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Conséquences des modes de vie sur les transports urbains

Partie I DIAGNOSTIC

2. Nouveaux modes de vie et transports urbains

2.2. Conséquences des modes de vie sur les transports urbains

En quoi ces nouveaux rapports aux temps ont-ils infléchi, stimulé l’offre disponible et favorisé l’émergence de services alternatifs ?

Les membres du groupe considèrent que nous manquons encore d’indicateurs et de données fiables pour rendre compte des changements en cours. Sur de nombreux points, nous devons en rester à des hypothèses et des interrogations : À qui ces nouvelles mobilités profitent-elles le plus ? Que sait-on, au fond, des nouvelles habitudes individuelles et collectives ? Quelles variables retenir pour caractériser au mieux les phénomènes innovants ? Cette carence des connaissances incite à être d’autant plus attentifs aux signaux faibles, aux tendances émergentes et aux informations recueillies par les transporteurs eux- mêmes (évolutions de fréquentations, souhaits exprimés par les voyageurs) et à réfléchir aux indicateurs les plus appropriés pour appréhender les changements 1.

Du côté des résultats les plus solides, on sait par exemple que l’on choisit de moins en moins son domicile en fonction du lieu de son emploi. En 1999, 3 actifs sur 5 travaillaient hors de leur commune de résidence et la distance moyenne domicile-travail était de 15 kilomètres contre 13 en 1982. Plus de 75 % des actifs habitant la périphérie des villes sont concernés par de tels déplacements intercommunaux.

On sait aussi que les nouvelles manières de vivre entraînent une diversification en même temps qu’une redistribution des motifs de déplacements : entre 1982 et 1994, la forte progression des motifs « loisirs » et « visites » (+ 35 %) s’est faite au détriment des trajets professionnels et scolaires (- 20 %). Plus

(1) )Sur les nouveaux rythmes urbains, se référer notamment à l’ouvrage de Jean-Yves Boulin, « La ville à mille temps », Éditions de l’Aube, et aux travaux réalisés dans le cadre de la mission Prospective (groupe RATP) et dans le cadre du Conseil national des transports : « Face aux nouveaux rythmes urbains : quels services à la mobilité et à l’accessibilité ? » Jean-Paul Bailly, Edith Heurgon.

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spécialement, à Paris, 1 on note une diminution incontestable du poids relatif des

migrations alternantes domicile-travail et des autres déplacements liés à l’activité professionnelle. Ces migrations représentent moins de la moitié du nombre total, tous modes confondus, alors qu’elles étaient encore légèrement majoritaires il y a une dizaine d’années. Ce changement provient de la multiplication des déplacements libres, contrastant avec la faible augmentation de la mobilité contrainte. La montée de cette mobilité de loisir dans l’agglomération parisienne explique en partie l’accroissement perceptible des déplacements en vélo et en roller, notamment. Mais est-ce une vogue d’aujourd’hui ou une « tendance lourde » ? En ce qui concerne le vélo, on peut penser qu’il s’agit d’une « tendance lourde » qui, pour s’étendre au déplacement pendulaire domicile-travail sur les courtes distances, ne demande que quelques efforts des pouvoirs publics et des collectivités locales. La deuxième partie du rapport sur les recommandations fera des propositions en ce sens.

L’ampleur de ces évolutions urbaines est néanmoins à relativiser car elle est spécifique des grandes agglomérations et surtout de l’agglomération parisienne : Il y a Paris et les quelques très grandes agglomérations, qui suivent ce modèle du fait de leur taille, et il y a les autres agglomérations, petites et moyennes qui ne sont pas dans ce modèle parisien même si celui-là tend toujours à se diffuser à terme. Dans ces dernières, les demandes de mobilité sont encore « traditionnelles » et les mobilités loisir du week-end ne se font pas avec la même intensité (on sort peu le week-end et on se déplace la semaine plutôt en voiture pour les déplacements domicile-travail).

La désynchronisation des activités se traduit globalement par un décalage et un étalement des pointes du matin et du soir dans les transports collectifs. La répartition de la demande est aussi plus homogène selon les heures du jour et selon les jours de la semaine : c’est un effet de la flexibilité des horaires et de la diminution des temps de travail. Ce meilleur remplissage est plutôt une bonne nouvelle pour les gestionnaires de réseaux qui peuvent mieux rentabiliser leurs charges fixes et offrir un service amélioré mais en contrepartie, c’est une

(1) Les chiffres concernant l’évolution de la mobilité parisienne (source RATP) montrent la segmentation des motifs de déplacements et l’étalement du trafic sur les flancs de pointe du matin et du soir ainsi que l’augmentation du trafic le week-end : baisse de - 5 à - 15 % des trafics heure de pointe ; augmentation de + 7 % aux heures creuses ; + 60 % en soirée et nuit ; + 15 % le week-end ; + 15 % en juillet-août. On note aussi une forte baisse des trajets domicile-travail qui ne représentent plus que 25 % des déplacements annuels.

Ainsi, la part des flux de loisirs dans l'ensemble de la mobilité locale est passée de 33 % en 1981 à 40 % en 1994, celle liée au travail diminuant de 37 % à 33 %.

- L’environnement urbain et social -

contrainte supplémentaire sur l’organisation du travail et sur les personnels des groupes de transport.

L’autre conséquence de la désynchronisation des modes de vie est la relative stagnation de l’usage des transports collectifs par rapport aux modes individuels de déplacements La stabilité ou la hausse de leur usage pour les déplacements liés à l’activité professionnelle, sur le long terme, contraste avec une évolution nettement moins favorable pour les autres motifs. Pour ce qui est de l’Île-de- France, on a vu plus haut que le desserrement géographique explique environ 60 % des pertes de clientèles. Selon l’IAURIF, l’évolution de la structure par motifs expliquerait les 40 % restants. Pour aller vite, on peut dire que cette évolution aboutit, de fait, « à remplacer des déplacements effectués aux heures de pointe sur des axes favorables à une desserte par les TC par des déplacements en heures creuses bien plus diffus dans l’espace ». Cette stabilité globale moyenne des transports collectifs laisse néanmoins apparaître des variations notables. Ils résistent mieux et même gagnent des parts de marché là où des efforts particuliers ont été faits en leur faveur.

Parallèlement, ces nouveaux modes de vie encouragent l’usage de la voiture (et l’usage de la voiture a lui-même encouragé les nouveaux comportements urbains, plus individuels et toujours plus rapides et versatiles). Ainsi, de 1976 à 1997, on a pu constater une montée de l’utilisation de l’automobile pour tous les motifs de déplacements. Plus autonomes dans leur travail et leurs familles, les individus veulent l’être aussi dans leurs déplacements : les caractéristiques de la mobilité offerte par l’automobile font que c’est le plus souvent sur ce mode que reposent les choix faits par les individus. De ce point de vue, la voiture se révèle d’une efficacité « redoutable » : elle est par définition le mode du libre choix et de l’option de dernière minute. C’est aussi celui qui donne, à tort, l’impression d’être le moins coûteux et qui demeure toujours le plus plébiscité dans les enquêtes ménages et les divers sondages de la presse quotidienne parce qu’il faut bien reconnaître que c’est le plus confortable (même si le bus arrive bien souvent en deuxième position). Par ailleurs, dans les agglomérations urbaines, tout semble avoir été jusqu’à présent encore configuré « pour et autour de la voiture » ; par exemple, les politiques de la vitesse sont adoptées pour la voiture, les centres commerciaux et de loisirs sont le plus souvent excentrés et leur accès est facilité par la création d’infrastructures routières à échangeurs. Cependant, il ne faut pas oublier de souligner que la voiture est aussi le mode de transport le plus dangereux en ville : chaque année, environ 3 000 piétons sont

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blessés ou tués sur la route de Paris (soit à peu près 24 % des victimes de la route). 1

Au fil des discussions, les experts et le groupe ont souligné l’importance de ces évolutions plutôt défavorables aux transports collectifs dans un scénario au fil de l’eau. Ils ont également montré la difficulté qu’il y avait à canaliser des évolutions qui renvoient en fait au fonctionnement d’ensemble de la société et qui demanderaient de pouvoir réorienter et inverser des choix individuels et collectifs. Cependant, s’il est difficile voire illusoire de vouloir inverser des choix individuels, les opérateurs de transport du groupe ont tenu à rappeler que le « règne de la voiture en ville » n’était pas aussi fatal que cela : de fait, les statistiques et les enquêtes révèlent que les agglomérations comme Nantes, Grenoble, Strasbourg et d’autres qui se sont lancées, les premières, dans des opérations de relance du tramway, accompagnées par des opérations de restructuration urbaine des centres-villes, ont vu leurs efforts récompensés par des reports modaux significatifs vers les transports collectifs. Des reports modaux ont donc bien eu lieu mais la problématique qui est posée et développée plus loin dans ce rapport est de savoir à quel coût pour la collectivité et jusqu’où.