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1.2 Le littoral, victime de son succès : surexploitation et impacts an-

1.2.1 Conséquence directe : la surexploitation, cause d’extinction 9

d’ex-tinction

La surexploitation des ressources marines est, bien évidemment, directement

res-ponsable d’une diminution drastique des stocks des espèces ciblées (Hilborn et al.

2003). Un des exemples des plus édifiants concerne l’effondrement des populations

de morues exploitées par les pêcheries canadiennes, au large de Terre-Neuve.

Pen-dant près de 500 ans, la commercialisation de ces poissons s’est effectuée de manière

durable mais, face à une demande de plus en plus importante dans les années 60,

l’intensification des pratiques a appauvri les stocks de manière dramatique

(Rough-garden and Smith 1996; Hilborn et al. 2003) jusqu’à la fermeture des exploitations en

1992 (la figure 1.5 montre l’évolution des stocks des années 60 jusqu’à la fermeture

des pêcheries).

Un grand nombre de raisons ont été invoquées pour expliquer l’effondrement de

Chapitre 1. Les zones littorales, singularités et enjeux

Figure 1.5 – Evolution des stocks (lignes pointillées), des prises (lignes pleines) et

des quotas de pêches (points) des populations de morues ciblées par les pêcheries de

Terre-Neuve, Canada. Source : Roughgarden and Smith (1996).

politiques, une mauvaise estimation des stocks et par extension des quotas de pêche,

du braconnage par les flottilles étrangères ou encore des événements de mortalité

exceptionnels ou des changements climatiques (Roughgarden and Smith 1996). Face

à la pénurie grandissante, les exploitations se sont par ailleurs tournées vers des

individus trop jeunes et non matures limitant le nombre de poissons accédant à la

reproduction et empêchant le renouvellement des stocks (Hutchings and Myers 1994;

Myers et al. 1997). De manière générale, il semble sage d’envisager que l’ensemble

de ces causes ont plus ou moins participé à l’épuisement des réserves responsable de

la périclitation des pêcheries. Aujourd’hui, même si ces pêcheries sont fermées, les

stocks ne sont toujours pas renouvelés (Roughgarden and Smith 1996; Hilborn et al.

2003).

Le cas de figure observé pour les stocks de morues de Terre-Neuve n’est

malheu-reusement pas un cas à part et on considère aujourd’hui que plus de 63% des espèces

de poissons à travers le monde nécessitent une "reconstruction" et, par conséquent,

de revoir à la baisse les quotas de prises (Worm et al. 2009). De la même façon,

dans leur étude basée sur les séries temporelles de la FAO, Mullon et al. (2005)

ont montré, qu’au cours des 50 dernières années, 366 pêcheries s’étaient écroulées

représentant pas moins d’une exploitation sur quatre.

Pour ce qui est des invertébrés, pour lesquels la documentation est plus rare,

il est admis que leurs populations sont relativement plus résilientes à l’exploitation

que celles des vertébrés (Jamieson 1993). Toutefois, certaines études ont montré des

réductions abruptes de tailles suite à des prélèvements fréquents et non contrôlés

comme c’est notamment le cas de certaines espèces de gastéropodes ou de mollusques

bivalves (Leiva and Castilla 2001; Kirby 2004). Il est par conséquent indispensable

1.2. Le littoral, victime de son succès : surexploitation et impacts anthropiques

de ne pas ignorer ces espèces lorsque l’on s’intéresse aux impacts de l’exploitation

humaine.

1.2.2 Un panel de conséquences indirectes

La perte démographique des populations exploitées n’est qu’une des conséquences

multiples attribuées à l’action humaine en zone côtière. Une mauvaise politique de

gestion peut, en effet, aboutir à des modifications de l’ensemble des maillons des

chaines alimentaires ou encore à une déstructuration des habitats. Ces effets indirects

peuvent prendre de nombreuses formes et leur ampleur concerne l’environnement

dans son ensemble. Quelques-unes d’entre elles sont détaillées ci-après.

Modification de la structure des populations et des maillons trophiques

L’exploitation commerciale d’un grand nombre d’espèces marines au cours des

soixante dernières années a, dans un premier temps, dramatiquement modifié les

assemblages de communautés. Greenstreet et Hall (1996) ont ainsi montré que,

de-puis les années 80, les organismes de petite taille avaient progressivement pris une

place prépondérante au niveau des communautés de poissons benthiques, phénomène

qui n’est observable que chez les espèces pêchées. De la même façon, Barot et al.

(2004; 2005) ont montré que l’âge et la taille à maturité étaient également des

pa-ramètres physiologiques impactés chez les espèces exploitées, conséquence évolutive

d’une pression sélective. De surcroît, les perturbations s’observent, dans de

nom-breux cas, à l’échelle de l’écosystème dans son ensemble et il n’est pas rare que la

totalité de la chaine alimentaire de l’espèce cible soit altérée. Une réduction du

ni-veau trophique moyen a ainsi été mise en évidence par l’observation d’une transition

des quantités débarquées passant des poissons de fond piscivores et à haut niveau

trophique à des poissons pélagiques planctonivores et invertébrés à vie courte et

de faible niveau trophique (Pauly et al. 1998, 2001; Pauly and Palomares 2005),

phénomène illustrant la non-pérennité des schémas d’exploitation actuels.

Destruction des habitats

L’exploitation des ressources marines est également un vecteur de dégradation

de l’environnement dans son ensemble. De fait, dans un souci de production

tou-jours plus important, des méthodes de pêche de plus en plus invasives ont vu le jour,

mettant "à égalité" les questions de pérennité des habitats et des stocks vis-à-vis de

l’exploitation (Dayton et al. 1995; Jennings et al. 1998; Hilborn et al. 2003).

L’utilisa-tion de chaluts, de dragues ou de pièges est directement responsable d’une altéraL’utilisa-tion

Chapitre 1. Les zones littorales, singularités et enjeux

du milieu due à leur mode de fonctionnement nécessitant un contact prolongé avec

le sol sous-marin (Jennings et al. 1998). La topographie des fonds océaniques peut

notamment être fortement modifiée (Koslow et al. 2001) et les engins peuvent

éga-lement laisser des marques dans le substrat dont l’étendue et la persistance sont

difficiles à évaluer mais qui affectent néanmoins fortement les communautés (en

par-ticulier les communautés sédimentaires)(Jones 1992; Jennings et al. 1998; Kaiser

et al. 1998). Fragmentation et perte d’habitats constituent ainsi une menace des

plus sérieuse pour les écosystèmes littoraux. Par ailleurs, un certain nombre

d’ha-bitats côtiers sont particulièrement sensibles aux perturbations anthropiques. C’est

par exemple le cas des habitats récifaux, isolés les uns des autres par des bancs de

sables, qui voient ainsi leurs capacités de résilience entravées par l’absence de

disper-sion en provenance de récifs non impactés (Dayton et al. 1995). Les zones rocheuses

subtidales, les zones humides côtières, les mangroves tropicales ou encore les baies

font également parties de ces habitats à fort risque associé2. Dans un autre registre,

les zones côtières terrestres subissent également le développement des activités liées

au tourisme qui nécessitent des aménagements urbains empiétant de plus en plus

sur le paysage du littoral (réseau routier, hôtels...) (Davenport and Davenport 2006)

et créant une mosaïque d’habitats dégradés où s’insèrent quelques refuges encore

intacts (Burger 2000).

Prises accessoires et rejets

Les prises accessoires sont encore à l’heure actuelle peu documentées mais elles

constituent, selon Dayton et al. (1995), l’un des problèmes majeurs des pêcheries

modernes. En outre, une proportion non négligeable des prises sont également jetées

pour des raisons économiques ou des contraintes de législation. Sont défaussés les

poissons de trop petite taille ou encore ceux qui sortent des quotas autorisés avec

pour conséquences plausibles une accentuation des taux de mortalité des poissons,

une augmentation des effets de la surexploitation, une incidence sur d’autres

ex-ploitations réglementées ou encore le gaspillage des ressources (Alverson 1998). Les

mammifères marins, cétacés et pinnipèdes, sont parmi les espèces les plus affectées

par ces prises accidentelles, sources de conséquences démographiques importantes

(Read et al. 2006). Les méthodes de pêche sont le plus souvent à incriminer, les

filets, fixés ou dérivants, emprisonnant les espèces de taille modeste tandis que les

seines et chaluts retiennent même les individus de grande taille (Lewison et al. 2004).

Même si ces captures semblent actuellement subir un certain recul, probablement lié

2. Le constat est d’autant plus alarmant que ces habitats constituent bien souvent également

des nurseries abritant les juvéniles des prédateurs du large.

1.2. Le littoral, victime de son succès : surexploitation et impacts anthropiques

à la popularité de ces espèces, les prises accessoires constituent toujours une forte

menace pour un grand nombre d’espèces de mammifères marins en danger

d’extinc-tion (Reeves et al. 2003) (dauphin de Hector, phoque moine, baleine franche...).

Altération des cycles biogéochimiques

Le développement et l’urbanisation des zones côtières sont également à l’origine

de perturbations des cycles biogéochimiques naturels, de nombreux composés

orga-niques de synthèse étant déchargés en grande quantité dans l’environnement littoral.

L’intensité des émissions azotées continentales se déversant dans les eaux côtières et

provenant de l’intensification des méthodes agricoles, de l’augmentation de la

com-bustion des énergies fossiles ou encore de la production de déchets, est notamment

particulièrement importante au niveau européen, en Amérique du Nord et en Asie

du sud (Inde, Pakistan, Japon, Corée) (Nixon 1995). Vitousek et al. (1997b) ont

ainsi identifié les principales conséquences de ces dérèglements, parmi lesquelles on

peut citer une multiplication du taux d’azote dans les sols, du taux de N O2

at-mosphérique, un transfert d’azote dans les cours d’eau et dans l’océan ouvert, une

perte accélérée de diversité biologique ou encore un changement du fonctionnement

des estuaires et des écosystèmes côtiers (Vitousek et al. 1997b). Les équilibres

océa-niques en éléments nutritifs sont également affectés par les activités humaines liées

à la côte. C’est le cas par exemple des ratios N :P :Sides eaux en provenance des

rivières, dont l’amplification est responsable de changements d’abondance spécifique

des communautés côtières et d’une chute de la concentration en oxygène des eaux

profondes (Jickells 1998). L’ensemble de ces bouleversements participe activement

au processus d’eutrophisation des zones côtières (Nixon 1995).

Perte de diversité génétique

De surcroît, la surpêche est un facteur important de perte de diversité génétique

pour l’espèce cible, résultat de l’effort de pêche trop intense et ciblant, qui plus est,

les individus reproducteurs de grande taille (Smith et al. 1991; Jones et al. 2001;

Hauser et al. 2002; Hutchinson et al. 2003). L’appauvrissement génétique généré

est à l’origine d’une perte de potentiel adaptatif important, limitant les capacités

de survie pour les espèces ainsi que leur potentiel de recouvrement face aux

pres-sions anthropiques (c’est par exemple le cas des morues de Terre-Neuve dont les

stocks ne sont toujours pas renouvelés malgré l’interdiction de la pêche depuis 1992

(Hilborn et al. 2003)). Par ailleurs, les populations subdivisées en stocks isolés sont

d’autant plus sensibles à cette perte de diversité génétique liée à la surexploitation

(Thorpe et al. 2000). La diversité génétique constitue, de fait, le promoteur principal

Chapitre 1. Les zones littorales, singularités et enjeux

d’adaptation génétique et son maintien présente un enjeu tout particulier dans le

contexte actuel de changements environnementaux, mais reste malgré tout en marge

des préoccupations contemporaines (Hauser et al. 2002).