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Faudrait-il ainsi remettre en cause la pureté des avant-gardes impressionnistes, ou le caractère admirable de l’engagement des marchands parisiens, en particulier de Paul Durand-Ruel, pour la peinture impressionniste ? Le rôle de l’historien n’est pas de porter des jugements de valeur, de dire qui était d’avant-garde ou ne l’était pas. Il est de comprendre pourquoi les choses se sont passées comme elles se sont passées, si tant est qu’on puisse le mettre en évidence. Il était normal qu’un marchand se souciât de rentabilité, d’image sociale et internationale de sa galerie, donc des tableaux qu’il proposait. Mais en toute logique avec les valeurs du champ de l’art de l’époque, les discours tenus par les milieux modernistes sur la galerie Durand-Ruel minimisèrent le mieux possible ces réalités. Durand-Ruel ne fut d’ailleurs pas le plus prompt à le faire dans ses mémoires : le travail de « purification » du marchand fut surtout celui d’hommes de lettres et de critiques d’art qui en écrivirent l’histoire, à son époque puis plus tard1.

Il était normal également que des peintres, étant données leurs conditions financières, dans un milieu artistique où la domination symbolique des milieux dominants, mondains et patriotes, s’imposait largement, fussent tentés d’adapter leur peinture au nouveau marché d’une bourgeoisie amatrice de modernité de juste mesure. Surtout face à la possibilité, par quelques compromissions finalement relatives, de vendre davantage. Les plus ambitieux s’adaptèrent dès 1880 : ainsi de Monet et Renoir. Les moins ambitieux, tel Camille Pissarro trop en décalage avec les milieux plus bourgeois tant par ses origines étrangères que par ses options politiques anarchistes, ne s’adaptèrent pas, ou beaucoup plus tard. Pissarro optait en 1886 pour le pointillisme, donc l’avant-garde plus radicale encore. Le peintre, qui ne pouvait (et ne voulait) adhérer au modèle petit-bourgeois patriote, n’avait pas le même désir d’ascension sociale qu’un Monet – ou tout simplement de sa propre épouse Julie, d’où les permanentes difficultés de leur couple. S’adapter, d’autre part, était d’autant plus facile ou plutôt tentant, qu’on était proche des milieux artistiques parisiens : proche du « Gossip from

Paris » comme Whistler, proche des ouï-dire, des on-dit, des rumeurs et des humeurs du

1 La réputation « sainte » de Durand-Ruel fut forgée dès les premières expositions impressionnistes, ainsi dans l’ouvrage de Louis-Edmond Duranty, La nouvelle peinture : à propos du groupe d’artistes qui expose dans les

galeries Durand-Ruel, Paris, E. Dentu, 1876. L’ouvrage le plus édifiant à ce sujet est l’article publié dans la

revue berlinoise Pan II, par Arsène Alexandre : Durand-Ruel. Portrait et histoire d’un « Marchand » (Berlin, novembre 1911). Sans tomber dans l’hagiographie, les Archives de l’Impressionnisme de Lionello Venturi (op.

cit.) ont l’ambiguïté de focaliser leur présentation du marchand sur son activité de promotion des

impressionnistes, en laissant un peu de côté les autres tableaux qu’il proposait dans sa galerie. C’est également la perspective de la biographie de Pierre Assouline (Grâces lui soient rendues. Durand-Ruel, le marchand des

impressionnistes, Paris, Plon, 2002) qui ne pouvait, comme Venturi, s’aliéner le bon-vouloir des détenteurs des

champ de l’art parisien. Pissarro ne fréquentait pas les salons mondains, de moins en moins les cafés artistiques où il fallait payer sa chope, et encore moins les banquets des modernes trop chers pour ce père de famille nombreuse. Degas, Monet et Renoir (surtout Degas et Renoir) gravitaient en revanche là où il fallait. Leur situation favorable, et les modifications sensibles de leur travail, l’insertion sociale surtout de leur peinture dans l’élite nouvelle des modernes présentée par Petit, furent des accélérateurs pour leurs carrières.

Quant à Degas, son refus d’exposer chez Petit pourrait paraître incompréhensible, et d’autant plus louable sa fidélité à Paul Durand-Ruel. Mais la réputation de l’artiste n’avait pas besoin en 1885-1886 d’acquérir plus de distinction au contact des Salons Petit. Depuis les années 1860 c’était en fait un peintre connu – en 1869 le grand marchand belge Joseph Stevens lui avait proposé un contrat. A Paris, Degas était apprécié dans les salons les mieux fréquentés. Sa peinture parlait aux fidèles des soirées à l’Opéra, capables de comprendre sa satire allusive des milieux de la danse. Elle convenait également aux collectionneurs modernistes familiers des courses hippiques : le caractère social fort bourgeois de ses toiles s’épiçait de mises en page décentrées et d’un travail impressionniste des paysages du fond. Juste équilibre, donc. Degas, même s’il sa fortune s’était amoindrie depuis 1876-1877, ne continuait d’ailleurs pas moins de fréquenter le beau-monde artistique parisien. Alors que ses camarades exposaient chez Petit, le peintre fréquentait déjà depuis longtemps les figures que Petit venait chercher. Son travail n’était pas isolé, d’ailleurs, de la lente modification sociale de la peinture impressionniste dans les années 1880 : Degas augmenta à cette époque sa production de scènes de courses.

Un nouveau marché pour les impressionnistes

La prise en charge de quelques carrières impressionnistes par la galerie Petit constituait donc une valorisation symbolique sans précédent. En 1887, Georges Petit couronna plus particulièrement Monet et Sisley en leur consacrant deux expositions personnelles. C’était leur ouvrir les portes des autres grandes galeries parisiennes. Et d’abord de la plus grande, la maison Goupil devenue Boussod et Valadon en 1875, où travaillait, depuis 1878, Théo Van Gogh (1857-1891), frère de Vincent. L’intérêt pour les toiles modernes chez Goupil ne fut en rien avant-gardiste. En 1886 Théo aurait vendu une marine de Manet1 : Manet était mort

depuis 1883, consacré par la rétrospective de 1884 aux Beaux-Arts. En 1887 Théo parvint à proposer quelques peintures de Degas, Monet, Sisley, Pissarro, Gauguin et Guillaumin.

1 C’est ce que noterait le livre de comptes de Goupil & co, d’après l’article très précis de John Rewald, « Theo Van Gogh, Goupil and the Impressionists », Gazette des Beaux-Arts, janvier-février 1973, pp. 2-64.

Etait-il si risqué alors, en 1887, de proposer dans sa galerie une toile de Monet ou de Renoir, un paysage de Sisley, une danseuse de Degas ? L’historiographie sur l’impressionnisme et les frères Van Gogh le laisse penser ; mais les faits, un peu moins. Le caractère hagiographique des écrits sur Vincent Van Gogh a très probablement retenti sur la figure de Théo, dont la mort précoce après celle de son frère contribua à entretenir l’image d’un martyr de l’art moderne. D’après John Rewald l’arrivée à Paris en 1886 de Vincent aurait été décisive dans la décision par son frère de vendre des tableaux modernistes. A cette époque la peinture impressionniste n’est pourtant plus vraiment révolutionnaire, surtout lorsque ces tableaux sont passés auparavant chez Georges Petit.

Que propose donc Théo Van Gogh ? De l’impressionnisme acceptable. Le jeune marchand n’expose en effet chez Goupil ni des paysages schématiques de Cézanne, ni des tableaux pointillistes de Pissarro, encore moins des toiles hurlantes de son frère Vincent. Sa clientèle, et pas seulement ses employeurs, n’en voudraient pas. « … c’est excessivement facile de vendre des tableaux comme il faut dans un endroit comme il faut à un monsieur comme il faut, depuis que le distingué Albert [Goupil] nous a donné la recette. », gémit alors Vincent1. Théo vend des Monet parce que la demande de Monet est plus importante,

tout simplement2. Il prend en dépôt des Sisley parce qu’on commence à bien apprécier la

finesse de ses paysages3.

Richard Thomson a montré, dans sa contribution à l’exposition consacrée à Théo aux musées Van Gogh d’Amsterdam et d’Orsay à Paris, que l’investissement du jeune marchand pour la peinture « moderne » fut surtout dirigé vers les gloires classiques de cette modernité en cours de définition dans les années 18804. Théo Van Gogh investit ainsi, après 1886,

dans la peinture d’Albert Besnard que son ascension fulgurante a mis au premier plan de la peinture moderne française. De même il s’intéresse à Raffaëlli, dont les stratégies commerciales et picturales correspondent alors largement au public visé par sa galerie. C’est le début d’une stratégie pour se positionner comme le principal marchand de Raffaëlli (lequel, après 1887, s’est investi massivement dans l’internationalisation de sa carrière5).

1 Lettre de Vincent à Théo Van Gogh, Arles, juin 88, n°500 F (Correspondance complète de Vincent Van

Gogh, Paris, Gallimard / Grasset, 1960, t. 3, p. 100).

2 En février et mars 1888 il en achète chez Drouot, à plus de 1000 F l’unité. Au mois d’avril il achète trois paysages de Monet qu’il paye 1200 F chacun, et un Pissarro qu’il paye 500 F. Il trouve bientôt un acquéreur pour le Village de Bennecourt de Monet, qu’il vend 2 200 F.

3 En mai 1887 Théo Van Gogh rend visite à Sisley à Moret. Il lui prend en dépôt plusieurs toiles, consignées entre 125 et 225 francs. C’est peu ; mais c’est un bon départ.

4 Richard Thomson, « Theo Van Gogh : un marchand entreprenant, un homme de confiance », in Theo Van

Gogh, cat. exp., Amsterdam, Van Gogh Museum – Paris, RMN, 1999, pp. 61-sq., en particulier p. 103 : « Le

marché de l’art contemporain – la définition du moderne – Besnard, Carrière, Raffaëlli : ce que pouvait être la peinture moderne. »

Cet investissement des galeries parisiennes les plus importantes symboliquement dans la peinture contemporaine moderne, put alors entretenir, dans les cercles impressionnistes, l’espérance de voir leur peinture acquise par les collectionneurs que fournissaient Petit et Goupil. Paul Gauguin, qui gravite encore autour du groupe impressionniste, écrit ainsi à sa femme en décembre 1887 : « Tu connais la maison Goupil éditeur et marchand de tableaux ; aujourd’hui cette maison est devenue le centre des impressionnistes. Petit à petit il va nous faire avaler par sa clientèle ; voilà encore un espoir de plus et je suis persuadé que d’ici peu de temps je marcherai1. » Gauguin se leurre (ou fanfaronne, plus probablement, dans une

lettre à sa femme) en parlant de « centre de la peinture impressionniste » - surtout pour sa propre peinture. Oublie-t-il que l’art qui intéresse les galeries en question doit sacrifier aux adoucissements qu’il refuse justement ? Mais les personnalités qui se sont adaptées ont trouvé enfin une clientèle. En 1888 Monet signe un contrat chez Boussod et Valadon, où dix de ses paysages récents d’Antibes sont vendus sur le base de prix entièrement nouveaux : il reçoit entre 1000 et 1300 F pour chaque toile. Avant son arrivée chez Petit, Monet vendait à Paul Durand-Ruel dans les 500 à 600 francs par toile2. Les prix de toiles impressionnistes

commencent à monter. En février-mars 1888 à Drouot, Théo Van Gogh achète Le Village

de Bonnières de Monet pour 1500 F, et le revend 2 200 F3. Certes, ces prix ne montent pas

au niveau de ceux de Meissonier dont la cote atteint, lors d’une vente de 1887 à New York, les 330 000 francs4. Mais c’est déjà un progrès. La galerie Goupil se lance dans la

représentation de Monet à l’étranger – en 1888 Boussod expédie des tableaux de Monet à Bruxelles pour l’exposition du Salon des XX5. Et Monet d’écrire à Durand-Ruel :

Justement le mouvement en notre faveur s’accentue cette année. Nous sommes à peu près tous à l’exposition internationale où le public acheteur nous fait décidément meilleur accueil. Ce qui du reste vous en donnera mieux l’idée que tout ce que je pourrai dire, c’est que la maison Boussod a maintenant des Degas et des Monet et qu’elle aura aussi des Sisley et des Renoir. Je suis assez en faveur, car les premiers tableaux qu’ils m’ont achetés ont été revendus de suite6.

5 C’est ce que révèlent les archives du peintre conservées au Getty Institute, dont un descriptif détaillé est disponible à l’adresse électronique http://www.getty.edu/research/library.

1 Gauguin à son épouse Mette, Paris, 6 décembre 1887, Lettres de Gauguin à sa femme et à ses amis, recueillies et préfacées par Maurice Malingue, Paris, Grasset, 1946, p. 121.

2 En novembre 1884 il vend au marchand douze toiles 6600 francs (Charles Stuckey, Monet, op. cit., chronologie)

3 D’après J. Rewald, « Theo Van Gogh, Goupil and the Impressionists », Gazette des Beaux-Arts, article cité. 4 Il s’agit de la vente de Friedland (d’après Sophie Monneret, L’Impressionnisme et son époque, op. cit., t. 2, p. 448). A la même époque Le Marché aux chevaux de Rosa Bonheur monte à 268 500 francs.

5 Lettre de Boussod à Octave Maus , Paris, 8 novembre 1888, où le marchand donne la liste d’une expédition de tableaux de Monet pour la prochaine exposition des XX. Archives des XX, Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts, Archives de l’Art contemporain, Inventaire 5230 (AACB, inv. 5230).

6 13 mai 1888, adressée à Durand-Ruel qui est alors à New York (Lionello Venturi, Archives de

Quelle stratégie fut la plus payante, entre l’exposition chez Petit, l’adaptation relative de sa peinture, le travail sur les relations mondaines ? Apparemment celle qui cumulait le tout. C’était celle de Monet et Renoir, Whistler, celle, surtout, de Besnard ou de Raffaëlli. Sisley, isolé à Moret-sur-Loing puis aux Sablons, commit probablement l’erreur de ne pas venir suffisamment à Paris ; Pissarro, celle de faire du pointillisme. Des peintres d’avant- garde les plus radicaux dans les années 1870, Monet et Renoir furent le plus rapidement récompensés par les choix qu’ils firent après 1879, et avec eux le sculpteur Rodin.

En 1884, la mort de Giuseppe De Nittis en 1884 laisse une place libre au comité de l’Exposition internationale Georges Petit. Quelques anciens impressionnistes y prennent bientôt leurs quartiers. Monet fait partie du comité en 1887, et avec lui Rodin, Renoir et Whistler. Le peintre, dans une lettre à Camille Pissarro, invite son ancien camarade à la prochaine Exposition internationale : il lui annonce qu’il a reçu « un avis officiel de chez Petit, vous annonçant qu’à la dernière réunion du Comité de l’Exposition internationale nous avions voté votre admission1. » Le ton se fait important : « bien que Renoir et moi nous

sachions votre manière de voir et votre répugnance pour cette exposition, nous avons cru devoir voter votre admission tout en ignorant comment vous prendriez la chose, n’ayant du reste ni le temps ni la possibilité de vous consulter. [...] Vous pouvez compter sur Rodin, Whistler, Renoir et moi. » « Rodin, Whistler, Renoir et moi » : voici donc en 1887 des figures nouvelles de l’establishment moderne français. Leur art, qui rencontre le mieux les aspirations des milieux culturels républicains à la recherche d’une peinture contemporaine moderne, est en train de s’imposer dans le processus de définition de la peinture moderne. Ces artistes ont pris la place des mondains de la rue de Sèze où est sise la galerie Petit – ou plutôt : pris place parmi eux. « Mirbeau m’a raconté un tas d’affaires sur messieurs les peintres de l’avenue de Villiers : il paraît que la venue des Impressionnistes a jeté le désarroi chez Petit2 », écrit Camille Pissarro à son fils. L’avenue de Villiers, dans le quartier de la

plaine Monceau, est peuplée de fortunes récentes. Les artistes arrivés s’y sont regroupés. Pissarro pense-t-il nommément à Albert Edelfelt, membre du Comité de l’Exposition internationale, qui habite au n° 147 ? Arrivée chez Petit, donc, la peinture nouvelle est entrée dans le monde des nouveaux riches.

L’impressionnisme a donc conquis les milieux officiels, sous une version susceptible de plaire au plus grand nombre. Il l’a fait d’autant mieux que ses personnalités fondatrices sont désormais intégrées à une histoire nouvelle de l’art moderne français. En 1884, la

1 Lettre de Monet du 5 mars 1887, in D. Wildenstein, Monet, t. III, n° 775, p. 221.

2 Camille à Lucien Pissarro, Paris, 14 avril 1887. Correspondance de Camille Pissarro, op. cit., t. 2, n° 412, p. 151.

peinture naturaliste a été couronnée dans l’ancien bastion de l’académisme, l’École des Beaux-Arts : Manet, mort l’année précédente, est consacré par une rétrospective dont le catalogue est introduit par Zola lui-même1. Les Beaux-Arts avaient déjà accueilli Courbet

deux ans plus tôt. En 1885, une rétrospective posthume de Bastien-Lepage poursuit la réhabilitation du mouvement réaliste2. La rétrospective Courbet, dix ans après sa mort,

canonise le communard. La peinture de plein-air, le réalisme, le naturalisme et bientôt l’impressionnisme sont devenus les heureux éléments de l’histoire de l’art français. La fierté nationale ne peut l’ignorer. La peinture de la lumière et des notes vives, des sujets modernes, introduite par Manet et poursuivie par les impressionnistes, est désormais répandue dans le Salon comme à l’École des Beaux-Arts. On a volé Manet « pour le débiter en friandises aux amateurs ravis, qui auraient frémi devant un Manet véritable, et qui se pâmaient devant les Manet de contrebande, fabriqués à la grosse, comme les articles de Paris », conclue Zola dans sa préface de l’exposition Manet.

Ainsi les douaniers de l’art français sont maintenant les meilleurs publicistes de l’art moderne. En 1883, lors d’une exposition de peintures impressionnistes à Berlin, le patriotisme a d’ailleurs pris parti pour lui : toute peinture française à l’étranger est d’abord française, quel que soit son parti-pris esthétique. Dans une lettre à son fils Lucien, Pissarro l’anarchiste s’étonne : « Je t’ai envoyé Le Figaro ; tu as dû lire que les impressionnistes ont fait sensation à Berlin. Menzel trouve que c’est mauvais ; voilà que le Figaro nous défend par patriotisme, c’est assez curieux de retourner sa veste ; j’en ai vu bien d’autres3. »

Paris 1889

A l’Exposition universelle de 1889 Bouguereau et Cabanel, gloires de la peinture académique, dominent encore, mais la peinture de Corot, de Manet et de Monet est aussi devenue une école internationale, sous une version équilibrée entre travail de la lumière et sujets académiques. Albert Aurier (1865-1892), jeune critique d’art des milieux avant- gardistes, le constate avec agacement :

Comme tout le monde, je suis allé visiter, le Champ-de-Mars, le Palais des Beaux-Arts, et, comme beaucoup, j’ai constaté que, n’étaient les inspiratrices pancartes placardées sur les murailles, personne ne pourrait deviner que telle ou telle salle est spécialement consacrée à la peinture belge, à la peinture 1 Zola place sa préface sous le signe de l’influence du peintre, plus que de son œuvre : « Les maîtres, à la vérité, se jugent autant à leur influence qu’à leurs oeuvres ; et c’est surtout sur cette influence que j’insisterai [...]. »

Préface au Catalogue de l’Exposition des oeuvres d’Édouard Manet, Paris, École des Beaux-Arts, 1884 (repris

dans Mon Salon, op. cit., p. 358).

2 Ecole nationale des Beaux-Arts, Exposition des Œuvres de Gustave Courbet, 1882. Et Exposition des Œuvres

de Jules Bastien-Lepage, 1885.

américaine, hollandaise, italienne ou grecque, plutôt qu’à la peinture de la rue Bonaparte, de Montparnasse ou des Batignolles. [...] La France triomphe ! Qu’importe l’art ! La Revanche ! [...] Les critiques d’art, sur pareille question, ne sont plus des critiques d’art, ce sont des énergumènes échappés de la feue Ligue des Patriotes1

Aurier s’énerve de ces gloires patriotiques dont l’impressionnisme adouci fait aussi partie. C’est « l’art officiel français [qui] triomphe partout », et non celui des « incontestables maîtres ». La critique d’art française est prête à couronner n’importe quelle peinture pourvu qu’elle contribue à la supériorité artistique française dans le monde. Mais elle ne couronne jamais la bonne, l’originale, et seulement celle d’ « imitateurs », nourris au « biberon de l’Europe », l’art français officialisé.

La peinture « de Montparnasse ou des Batignolles » s’exporte donc autant que celle de l’École des Beaux-Arts. Elle ne rayonne pas seulement chez les peintres de Bruxelles, décrits par Émile Verhaeren en 1882. Ni seulement ceux de Londres, où Bastien-Lepage est très apprécié, comme Fantin-Latour. En Allemagne par exemple la peinture naturaliste a trouvé aussi des émules. L’orientation de la section d’art allemand à l’Exposition universelle de 1889 en est l’exemple le plus frappant. On peut lire dans le Moniteur des