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Consolidation de la mémoire à long terme récente (24h)

CHAPITRE I : Etude de l'influence des premières heures de sommeil paradoxal post-apprentissage

A. Consolidation de la mémoire à long terme récente (24h)

1. Le sommeil de transition joue-t-il un rôle dans la consolidation ?

Nous avons observé dans l’étude décrite dans l’article l’absence d’effet comportemental de la privation de SP lorsque les animaux étaient testés 24 heures après le conditionnement (figure 1C de l’article). C’est un résultat inattendu qui a particulièrement retenu notre attention. Plusieurs travaux dont ceux de notre équipe ont montré le rôle du SP post-apprentissage dans la consolidation d’une mémoire de la peur testée 24 heures après l’apprentissage. Nous avons donc tenté de comprendre les raisons de cette absence d’effet à court terme de la privation de SP dans notre étude. Nous avons noté que cette étude est la première de notre équipe utilisant une méthode de privation automatique de sommeil. Nous avons donc analysé en détail le sommeil des animaux au cours de la période de privation, en quantifiant notamment le sommeil de transition (ST), un état de vigilance situé dans la transition entre épisodes de SL et épisodes de SP. Nous nous sommes intéressés au ST car notre méthode de privation n’empêche pas les animaux d’entrer en ST (figure 19B-C). Dans la littérature, la place du ST reste mal caractérisée, étant pour certains partie prenante du SP (communication de K Sakai) ou du SL (PH Luppi) ou pour d’autres encore un état de vigilance à part entière (Glin et al., 1991). Le ST se caractérise par la présence conjointe d’oscillations de rythme thêta du SP et de rythme delta du SL (Glin et al., 1991). Un rôle de cette phase de sommeil dans la mémoire émotionnelle a précédemment été suggéré (Ambrosini and Giuditta, 2001; Datta and O’Malley, 2013). Nous avons donc quantifié les durées de ST chez les souris privées et non privées de SP, et nous avons ensuite corrélé les performances mnésiques de nos souris avec ces quantités de ST. Cette analyse révèle une corrélation positive entre les quantités de ST pendant la période de privation et le niveau de freezing des animaux du groupe RECENT PSD (figure 19B-C). Ce résultat suggère que le ST est peut-être suffisant pour permettre, de manière compensatrice, la consolidation d’une mémoire récente en cas d’absence de SP. En effet, cette corrélation n’est pas observée chez

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le groupe d’animaux non privés, ce qui suggère qu’en conditions normales les quantités de ST ne sont très certainement pas reliées à la consolidation de la mémoire.

Figure 19 : Rôle sélectif du sommeil de transition dans la consolidation de la mémoire récente (24h). A. Exemple d’enregistrement polysomnographique illustrant la caractérisation du sommeil lent (SL), du sommeil de transition (ST) et du sommeil paradoxal (SP) sur la base des signaux électroencéphalographiques (EEG) et électromyographiques (EMG). Des oscillations appartenant à la bande delta (0-4 Hz) et thêta (4-10 Hz) sont observées de manière simultanée pendant les épisodes de SI. B-C. Quantités de ST post-apprentissage pendant la période de privation (ZT 0-6) exprimées en pourcentage de la ligne de base quantifiée le jour précédent (histogrammes), et courbes de régression linéaire entre les quantités de freezing lors du rappel (axe Y) et les quantités de ST pendant la période de privation (axe X). Les résultats sont présentés pour le groupe testé à 24h (B; n = 12 (non-PSD, noir), n = 12 (PSD, rouge)) et le groupe testé à 30 jours (C; n = 11 (non-PSD, noir), n = 11 (PSD, rouge)). Une diminution significative des quantités de ST par rapport à la ligne de base, ainsi qu’une corrélation significative entre les quantités de ST et le taux de freezing sont observées uniquement dans le groupe RECENT PSD. #: différence significative par rapport à la ligne de base (# < 0.05) ; ρ : coefficient de corrélation de Spearman.

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Ce rôle compensateur du ST pourrait être relié à la synchronie élevée de l'activité entre HPC et néocortex caractéristique de cet état qui serait propice à la mémoire (Gervasoni, 2004). Il pourrait également être lié aux oscillations de rythme thêta dont on connait le rôle facilitateur sur la mémoire. En effet, le rôle du SP dans la consolidation d’une mémoire de la peur récente semble majoritairement relié à ces oscillations (Boyce et al., 2016; Popa et al., 2010). L’étude de Boyce révèle notamment que la seule inhibition des oscillations de rythme thêta au cours du SP post-apprentissage bloque la consolidation d’un CPc, révélant un lien causal entre rythme thêta du SP et consolidation de la mémoire. Nos résultats suggèrent donc un double rôle du SP dans la consolidation d’un CPc : un rôle dans la consolidation récente qui pourrait passer par les oscillations de rythme thêta, et un rôle dans la consolidation ancienne qui serait plus directement relié aux quantités de SP post-apprentissage. En effet, si le ST ne semble pas pouvoir compenser les déficits mnésiques engendrés par la privation du SP lors du rappel effectué 30 jours après le conditionnement, une augmentation importante des quantités de SP pendant le rebond semble pouvoir compenser la privation (figure 1D de l’article). Notre étude n’apporte pas d’indices quant aux mécanismes reliés à cette fonction, mais une hypothèse serait que le milieu neuromodulatoire particulier du SP (rôle potentiel de l’acétylcholine, de l’hormone de mélano-concentration ou de la dopamine) permettrait la mise en place des processus de consolidation à très long terme de la mémoire.

2. Modification de l’intensité du stimulus aversif

Une autre hypothèse que nous avons testée pour examiner les facteurs qui pourraient expliquer l’absence d’effet de notre privation lors du rappel à 24h est le type de protocole de conditionnement. L’intensité du choc électrique (0,7 mA) que nous avons utilisé aurait pu être trop importante, produisant un effet de saturation, pour qu’une privation de SP puisse induire des déficits mnésiques à court terme. Nous avons donc réalisé le même protocole expérimental sur une autre série d’animaux en utilisant pour le conditionnement un choc électrique de plus faible intensité (0,5 mA). Nos résultats ne révèlent pas d’effet de la privation de SP sur le taux de freezing des souris lors du rappel 24h après le conditionnement (figure 20A), malgré une diminution importante des quantités de

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SP et d’une légère atteinte du SL (figure 20B). De manière intéressante, une corrélation significative entre les quantités de ST au cours de la privation et le taux de freezing lors du rappel est observée à la fois dans le groupe non-PSD (figure 20C) et le groupe PSD (figure 20D). Ces résultats suggèrent encore un rôle du ST dans la consolidation à 24h d’un CPc, bien que le faible nombre d’animaux utilisés lors de cette étude (non-PSD : n = 5 ; PSD : n = 6) limite l’interprétation des résultats. Par ailleurs, ces résultats ne révèlent pas d’importance de l’intensité du stimulus aversif dans l’effet d’une privation de SP sur la consolidation mnésique. Cependant, le faible taux de freezing observé dans notre étude n’exclue pas un « effet plancher », qui empêcherait d’observer un effet comportemental de notre privation.

Figure 20: La diminution de l’intensité du stimulus aversif ne fait pas apparaître un effet de la privation de SP lors du rappel de la mémoire récente. A. Quantités de freezing au cours d’un rappel effectué 24h après un conditionnement réalisé avec un choc électrique de plus faible intensité (0,5 mA). Les résultats sont exprimés en pourcentage du temps total du rappel pour le groupe d’animaux non privés de SP (non-PSD, noir, n = 5) et privés de SP (PSD, rouge, n = 6) La privation de SP n’entraîne pas de modification comportementale. B. Quantités de sommeil lent (SL), sommeil de transition (ST) et SP au cours de la période de

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privation (ZT 0-6). La privation de SP entraîne une importante diminution des quantités de SP ainsi qu’une légère diminution des quantités de SL. C-D. Corrélation entre les quantités de freezing durant le rappel (axe Y) et les quantités de ST pendant la période de privation (axe X). Une corrélation positive entre ces deux paramètres est observée chez les animaux non privés (C, noir) et les animaux privés (D, rouge). * : différence significative (test de Wilcoxon pour échantillons indépendants ; ** : p<0,01) ; ρ : coefficient de corrélation de Spearman

L’ensemble de ces résultats suggère donc fortement que le ST pourrait jouer un rôle dans la consolidation à court terme (24h) d’un CPc en compensant l’absence de SP. Ce rôle du ST pourrait alors être supporté par les oscillations de rythme thêta dont l’importance dans ce type de consolidation a déjà été montré (Boyce et al., 2016; Popa et al., 2010). L’étude de Boyce révèle un rôle spécifique du thêta du SP sur la partie contextuelle du conditionnement, en opposition avec la composante indicée. Il était donc intéressant d’examiner l'influence de l’effet de la privation de SP sur le traitement du contexte seul, c’est à dire en l’absence de CP. C’est ce que nous avons fait sur un groupe d’animaux exposés au contexte seul (no shock). Néanmoins, nous n'avons observé de rôle majeur du SP sur le traitement contextuel en l'absence de composante émotionnelle (figure S4 de l'article).