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En conséquence, si l’économie atteint un état stationnaire où la production ne croît plus et où les prix demeurent constants, le stock de monnaie existant qui correspond au niveau actuel de la production

sera suffisant : les entreprises et les ménages ne demanderont pas de monnaie supplémentaire pour

faire face à leurs besoins. Un exemple simpliste est que, lorsqu’un agent se voit accorder un crédit

bancaire, il n’a pas besoin d’accroître son revenu indéfiniment pour rembourser le principal et les intérêts.

Même si les firmes et les ménages endettés payent des intérêts sur leurs dettes, les agents non-endettés

peuvent emprunter de la monnaie et maintenir le stock de monnaie constant sans qu’un risque de défaut

systémique n’apparaisse sur les dettes existantes. Comme l’expliqueLavoie(2014),

4. Nous développons un argument similaire au chapitre 3 dans la discussion de la littérature sur le lien de causalité entre

croissance de l’offre d’énergie et croissance du PIB.

58 CHAPITRE 2. La monnaie et la croissance

« Ainsi, bien que les post-keynésiens ne cessent de dire que "les prêts font les dépôts", ce qui implique

qu’accorder un nouveau prêt crée un nouveau dépôt, il faut bien comprendre que si les ménages décident

d’augmenter leur dépense, la monnaie des acheteurs va se retrouver dans les comptes des vendeurs.

Cela va leur permettre, s’ils le souhaitent, d’utiliser ces nouveaux dépôts pour rembourser leur dette et

de réduire l’encours de leurs prêts. Il y a donc une double-causalité possible entre les prêts et les dépôts

bancaires. » (p. 197).

Une économie stationnaire où production et niveau des prix demeurent constant peut donc s’articuler

avec des taux d’intérêt positifs si le stock de dette demeure, lui aussi, constant. Le mécanisme de

reflux exposé ci-dessus montre que les stocks de dette et de monnaie n’augmenteront pas si les agents

économiques n’expriment pas de demande de monnaie supplémentaire. Il semble donc que certains

économistes écologiques traitant des questions monétaires confondent stocks et flux, ce qui les conduit à

poser des conditions superflues à l’émergence d’un état stationnaire. Ce qui doit demeurer constant est le

stock, soit la dette, mais il n’est pas nécessaire que le flux, en l’occurrence l’intérêt, soit nul. Il s’en suit

qu’une monnaie non-dette n’est pas non plus une condition nécessaire de l’état stationnaire.

2.4 Monnaie-dette et intérêts dans une économie stationnaire : une

modèle simple cambridgien-kaleckien ancré dans l’approche

stock-flux cohérente

Le pré-requis écologique est que l’économie doit atteindre la décroissance ou, au moins, l’état

station-naire avec une croissance zéro. Dès lors, il s’agit de savoir si un système économique doté d’un système

financier complet et en état de marche peut exister sous la condition de croissance-zéro. Revisiter les

équations de Kalecki et de Cambridge aide à montrer théoriquement qu’un système financier complet

peut fonctionner dans une économie stationnaire. De prime abord, cela apparaît incertain si l’on regarde

l’équation des profits deKalecki(1971), qui donne :

P=I+CpSw+ (G−T) (2.1)

Iest l’investissement,Cpest la consommation à partir des profits,Swest l’épargne sur les salaires et

(G−T) le déficit public. Il apparaît que si l’épargne nette du secteur privé est nulle (SwCp= 0), si le

budget du gouvernement est à l’équilibre (G−T= 0) et s’il n’y a pas d’investissement net (I= 0), alors

le profit net est également nul. Ceci dépeint un état stationnaire au sens strict, car la dette publique

demeure constante. D’autres états stationnaires sont possibles, par exemple en cas d’épargne du secteur

privé et de déficit public ou de désépargne du premier et d’excédent budgétaire du second, ce qui donne

alors :CpSw=TG,0. Cependant, de tels états stationnaires ne sont pas soutenables car ils impliquent

que la dette publique augmente infiniment ou que la richesse privée diminue continuellement.

Le mystère réapparaît si l’on regarde l’équation de Cambridge (Lavoie, 2014, p. 214), bien connue des

économistes hétérodoxes. Cette équation lie le taux de profit agrégé et le taux de croissance de l’économie

tel que

2.4. Monnaie-dette et intérêts dans une économie stationnaire 59

r= g

sp (2.2)

Cette équation s’applique dans une économie fermée telle que l’économie globale.spest la propension

à épargner sur les profits. Pour simplifier, on fait l’hypothèse que la propension moyenne à épargner

sur les salaires est nulle5.r=P/Kest le taux de profit, soit le ratio du profitPsur le stock de capital

K;g=I/Kest le taux d’accumulation ou taux de croissance du capital, avecI l’investissement. À l’état

stationnaire, le taux d’accumulation du capital est égal au taux de croissance du PIB6. Le mystère reste

entier car avec une croissance zéro, l’équation de Cambridge implique queg=r= 0, ce qui veut dire que

le taux de profit (net de la dépréciation du capital) est nul. Si les entreprises ne font pas de profit net,

comment peuvent-elles payer les intérêts sur leurs emprunts bancaires ?

GodleyetLavoie(2012) apportent une solution simple à ces deux mystères. Dans leurs modèles,

l’économie atteint un état stationnaire malgré le paiement des intérêts sur les prêts des banques et

malgré la réalisation d’un profit net par les entreprises. La solution réside dans l’addition d’un terme

supplémentaire à l’équation des profits la consommation sur la richesse réelle et financière. L’équation

de Kalecki doit donc être augmentée de ce terme, notéCv, ce qui donne :

P=I+CpSw+ (G−T) +Cv (2.3)

Là encore, pour rester stationnaire, l’investissement net privé doit être nul (I = 0), tandis que le

budget public doit être équilibré (G−T= 0). L’épargne privée totaleSdoit aussi être nulle. Comme il y

a une désépargne sur la richesse, l’état stationnaire peut être atteint malgré la présence d’une épargne

sur les profits. En maintenant l’hypothèse simplificatrice d’une épargne nulle sur les salaires (Sw= 0),

l’épargne privée est maintenant :

S=SpCv=spPcvV = 0 (2.4)

cvest la propension à consommer à partir de la richesse et oùV est la richesse du secteur privé. En

résolvant l’équation 2.4, nous voyons que les profits peuvent être positifs malgré la contrainte d’une

épargne privée nulle à l’état stationnaire. Nous obtenons :

P=cvV

sp (2.5)

Cela montre que des profits nets positifs ne sont pas incompatibles avec une économie sans croissance.

Ainsi,a contrariode ce qu’affirment certains économistes écologiques, une situation où le taux de profit ou

le taux d’intérêt est supérieur au taux de croissance de l’économie (ce qui est le cas lorsque la croissance

est nulle) n’est pas une situation insoutenable.

En effet, si l’on regarde l’équation 2.2, on voit que, comme la propension à épargner sur les profitssp

5. Cela ne signifie bien sûr pas que les ménages n’épargnent pas mais que l’épargne des uns est compensée par la désépargne

des autres.

6. L’équation 2.2 s’obtient depuis l’équation 2.1 en faisant l’hypothèse qu’il n’y a pas de secteur public ou que le budget public

est à l’équilibre (GT= 0), avecSw= 0 etCp= (1−sp)P, si bien queP=I+ (1−sp)PouP=I/sp, et l’on divise alors parK.

60 CHAPITRE 2. La monnaie et la croissance

est inférieure à l’unité, nous avons en général une situation où le taux de profit est supérieur au taux de

croissance de l’économie :r > g. Il s’agit-là de la situation la plus probable7.

Il est possible d’en dire davantage sur les conditions gouvernant un état stationnaire. Souvenons-nous

que dans une telle situation la dette publique doit demeurer constante, ce qui équivaut à un déficit public

nul. Cela signifie que les dépenses publiques sur les biens et services, ce queGodleyetLavoie(2012)

désignent comme dépenses publiques pures, doivent être égales au produit net de l’impôt, c’est-à-dire à

l’impôt collecté par le gouvernement déduction faite des transferts, ici égaux aux paiements des intérêts

sur la dette publique. Soit le taux d’impositionts’appliquant de façon proportionnelle à toute activité

économique (PIB) et aux intérêts reçus par le secteur privé sur la dette publique qu’il détient. AvecY

le PIB,Bla dette publique etile taux d’intérêt sur la dette publique, l’état stationnaire requiert que

l’identité suivante soit vérifiée :

G=tY+tiBiB=tY−(1−t)iB (2.6)

Si l’on résout l’équation 2.6 pour obtenirY, on aboutit à un résultat standard pour l’état stationnaire

dans les modèles stock-flux cohérents :

Y=G+ (1t)iB

t (2.7)

Expliciter les transferts du gouvernement et l’impôt révèle que l’équation 2.5 est une simplification

abusive car elle ne prend pas ces éléments en compte. Dans un modèle vraiment stock-flux cohérent,

l’équation de l’épargne serait réécrite comme suit :

S=sp(P+iB)(1t)cvV = 0 (2.8)