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D ELPHINE P ANNATIER K ESSLER

B) Conséquences pratiques

La compatibilité de la reconnaissance du droit de suite en Suisse a des conséquences pratiques pour les tiers ayant affaire à des trustees. Pour l’acquisition d’un bien mobilier, l’acquéreur peut se fier au fait que le possesseur du bien est présumé en être le propriétaire selon l’article 930 al. 1 CC. S’il acquiert d’un trustee, le droit suisse ne lui impose pas d’obligations particulières de vérification, sauf en cas de circonstances insolites56. Cela étant, si le bien fait partie de la catégorie des biens à risque où les objets de provenance douteuse foisonnent, telles les œuvres d’art, les antiquités et les voitures d’occasion, l’acquéreur doit faire preuve d’une prudence accrue et a l’obligation de vérifier le pouvoir de disposer du vendeur57. Il y a lieu de préciser qu’au vu du nombre important d’œuvres d’art en trust situées en Suisse, cette question pourrait se révéler d’une grande importance pratique. Si le tiers a affaire à un trustee, il ne pourra se contenter d’acquérir le bien sans poser de question, au risque de ne pas pouvoir se prévaloir de sa bonne foi.

L’acquéreur devra exiger que le trustee lui confirme par écrit avoir effectivement le pouvoir de disposer du bien selon l’acte de trust et si nécessaire le lui prouve, par exemple en produisant un avis de droit d’un spécialiste en droit des trusts confirmant que tel est bien le cas. La production de l’acte de trust pourrait également permettre au tiers de vérifier cette question mais cela risque fort de n’être pas possible dans la pratique vu les obligations de confidentialité liant le trustee. En cas d’achat d’immeuble en trust, nous avons déjà vu que les obligations de vérification étaient différentes

55 5 ans pour les biens mobiliers (art. 728 al. 1 CC), 10 ans ou 30 ans pour les biens immobiliers (art. 661 et 662 CC) et 30 ans pour les biens culturels soumis à la Loi fédérale du 20 juin 2003 sur le transfert international des biens culturels (LTBC, RS 444.1) (art. 728 al. 1ter CC).

56 ERNST(note 51),inBaK ZGB II, n. 36adart. 933 ; STEINAUER(note 47), § 432b, p. 160.

57 ATF 122 III 1 ; ATF 113 II 397 ; SJ 2006 I 154 ; ERNST(note 51), inBaK ZGB II, n. 36 adart. 933 ; STEINAUER(note 47), § 434, p. 160.

selon que la mention de l’article 149d LDIP figure ou non au Registre foncier.

En cas de mention, le notaire devra vérifier le pouvoir de disposer dans le cas d’espèce et ne devrait pas instrumenter s’il ne peut établir ce pouvoir ; en l’absence de mention, il n’y aura pas de vérification autre que celle de l’identité entre le propriétaire inscrit au Registre foncier et l’aliénateur et donc une acquisition de bonne foi protégée par l’article 973 CC pourra facilement avoir lieu. Enfin, en cas d’acquisition de gage par une banque, qu’il s’agisse d’une cédule hypothécaire grevant un immeuble sur le feuillet duquel figure la mention de l’article 149d LDIP ou d’un bien mobilier remis en nantissement par un trustee donneur de gage, dont la banque connaît la qualité de trustee à cause des obligations découlant de la LBA de clarifier l’arrière-plan économique des transactions, la banque doit à notre avis également vérifier que le trustee a le pouvoir de mettre en gage ledit bien selon le droit du trust si elle veut pouvoir se prévaloir de sa bonne foi dans le cadre de l’acquisition du droit de gage58.

La reconnaissance du droit de suite en Suisse nécessite la recherche d’un équilibre entre d’une part une obligation de vérification du pouvoir de disposer du trustee visant à protéger les bénéficiaires du trust et d’autre part le souci d’éviter d’alourdir de manière excessive toute transaction avec un trustee par des contraintes trop importantes. Par les solutions que nous avons proposées, où les droits et obligations selon le droit suisse sont adaptés au contexte des trusts, un équilibre raisonnable entre ces buts contradictoires nous paraît être atteint, permettant par là-même de mettre en œuvre dans notre ordre juridique les engagements conventionnels de la Suisse.

VI. Conclusion

L’institution du droit de suite, aussi étrangère qu’elle puisse paraître à première vue, s’avère sur son principe être compatible avec le droit suisse, quand bien même un examen au cas par cas à la lumière de l’article 15 CHT est encore nécessaire. La reconnaissance dans notre ordre juridique de ce moyen efficace de défense des droits des bénéficiaires est importante. Aux obligations juridiques de reconnaissance découlant de la ratification par la Suisse de la Convention de La Haye sur les trusts s’ajoutent des intérêts économiques.

Notre ordre juridique doit être capable d’offrir aux bénéficiaires de trusts une protection comparable à celle offerte par le droit anglo-saxon. Il en va de l’attractivité des trustees et des banques suisses par rapport à leurs concurrents étrangers.

58 Voir également FOËX(note 25), inRNRF 90 (2009), p. 86 ; Luc THÉVENOZ,Risques et responsabilités des banques et des négociants dans les opérations avec des trustees, in Journée 2000 de droit bancaire et financier, Luc Thévenoz/Christian Bovet (éd.), Berne 2001, p. 172. Pour le raisonnement complet sur ces questions PANNATIER KESSLER(note 4), p. 206-234.

Certes, la question de la reconnaissance du droit de suite est nouvelle et n’a pour l’instant pas encore, à notre connaissance, été portée devant les juridictions suisses. Il appartiendra aux plaideurs de se tester ces nouvelles possibilités pour voir la réceptivité de nos juridictions à ces solutions parfois créatives. A l’instar des autres sujets traités lors de cette Journée, la question de la reconnaissance du droit de suite en Suisse confirme une fois encore l’interpénétration croissante du droit interne, du droit étranger et du droit conventionnel international.

à l’épreuve de la protection du consommateur