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Consommation de viande de gros gibiers et risque relié à l’exposition au plomb

Chapitre 1- PROBLÉMATIQUE

1.3 Consommation de viande de gros gibiers et risque relié à l’exposition au plomb

1.3.1 Concentration en plomb dans la viande de gros gibiers

De nombreuses études ont démontré la présence de fragments de plomb dans la viande de gros gibiers ou d’oiseaux abattus avec des projectiles contenant du plomb qui se désintègrent à l’impact (Dobrowolska et Melosik, 2008; Hunt et al., 2009; Knott, Gilbert, Hoccom, et Green, 2010; Pain et al., 2010; Tsuji et al., 2009). Dans une étude réalisée par Hunt et al. (2009) à partir de 30 carcasses de cerfs, les radiographies latérales du point d’impact ont montré un nombre médian de 136 fragments (15 à 409) et la distance moyenne entre les fragments était de 24 cm avec un fragment isolé à 45 cm. Après le débitage, 80 % (24) des cerfs présentaient au moins un fragment de plomb radio-opaque et 32 % des 234 paquets de viande hachée obtenus en présentaient au moins un (Hunt et al., 2009). Dans une étude réalisée avec 12 carcasses de cerfs, Knott et al. (2010) ont rapporté en moyenne 386 fragments visibles à la radiographie et dont le poids était estimé à 17% de celui de la munition. Chez des sangliers et des cerfs de Virginie, Dobrowolska et Melosik (2008) ont démontré que les fragments de projectiles pouvaient se retrouver à 30 cm de la plaie d’entrée, mais la concentration en plomb était plus importante du point d’impact jusqu’à 5 cm de la plaie, puis elle diminue au fur et à mesure qu’on s’en éloigne pour atteindre toutefois une concentration supérieure à 0,1 mg kg-1 à 25 cm. La portion de viande

enlevée autour de la plaie d’entrée est donc une variable importante pour l’exposition au plomb chez les chasseurs. Dans une récente étude, le Swedish National Food Agency (2014) a rapporté que la concentration en plomb dans la viande de sanglier était plus élevée à la plaie d’impact (définie comme toute viande visiblement altérée ou injectée de sang; médiane = 146 mg/kg) mais diminue en s’éloignant (médiane à 0-5 cm = 9 mg/kg) pour être inférieure à 0,1 mg/kg à partir de 10 cm au-delà de la plaie d’impact. Notons qu’en Norvège, sur un échantillon de 23 chefs de groupe de chasseurs, 35 % se débarrassaient de la viande entre 0 et 10 cm autour de la plaie contre 43 % entre 10 et 20 cm et 22 % au-delà de 20 cm (NSCFS, 2013). Les concentrations en plomb retrouvées dans la viande de gros gibiers sont variables (tableau 4) et peuvent dépasser la limite maximale recommandée en Europe et par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui est de 0,1 mg kg-1 de

Tableau 4 : Concentrations en plomb dans la viande de gros gibiers selon la source et la nature de la viande

Source

Échantillon Concentration en plomb (mg/kg de poids) Nature de la

viande Taille Médiane Moyenne P95 Minimum Maximun

Canada¹ Caribou 7 1 5726 Cerf de Virginie 4 0,3 867,4 EFSA² Sanglier 966 1,143 0,67 Cerf de Virginie 733 0,048 0,124 Orignal 47 0,015 0,046 Caribou 490 0,061 0,15

Espagne³ Cerf rouge 61 0,326 0,915 0,016 4,6

Sanglier 64 1,29 6,1 0,05 10,4

Norvège4 Orignal haché 52 0,3 5,6 79 110

Pologne5 Cerf rouge 82 0,22 0,01 1,5

Suède6 Orignal haché 54 0,027 0,9 31

¹ Tsuji et al. (2009), ² EFSA (2012), ³ Morales, Rojas, Perez-Rodriguez, Casas, et Lopez (2011), 4Lindboe,

Henrichsen, Hogasen, et Bernhoft (2012), 5Falandysz, Szymczyk-Kobrzynska, Brzostowski, Zalewski, et

Zasadowski (2005), 6 Swedish National Food Agency (2012).

1.3.2 Influence de la consommation de la viande de gibiers sur la plombémie

La consommation de viande de gibiers abattus avec des munitions en plomb contribue à une augmentation de la plombémie (Johansen, Pedersen, Asmund, et Riget, 2006; Meltzer et al., 2013). En relation avec le petit gibier, Lévesque et al. (2003) ont estimé que la plombémie élevée obtenue au niveau du cordon ombilical des nouveaux-nés du Nunavik était probablement reliée à la consommation de viande d’oiseaux abattus avec des munitions en plomb suite à une confirmation par le ratio des isotopes du plomb. De plus, en utilisant également une technique de ratio isotopique, l’augmentation de la plombémie secondaire à la consommation de viande de chasse a été confirmée au sein de la communauté Cri de l’Ontario (Tsuji et al., 2008). Selon Johansen, Pedersen, Asmund, et Riget (2006), la plombémie des humains au Groenland subit une variation saisonnière avec un pic correspondant à la période de consommation des repas de viande des oiseaux.

En Norvège, dans une étude réalisée auprès de 147 chasseurs avec un volet questionnaire et un volet dosage de la plombémie, Meltzer et al. (2013), ont montré que les consommateurs d’au moins un repas de viande de cervidés par semaine ont une plombémie supérieure de 31 % à celle des non-consommateurs. Iqbal et al. (2009)

ont rapporté que les consommateurs de viande de gibier au Dakota du Nord, avaient une plombémie (moyenne géométrique = 1,27 µg/dl) supérieure de 0,3 µg/dl (intervalle de confiance à 95% = 0,16 – 0,44 µg/dl) par rapport à ceux qui n’en consommaient pas (moyenne géométrique = 0,84 µg/dl). De plus, la consommation récente (moins d’un mois) est associée à une plombémie élevée (Iqbal et al., 2009). En contrepartie, dans une étude réalisée en Suisse, Haldimann, Baumgartner, et Zimmerli (2002) ont conclu que la consommation fréquente de viande de gros gibiers n’avait pas un effet significatif sur la plombémie.

La plombémie chez les consommateurs de viande de gibier est influencée par plusieurs facteurs dont l’autoassemblage des munitions de plomb, l’âge, le sexe, la consommation de vin, le tabagisme et le nombre de tirs avec les munitions à base de plomb par année (Meltzer et al., 2013). De plus, l’usage des épices acides augmente la biodisponibilité du plomb après la cuisson (Mateo et al., 2011).

La fréquence de consommation de la viande de gros gibiers et la quantité de viande par repas sont des paramètres nécessaires pour estimer l’exposition au plomb provenant de cette source. Dans une étude basée sur une simulation de Monte-Carlo et réalisée à partir des concentrations en plomb dans la viande d’orignal avec une consommation de viande estimée à 2 g/Kg de poids corporel par repas, Lindboe, Henrichsen, Hogasen, et Bernhoft (2012), ont démontré que les consommateurs d’au moins deux repas de viande de gros gibier par semaine étaient à risque d’ingérer une quantité importante de plomb supérieure à l’ancienne DHAP. En Espagne, 62 % des consommateurs de viande de cerfs et de sangliers étaient des chasseurs et pour certains, la quantité de plomb ingérée pouvait atteindre 224 % de l’ancienne DHAP (Morales et al., 2011). Selon l’EFSA (2010), les grands consommateurs de viande de gibiers font partie du groupe des consommateurs ayant une grande exposition au plomb variant de 1,98 à 2,44 µg/kg de poids corporel par jour. Les données provenant des études ont amené certaines agences gouvernementales à émettre des avis, soit pour limiter la consommation de viande de gibiers abattus avec des munitions en plomb ou encore pour conseiller aux enfants et femmes enceintes ou en âge de procréer de ne pas en consommer (BfR, 2011; Food Standards Agency, 2012a; NSCFS, 2013).

Même si nous possédons des données relativement précises sur les prises, nous ne disposons pas de données québécoises sur la fréquence de consommation de viande de gros gibiers par les chasseurs ainsi que sur les concentrations en plomb dans la viande de cervidés. L’étude que nous proposons vise à permettre de disposer de ces données et ainsi de pouvoir estimer l’exposition au plomb chez les chasseurs. Nous avons choisi de restreindre la population à l’étude aux chasseurs ayant abattu au moins un cervidé en 2013 dans une optique d’évaluer le risque chez le groupe potentiellement plus exposé.