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Un constat: le recours au DAN est légitime mais angoissant pour les personnes concernées

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Dans notre étude, 60% des personnes concernées par une maladie génétique à révélation tardive ont un point de vue généralement favorable quant au recours au DAN pour leur pathologie. Si l’histoire familiale de la maladie (notamment les décès survenus dans la famille) ne semble pas influencer l’avis des participants, le fait d’avoir déjà un enfant malade est un critère qui les amène souvent à faire ce choix. Malgré ce point de vue, le recours au DAN constitue une démarche tout autant angoissante que rassurante pour la majorité d’entre elles. Ainsi, 78,2% des personnes concernées trouvent le recours à ces techniques angoissant parce qu’elles impliquent une technicisation de la procréation, des risques d’échec (refus éventuel du CPDPN, possible échec technique pour le DPI, obtention non certaine d’une grossesse suite à la FIV), et l’éventualité de l’interruption de la grossesse (dans le cas du DPN). Dans le même temps, le recours au DAN est jugé rassurant pour 73,2% des participants parce qu’il « assure » l’arrivée d’un enfant indemne de la maladie.

Les couples ont un positionnement intellectuel réfléchi et modéré qui repose sur des valeurs réelles, principalement d’ordres éthique et moral, mais aussi culturel ou religieux. Ceux en demande d’un DAN sont principalement motivés par le désir de ne pas transmettre « le fardeau de la maladie » à leur enfant, et veulent « casser cette malédiction » que représente la pathologie au sein de leur famille. Ceux qui y sont opposés refusent cette alternative pour des raisons diverses: refus de l’interruption de grossesse, affirmation du droit à la vie pour les individus malades, et risque de « dérives eugéniques » (le terme « sélection » est très souvent cité). L’espoir en des progrès futurs de la médecine et la perspective de guérison de leur maladie sont des arguments également évoqués, ainsi que les particularités de leur maladie (révélation à l’âge adulte et prédisposition pour les formes familiales de cancer).

Si les personnes concernées se positionnent de principe plutôt favorablement sur le recours au DAN dans le cadre de leur pathologie en général, elles semblent plus réticentes quand il s’agit de la réalisation de leur propre projet parental. Les personnes ayant un tel projet dans un avenir proche sont seulement 22,1% à vouloir recourir au DPN et 25,6% à envisager un DPI. Les arguments en faveur du recours au DAN, quelle que soit la technique envisagée, sont avant tout le refus de transmettre la maladie à leur enfant et la volonté de stopper la transmission (« épée de Damoclès au-dessus de la tête toute sa vie » ; « donner le

cancer en héritage m’est intolérable »), ainsi que leur histoire familiale (« une malédiction »). Par contre, les personnes qui y sont opposées mettent en avant dans un

premier temps et très majoritairement leur rejet de l’IMG pour le DPN. Interrompre une grossesse pour cette raison semble inenvisageable pour elles : « c’est un vrai dilemme » ; « un choix inacceptable » ; « j’aurais regretté toute ma vie d’avoir pris cette décision ». Le caractère sacré de la vie, le respect de la vie humaine et de la vie à venir sont aussi des arguments fréquemment cités. Les autres arguments avancés sont le refus de « la sélection », « de l’eugénisme » (pour le DPN et le DPI), l’espoir en des futurs progrès de la médecine, le caractère tardif de la révélation de leur maladie (« le pronostic vital pas en jeu à la

naissance ») et enfin le caractère angoissant de recourir à l’une de ces techniques pour

réaliser leur projet parental. Ainsi, la préférence de la majorité des participants est de devenir parents sans avoir recours aux techniques médicales (grossesse spontanée et pas de DAN) ; le fait de renoncer à tout projet parental à cause de leur maladie est une alternative que la majorité rejette mais ils sont quand même 5% à déclarer envisager ce choix.

Certains, outre une histoire familiale souvent lourde et leur vécu personnel de la maladie, se disent contents d’être en vie. Pour d’autres, leur propre vécu et leur histoire familiale font qu’il leur semble impossible d’assumer « la souffrance attendue » (physique et psychique) de l’enfant à naître et de toute sa famille.

Notons également que les participants étant déjà parents sont plus nombreux à être favorables au recours à ces techniques, peut-être parce qu’ils sont plus âgés. Ils sont probablement plus nombreux à avoir été confrontés à l’anxiété liée à l’incertitude pour certains ou à la certitude pour d’autres de se savoir porteur ou de savoir leur(s) enfant(s) porteur(s), à la pénibilité de la maladie parce qu’ils sont eux-mêmes atteints ou parce qu’ils ont accompagné et/ou perdu des proches des suites de cette même maladie.

Enfin, le sujet de la maladie génétique reste tabou au sein des familles. Certaines personnes sont déstabilisées et éprouvent beaucoup de difficultés à aborder le sujet au sein même de leur couple et/ou avec leurs propres enfants adolescents ou majeurs.

Concernant le recours à l’IMG en particulier, les participants le refusent très majoritairement, et ce pour plusieurs raisons principales: les raisons éthiques et morales, le caractère « sacré » de la vie et le caractère tardif de la révélation de leur maladie.

Concernant les raisons éthiques et morales, le refus de la sélection et de « l’eugénisme » dans les pratiques individuelles sont les arguments les plus fréquemment cités, démentant le désir ou la quête de l’enfant « parfait » de la part des futurs parents. Ils sont nombreux à

souhaiter « laisser faire la nature », rejetant ainsi ce que la technique médicale permet. Nous avons constaté que, pour eux, la représentation de la nature comme principe de chaque vie individuelle est importante, et sans se référer à une quelconque croyance religieuse, ces répondants considèrent qu’un « ordre naturel » préside à la conception de chaque vie. Faire le choix du DAN leur devient alors impossible et l’idée d’interrompre une grossesse à cause de leur maladie ou de leur prédisposition au cancer semble dans ce cas inimaginable, presque incongrue. D’autres sont même indignés du recours à de telles pratiques qu’ils jugent contraires à leurs valeurs et à la dignité humaine. Il semblerait donc que l’on accuse à tort les futurs parents de nourrir un tel rêve.

Le caractère sacré de la vie, le respect de la vie humaine et le respect dû à la vie à venir sont aussi des arguments fréquemment cités. Ils sont souvent à l’origine de culpabilité chez des parents ou futurs parents, et ils amènent certaines personnes à se questionner sur leur propre existence et sur les choix hypothétiques de leurs propres parents (« et si mes parents avaient

eu recours à ces techniques… ») De plus, la plupart d’entre eux, outre une histoire familiale

souvent lourde et leur vécu personnel de la maladie, se disent contents d’être en vie. Ils ont un travail et une vie de famille, et estiment leur qualité de vie « bonne », « agréable ». « Ma

vie ne se résume pas à ma maladie! », témoigne une personne. Certains futurs parents

réfutent cependant cet argument en invoquant leur propre vécu de la maladie et leur histoire familiale. Ce qui pose problème à nombre de participants est le DPN car « le bébé est déjà

là, dans le ventre de sa mère ». Une relation a déjà commencé à s’établir et c’est cet

investissement affectif qui pousse les couples à rejeter l’idée de l’IMG, ce qui n’est pas le cas pour le DPI. Cette perspective rend le DPI plus acceptable aux yeux de la plupart des patients et des professionnels: « les embryons ne sont pas des bébés » ; « si un œuf est

porteur du gène, tout est arrêté avant sa réimplantation chez la mère. C’est donc complètement différent! »

Enfin, le caractère tardif de leur maladie, qui leur confère un espoir en les progrès futurs de la médecine en termes de traitement et de guérison, est un argument souvent avancé par les personnes concernées par une maladie génétique à révélation tardive dans notre enquête. Puisque les maladies dont il est question dans notre travail affectent des adultes, peut-on « gommer » les dizaines d’années de vie qui les séparent des premières manifestations cliniques de leur maladie? Les différents discours sont alors parfaitement résumés par un exemple donné par Mattéi dans son livre L’enfant oublié: il nous raconte l’histoire d’un embryon génial, musicien, qui dès les premières semaines de gestation compose un concerto

dépistage de la maladie de Huntington. Il réalise alors qu’il est le seul à savoir qu’il est génial, et que même s’il est atteint, il aurait eu le temps, au moins 40 ans, d’écrire son concerto, voire de marquer son temps et que s’il disparaît avant de naître, personne n’aura de regrets puisqu’il les emportera avec lui… [100]

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