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Compatibilité avec le droit impératif

D ELPHINE P ANNATIER K ESSLER

C) L’examen du pouvoir de disposer du trustee en cas de mention

V. Compatibilité avec le droit impératif

Après avoir analysé l’article 11 al. 3 lit. d CHT ainsi que les effets de la mention de l’article 149d LDIP, il convient de reprendre le raisonnement où nous l’avions laissé. Une fois le principe admis que le droit de suite, régi par le droit applicable au trust, doit être reconnu en Suisse mais que les droits et obligations des tiers sont régis par le droit suisse, notamment en matière immobilière par l’article 149d LDIP, il convient de passer à la deuxième étape du raisonnement consistant à vérifier que la reconnaissance du droit de suite

43 Pour plus de détails PANNATIER KESSLER (note 24),inRNRF 92 (2011), p. 90-91.

44 Pour une analyse plus approfondie sur ces questions PANNATIER KESSLER (note 4), p. 147 ; PANNATIER KESSLER (note 24),inRNRF 92 (2011), p. 81-82.

ne se heurte pas à des règles impératives de l’ordre juridique suisse45, lesquelles ont priorité selon l’article 15 al. 1 CHT.

De nombreuses règles impératives suisses peuvent constituer un obstacle à la reconnaissance du droit de suite. L’on peut penser aux règles en matière de droits réels, par exemple le numerus clausus des droits réels, la protection de l’acquéreur de bonne foi, la prescription acquisitive. En ce qui concerne les avoirs bancaires, des obstacles possibles peuvent se trouver dans la Loi fédérale sur les titres intermédiés (LTI)46 ou dans la règle de droit commun de la réunion des espèces, laquelle interdit toute revendication sur de la monnaie qui a été transférée à un tiers47. Dans chaque cas d’espèce où se pose la question de reconnaître l’exercice du droit de suite sur des biens en Suisse, il faudra encore vérifier si aucune règle impérative de notre ordre juridique n’est violée par la reconnaissance. Un tel examen dépasserait largement le cadre de cette contribution, de sorte que nous n’y procéderons que brièvement48. A) Protection de l’acquéreur de bonne foi

A titre d’exemple du raisonnement auquel il convient de procéder, faisons-le au regard des règles des articles 933 et 973 CC sur la protection de l’acquéreur de bonne foi. Il s’agit de règles impératives de notre ordre juridique49. L’exercice du droit de suite sur un bien dont l’acquéreur est devenu propriétaire en application des règles de droit suisse sur la protection de la bonne foi se heurte à un obstacle. Rappelons qu’en cas d’incompatibilité, les règles impératives suisses ont priorité selon l’article 15 al. 1 CHT. Examinons cette question de plus près.

Lorsque le droit de suite est exercé sur un bien immobilier ou mobilier dont un trustee a acquis la propriété en violation du droit du trust, que la relation de trust ait fait l’objet ou non d’une mention au sens de l’article 149d LDIP s’il s’agit d’un bien immobilier, nous sommes d’avis que le trustee déloyal ne pourra jamais invoquer sa bonne foi. En effet, qui mieux que le trustee lui-même connaît le contenu de l’acte de trust et du droit applicable et donc sait ou doit savoir que l’aliénation en question viole le trust ? En cas de négligence ou même d’erreur, une éventuelle bonne foi du trustee dans son for intérieur ne sera pas compatible avec les exigences de l’article 3 al. 2 CC. Par

45 Plus précisément aux règles impératives du droit désigné par les règles de conflit du for. Nous partons de l’hypothèse ci-après que c’est le droit suisse qui est désigné.

46 RS 957.1.

47 ATF 47 II 267 ; Paul-Henri STEINAUER, Les droits réels, tome 2, Berne 2002, § 2121, p. 326 ; Ivo SCHWANDER,inBaK ZGB II, Heinrich Honsell et al. (éd.), 4èmeéd., Bâle 2011, n. 6 adart. 727.

48 Pour cet examen : PANNATIER KESSLER (note 4), p. 205 à 317.

49 Pour des références, voir PANNATIER KESSLER (note 4), p. 206.

conséquent, le droit de suite contre un trustee ne se heurte pas à la protection de l’acquéreur de bonne foi et peut être reconnu en Suisse.

Lorsque le droit de suite vise un tiers à la relation de trust, nous avons vu que sa bonne foi était déterminée selon le droit suisse puisque les droits et obligations du tiers sont régis par le droit suisse50 selon l’article 11 al. 3 lit. d deuxième phrase CHT. Lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier, la présence ou l’absence de la mention de l’article 149d LDIP a son importance pour déterminer la bonne ou mauvaise foi ainsi que ses conséquences. Comme tant le droit suisse que le droit des trusts protègent l’acquéreur de bonne foi mais permettent l’exercice du droit de suite ou de l’action en revendication contre un acquéreur de mauvaise foi, les solutions de ces deux ordres juridiques sont en harmonie. Dès lors, la reconnaissance du droit de suite ne se heurte pas sur son principe au droit impératif suisse. Seul le cas du donataire de bonne foi est traité de manière différente en droit des trusts et en droit suisse. En droit des trusts, le donataire de bonne foi n’est pas protégé dans son acquisition car le caractère onéreux de l’acquisition est une condition nécessaire pour pouvoir invoquer la protection de la bonne foi. En droit suisse, cette question est controversée en doctrine : selon une partie de la doctrine, les donataires de bonne foi sont protégés dans leur acquisition51 alors qu’une autre partie de la doctrine considère que la causa d’une donation d’un objet qui ne fait pas partie des biens du donateur n’est pas valable, par interprétation littérale de l’article 239 al. 1 CO52. Par conséquent, la bonne foi ne peut guérir une causa invalide et donc la propriété ne passe pas au donataire de bonne foi53. En s’inscrivant dans ce deuxième courant doctrinal, l’on parvient à réconcilier avec le droit impératif suisse la reconnaissance du droit de suite exercé à l’encontre d’un donataire de bonne foi54. Ainsi, la reconnaissance du droit de suite est compatible avec la protection de l’acquéreur de bonne foi du droit suisse.

50 L’hypothèse étant que les règles de droit international privé du for suisse désignent le droit matériel suisse dans le cas d’espèce.

51 Wolfgang ERNST,inBaK ZGB II, Heinrich Honsell et al. (éd.), 4èmeéd., Bâle 201,1 n. 23 adart. 933 ; Susan EMMENEGGER, Schenkung und Gutglaubensschutz, in Spuren des römischen Rechts, in Festschrift für Bruno Huwiler, Pascal Pichonnaz et al. (éd.), Berne 2007, p. 226.

52 Margareta BADDELEY,inCR CO I, Luc Thévenoz et al. (éd.), Genève 2003, n. 16 et 31 adart. 239 ; Nedim Peter VOGT,inBaK OR I, 4èmeéd., Heinrich Honsell et al. (éd.), Bâle 2007, n. 42 adart. 239 ; Andreas VON TUHR/Hans PETER,Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, Tome 1, 3ème éd., Zurich 1984, p. 516.

53 Pour un résultat identique mais se basant sur un raisonnement différent consistant à dire que l’absence de pouvoir de disposer n’est guérie par la bonne foi qu’en cas d’aliénation à titre onéreux : Heinrich HONSELL,Schweizerisches Obligationenrecht Besonderer Teil, 8èmeéd., Berne 2006, p. 197.

54 Dans le même sens : FOËX (note 13), in Das Haager Trust-Übereinkommen und die Schweiz, p. 33 s. ; THÉVENOZ(note 13), Trusts en Suisse, p. 101 s. ; VOGT(note 3), inBaK IPR, n. 18 ad art. 149d.

Cela étant, il convient de ne pas perdre de vue que si l’exercice du droit de suite ne se fait qu’après l’écoulement d’un certain temps55, le donataire de bonne foi peut être protégé dans son acquisition par les règles sur la prescription acquisitive du droit suisse, lesquelles empêchent l’exercice du droit de suite selon l’article 15 CHT. En résumé, le droit de suite peut être mis en œuvre dans notre ordre juridique contre un trustee, contre un tiers de mauvaise foi ayant acquis à titre onéreux ou gratuit et contre un tiers donataire de bonne foi, à moins qu’il ne soit protégé par les règles sur la prescription acquisitive après l’écoulement du délai prévu par le droit suisse. En revanche, le droit de suite ne peut pas être exercé contre un tiers de bonne foi ayant acquis à titre onéreux ou contre un donataire de bonne foi protégé par les règles sur la prescription acquisitive.