de Droit Constitutionnel, 4(52), 2002, pp. 721-726.

84 Loi n° 2000-513 op.cit. 85 Loi n° 60-356 op.cit..

29 explicites lui sont attribués. En effet, la nouvelle Constitution ivoirienne donne un rôle plus fort à la juridiction constitutionnelle. La justice constitutionnelle n‘est plus confondue avec toutes les autres juridictions et sa fonction est nettement plus claire. Néanmoins, cette Constitution est remise en cause lors de la tentative de putsch en 2002, et elle n‘a pas réussi à régler le dernier contentieux électoral huit ans plus tard.

La situation ivoirienne est observable ailleurs en Afrique subsaharienne. Trois raisons, dont le « mimétisme constitutionnel », sont mentionnées par les juristes pour expliquer l‘échec des constitutions dans les transitions démocratiques. Pour Dargent, le mimétisme est une cause de cet échec, et son application partielle ou erronée en est une autre. Selon l‘auteure, les élites africaines ont déformé dans la pratique « la constitution importée » qui devait faciliter l‘instauration de la démocratie. Dargent considère que toutes les dispositions ne sont pas transposables et fustige également ce mimétisme qui est offert comme un « gage de crédibilité » par les Occidentaux86. Du Bois de Gaudusson nuance l‘impact négatif des constitutions africaines – qu‘il qualifie de « textes miroirs » des constitutions occidentales – sur la démocratie. Tout comme Dargent, Du Bois de Gaudusson constate que la performance des modèles exogènes ne garantit aucune réciprocité pour les pays africains. Cependant, il observe qu‘il existe des « implantations démocratiques » – hors Afrique – opérées sous « contrôle international » qui ont réussi. Pour l‘auteur, le fait que les constitutions de la plupart des pays africains soient des « copier-coller » traduit une « vision réductrice » des démocraties africaines. Ce mimétisme illustre tout simplement la persistance des influences étrangères dans le constitutionnalisme africain87.

Contrairement à ces deux auteurs précédents, certains juristes considèrent que l‘Afrique n‘est pas confrontée au modèle unique de la « démocratie importée ». Le continent tente de s‘approprier son propre modèle en essayant de s‘inspirer des modèles occidentaux qui ont fait leur preuve. Quantin fait par exemple la distinction entre les modèles (la norme, ce que

86 Fleur DARGENT, « Les échecs du mimétisme constitutionnel en Afrique Noire francophone »,

Communication au VIIIe congrès français de droit constitutionnel à Nancy, 2011, [En ligne],

http://www.droitconstitutionnel.org/congresNancy/comN4/dargentT4.pdf (page consultée le 6 octobre 2011).

87 Jean Du BOIS DE GAUDUSSON, « Le mimétisme postcolonial, et après? », Pouvoirs, 2009, 129(2), 2009,

devrait être la démocratie) et les expériences (l‘instauration du modèle et la pratique). Selon l‘auteur, même si les deux éléments s‘influencent mutuellement, ils ne se confondent point88. Pour preuve malgré la reproduction du modèle français ou britannique, les expériences africaines sont toutes différentes. Certains pays comme le Bénin et le Ghana sont considérés comme de bons élèves. Toujours est-il que plusieurs pays africains ne parviennent pas à s‘identifier et à être identifiés comme des démocraties libérales à part entière.

L‘autre cause récurrente de l‘échec du constitutionnalisme africain qui ressort dans la littérature est la « prééminence du pouvoir exécutif » dans la loi fondamentale89. Tout comme nous l‘avons vu dans notre exploration de la transitologie, cet élément est également utilisé pour justifier l‘échec des transitions africaines. Bourgi considère que le « relativisme » démocratique et le « mimétisme constitutionnel » ne sont pas des obstacles aux processus démocratiques en Afrique subsaharienne. Selon l‘auteur, ces éléments ne doivent pas servir à justifier « les ratés » de la transition démocratique. Pour lui, la référence à la démocratie en Afrique n‘est perçue qu‘à l‘état « formel », « elle est réduite à la seule dimension institutionnelle »90. Le fait que les contre-pouvoirs ne parviennent donc pas à s‘affranchir du pourvoir exécutif, freine à la fois les processus de démocratisation actuels et rend la constitution moins efficace. La solution d‘instaurer un régime parlementaire – suggérée par les transitologues – se retrouve chez les juristes africanistes. Ainsi les pourfendeurs de cet hyper présidentialisme dans le constitutionnalisme africain préconisent que le Parlement soit investi de plus de pouvoirs constitutionnels.

Du reste, d‘autres chercheurs, tels que Conac, ne pensent pas que la nature du régime soit déterminante pour rendre le constitutionnalisme efficace en Afrique. Dans le cas de Conac, il part du principe que le parlementarisme en tant qu‘outil devant permettre d‘accélérer le

88 Patrick QUANTIN, « La démocratie en Afrique : À la recherche d‘un modèle », Pouvoirs, 2009, 129(2),

2009, pp. 65-76.

89 Albert BOURGI, op.cit., p. 729.

90 ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE, Étude déposée par Albert BOURGI,

Ombres et lumières des processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, 2010, [En ligne], http://democratie.francophonie.org/article.php3?id_article=1313&id_rubrique=753 (page consultée le 4 octobre 2011).

31 processus de démocratisation, n‘a permis à aucun pays – excepté l‘île Maurice – « d‘institutionnaliser durablement la démocratie ». La responsabilité de cet échec incombe, selon Conac à l‘ensemble des représentants de l‘État, car les constitutions, comme c‘est le cas en Côte d‘Ivoire, – aussi parfaites qu‘elles puissent être – ne sont pas appliquées et respectées91. Ces conclusions réaniment on ne peut plus notre intérêt pour expliquer les raisons de cette ineffectivité de la loi fondamentale.

Enfin, la troisième cause évoquée ces dernières années pour expliquer l‘échec du constitutionnalisme africain est le manque d‘indépendance des juridictions constitutionnelles africaines92. Balde considère que le juge constitutionnel est à la fois un acteur et un obstacle à la transition démocratique en Afrique, voire à la « transition constitutionnelle »93. À la lumière du cas ivoirien, le chercheur n‘a pas totalement tort. L‘impartialité et l‘indépendance des juges constitutionnels ont été remises en cause à l‘issue des présidentielles de 2010. En effet, les adversaires du président sortant Laurent Gbagbo considèrent que le président du Conseil constitutionnel, Paul Yao N‘Dré, a annulé les résultats de certaines circonscriptions dans l‘unique but de favoriser la réélection de Laurent Gbagbo. Alors que le Conseil Constitutionnel proclame des résultats électoraux pour sa toute première fois en 2010, et celui-ci n‘est pas en mesure de le faire sans heurt.

Amougou – sans nier le manque d‘autonomie des juridictions constitutionnelles – s‘interroge par ailleurs sur le manque de rigidité des constitutions en Afrique où les révisions s‘effectuent sans réelles contraintes. L‘auteur donne l‘exemple du Cameroun, car

91 ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE, Étude déposée par Gérard CONAC,

Quelques réflexions sur les transitions démocratiques en Afrique, 2010, [En ligne],

http://democratie.francophonie.org/article.php3?id_article=1314&id_rubrique=753 (page consultée le 4 octobre 2011). Conac exclut délibérément l‘Afrique du Sud qui est pourtant un bel exemple de démocratie parlementaire sur le continent.

92 Marcelin ABADA NGUÉLÉ, « L‘indépendance des juridictions constitutionnelles dans le

constitutionnalisme des États francophones post guerre froide : l‘exemple du conseil constitutionnel Camerounais », Communication au VI e congrès français de droit constitutionnel à Montpellier, 2005 [En ligne], http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes5/ABADA.pdf (page consultée le 8 octobre 2011).

93 Sory BALDE, « Juge constitutionnel et transition démocratique : Étude de cas en Afrique subsaharienne

francophone », Communication au VIIIe congrès mondial de l’association internationale de droit

constitutionnel, Instituto De Investigacions Juridicas, p. 9, [En ligne], 2010, http://www.juridicas.unam.mx/w

le manque de rigidité constitutionnelle dans ce pays a tendance à favoriser « les dérives présidentialistes ». Il suggère en plus de la mise en place de constitutions plus rigides, une « morale ou éthique du constitutionnalisme » pour éviter les dérives constitutionnelles94.

Si l‘indépendance de la juridiction constitutionnelle est vivement critiquée, le contrôle de la constitutionnalité l‘est également. L‘expérience des dernières élections présidentielles en Côte d‘Ivoire témoigne de cette situation. Outre la remise en cause de la décision du Conseil constitutionnel qui annule les résultats des régions remportées par le Rassemblement Des Républicains (RDR), les partisans d‘Alassane Ouattara considèrent que les fondements sur lesquelles l‘institution s‘est basée ne sont pas juridiques. Pour ces derniers, cette annulation du Conseil constitutionnel s‘est donc faite en violation de la Constitution.

Bourgi est plus optimiste sur l‘état des juridictions constitutionnelles africaines, qui ont un pouvoir plus important que dans les années 1960. L‘auteur souligne que ces juridictions « s‘efforcent de donner un caractère plus effectif à leurs attributions ». Il considère dans le même temps que les nouvelles juridictions constitutionnelles africaines jouent un rôle régulateur déterminant, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif95. Les juges constitutionnels ont sans aucun doute une place centrale dans le constitutionnalisme africain, mais le poids de leur responsabilité dans le succès ou l‘échec des transitions démocratiques reste difficile à évaluer.

Dans le cas qui nous occupe, le Conseil constitutionnel ivoirien travaille en collaboration avec la Commission Électorale Indépendante (CEI) en matière d‘élections. Le litige survenu à la suite de la présidentielle de 2010, en jetant le discrédit sur le Conseil constitutionnel – jugé partial –, conduit à s‘interroger sur l‘autorité de cette dernière par rapport à la CEI. En effet, la décision de la CEI ayant finalement primé sur celle du Conseil

94 Jean-Louis AMOUGOU ANTANGANA , « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau

constitutionnalisme africain », 2005, Communication au VIe congrès français de droit constitutionnel à

Montpellier, [En ligne], http://www.afdc.fr/congresmtp/textes7/ATANGANA.pdf (page consultée le 19

octobre 2011).

33 constitutionnel, ceci met en doute la suprématie de la juridiction constitutionnelle sur les autres organes de l‘État.

En somme, l‘insuccès du constitutionnalisme africain a mené les constitutionnalistes à adopter deux approches que nous qualifions, pour la première de structuro-fonctionnelle, et pour la seconde d‘institutionnelle. Les juristes africanistes se focalisent, d‘une part, sur l‘analyse des dispositions des constitutions africaines et sur les effets positifs qu‘elles devraient produire (approche structurelle). D‘autre part, ils analysent les institutions qui sont régies par les constitutions africaines et qui doivent permettre l‘établissement de régimes démocratiques (approche fonctionnelle). C‘est selon ces deux approches que nous voulons articuler notre recherche sur l‘impact des constitutions ivoiriennes dans les différentes transitions démocratiques depuis les années 1990.