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5.1 Les constats essentiels issus des actions diasporiques

5.1.2 Une conscience de plus en plus tournée vers les liens familiaux

l’attachement aux liens qui les unissent avec leurs parents en Côte d’Ivoire.

« Ma mère est tout pour moi. Si aujourd’hui j’ai réussi, c’est en partie grâce à elle qui a contribué fortement à ma réussite. Je lui dois tout et je n’hésite pas à tout lui donner en fonction des moyens que j’ai »

Tano.

Ces mêmes déclarations ont été appuyées par d’autres comme Manou qui estime que les liens parentaux n’ont aucun prix.

« Les parents ont tout donné pour mes frères et moi. Ils nous ont scolarisés, nourri blanchi, et même pendant les moments de vache maigre j’habitais avec mes parents alors que j’étais déjà une femme adulte. Pour moi, si j’ai des moyens je vais les aider tant qu’ils ont encore le souffle de vie ».

Dans les déclarations de nos participants, nous pouvons relever deux points importants : d’abord leur réussite est la conséquence des valeurs inculquées par les parents. Ensuite, c’est un devoir de reconnaissance que de venir en aide à leurs géniteurs ou parents qui les représentent en leur absence. Analysons ces deux points qui nous semblent essentiels dans la compréhension des dons et contributions matérielles acheminés par la diaspora vers les pays d’origine.

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Sur la base des affirmations de nos répondants et de quelques auteurs que nous avons lus, dans la mentalité africaine, le succès d’un individu ne vient pas seul. Le succès dépend des valeurs communautaires, familiales, et culturelles séculaires transmises de génération en génération par les parents. Ainsi pour eux, la décision d’immigration est elle-même un succès dont les bénéfices sont à mettre au compte des parents qui les ont aidés.

« L’éducation que j’ai reçue de mon père a favorisé aussi ma réussite au Canada. Car j’ai été éduqué dans la rigueur par mon père (paix à son âme). Quand je suis arrivé dans toutes mes démarches pour les emplois, pour mon intégration, j’ai mis de la rigueur dans tout. Si je n’avais pas fait ça, je serai encore certainement à la traine comme certains »

Issa

Force est de constater qu’il est difficile d’identifier exactement les valeurs africaines dont parlent nos répondants. Car ils citent à la fois plusieurs valeurs et font référence à l’éducation comme une valeur. Paquette (1982) et Dione (2012) estiment qu’au cours de notre enfance, notre éducation a été déterminée par un réseau d’influences non coordonnées. Nous pensons que lorsqu’Issa évoque l’éducation donnée par son père, il exprime par ici, les valeurs morales reçues depuis son enfance et qui ont influencé son mode de vie au Canada. D’ailleurs à la suite d’Issa, Gueu nous a fait remarquer que grâce à l’esprit de partage et de socialisation reçus de ses parents contrairement à l’individualisme (Ndongmo 2006; Dijon et al 2011), il a pu s’intégrer facilement quand il est arrivé au Canada. Il ressort de nos constats que le succès de nos répondants est lié aux liens familiaux qui leur auraient inculqué les valeurs chères à leur société africaine.

De plus, la croyance aux ancêtres, parents ou les proches parents jouent un rôle primordial dans la réussite. Leur bénédiction est inestimable dans les projets de vie de nos répondants. Certains d’entre eux ne peuvent prendre une décision sans l’avis et la bénédiction de leur parent. Pour Yao « je prends toujours l’avis de ma mère quand il y

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a des enjeux familiaux importants. Je demande toujours sa bénédiction pour toutes mes affaires que j’entreprends ». Les réalisations personnelles de nos répondants se concrétisent pour eux, grâce à l’harmonie des liens ancestraux qu’ils ont maintenus depuis leur enfance et aux valeurs culturelles cultivées, entretenues, nourries quel que soit l’espace où ils demeurent.

Fort de cette relation avec les parents, la plupart de nos répondants estiment avoir un sentiment de reconnaissance avec ces derniers. Cette reconnaissance va se matérialiser par les transferts de fonds et autres gestes de reconnaissance envers les parents et le plus proches20.

Toutefois, si certaines de ces valeurs africaines sont louables et profitent bien à l’ensemble de la société, force est de reconnaitre que souvent la reconnaissance dont fait preuve nos répondants, crée un lien de dépendance et place ces parents dans une situation dévalorisante pour eux. Certains auteurs n’ont pas hésité à avancer d’ailleurs que les valeurs de socialisation, d’entraide et de solidarité se sont effritées pour faire place à une autre forme de mendicité (Shorter, 1977; Vidal 1994). Cette partie me permet de faire quelques critiques relatives à la motivation et aux croyances de nos répondants par rapport aux dons apportés dans les pays d’origine. En effet, l’environnement de grande pauvreté dans lequel vivent certains parents a engendré des stratagèmes pour soutirer des fonds à la diaspora. Les valeurs africaines d’humanisme, de générosité, d’hospitalité, du sens de la famille ont cédé le pas à d’autres mécanismes d’extorsion de fonds21. Nos répondants ont affirmé avoir été victimes d’une manière ou d’une autre de cette forme d’escroquerie de leurs compatriotes restés au pays. Tibé Lou

20 Comme le dit Kimbia (2011) la notion de famille en Afrique, par le simple fait qu’elle soit intimement

liée à celle de clan ou de tribu, rappelle l’idée d’une interconnexion vitale et dynamique qui instaure entre les individus l’obligation de s’entraider et de se supporter mutuellement, aussi bien dans la douleur que dans la joie »

21 Voir aussi à ce propos Kalonji, C. (2012). La face cache de la solidarité africaine. Slate Afrique du 19/1 012 012. http://www.slateafrique.com/833/face-cachee-solidarite-africaine

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nous a indiqué avoir envoyé plusieurs fois de l’argent pour la construction de latrine de sa cousine qui disait avoir eu d’autres urgences pour les fonds qu’elle a envoyés :

« Chaque fois que je lui envoie, elle me dit que j’ai dépensé pour mon fils qui était malade ou les dépenses de la maison. Après enquête elle découvre que les latrines sont en bon fonctionnement ».

Tibé Lou