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4. Les dynamiques spatio-temporelles des zones de consommation

4.3. Comparaison des aires de consommation pour plusieurs jeux de données

4.3.2. Confronter directement deux jeux de données ?

Une autre approche consiste à confronter des données différentes en vue de modéliser d’éventuelles relations spatiales. En effet, il peut être intéressant de comparer les concentrations de différents produits afin de savoir si les zones de consommation sont les mêmes ou si des tendances spécifiques existent. Les cas de figure sont variés : comparer la distribution de plusieurs matériaux, des découvertes issues de différents contextes, des produits socialement valorisés par rapport à d’autres plus « ordinaires », appréhender leur répartition par rapport à la localisation de certaines ressources, etc. Lorsque les zones de forte densité de différents produits sont les mêmes, cela peut indiquer une forte densité de population ou bien signifier la présence d'un pouvoir social et/ou économique fort. L’arrivée en nombre de produits variés résulte de l’attractivité générale de ces secteurs. Mais si les zones de concentration ne sont pas identiques, cela peut indiquer que les modes de consommation de ces produits étaient plus spécifiques et que ces zones de consommation sont spécialisées.

A titre d’exemple, nous proposons de réaliser une analyse croisée de deux jeux de données ponctuelles à l'échelle de la France : la première concerne l’inventaire des longues haches en jades alpins, la seconde, l’inventaire des halotoponymes et des sources salées. Dans ce cas, la confrontation des produits en jades alpins et des ressources en sel est intéressante car la présence de ces dernières a pu représenter un facteur attractif non seulement pour le peuplement (Pétrequin et Weller 2007) mais aussi pour l’établissement d’un pouvoir social fort, ce que les concentrations de longues haches en jade pourraient justement refléter (Pétrequin, Pétrequin et al. 2015).

Fig. 68. Répartition de tous les halotoponymes (à gauche), des halotoponymes certains (au centre), des longues haches en jade (à droite), confrontée à la répartition des sources salées (IGN GeoFLA, Données O. Weller et P. Pétrequin, CAO : R. Brigand, 2012).

107 Les répartitions ponctuelles ne sont pas à même de nous donner une réponse claire, bien qu’à première vue une corrélation soit possible dans certains secteurs (Fig. 68). Il est intéressant de considérer d’une part l’ensemble des halotoponymes et d’autres part les halotoponymes certains, pondérés par leurs effectifs, afin d’avoir non seulement une vue d’ensemble des secteurs potentiellement riches en toponymes liés au sel mais aussi, en parallèle, de connaître plus spécifiquement les secteurs où les toponymes assurés sont effectivement nombreux (voir ci-dessus la partie 1.1.2). Pour comparer ces distributions, nous créons dans un premier temps les cartes de densités de noyaux pour ces jeux de données selon des paramètres identiques.

Nous recherchons d’abord le rayon optimal. Il s’agit de tester plusieurs rayons de 5 à 50 km, selon un intervalle de 5 km (Fig. 69). Les valeurs hautes de densités correspondent aux tailles de voisinages qui soulignent l’importance des points isolés, le lissage sera insuffisant ; les valeurs basses correspondent en revanche à des voisinages mettant en évidence de vastes concentrations, le lissage sera trop important. Le rayon optimal commun correspond à l’inflexion des deux courbes de distribution des valeurs maximales de densité. Dans notre cas, c’est un rayon de 25 km qui semble le mieux convenir.

Fig. 69. Détermination du rayon optimal. Il correspond approximativement au point d’inflexion de la courbe, établi ici à 25 km pour les halotoponymes (à gauche) et pour les haches en jade (à droite) (DAO : R. Brigand 2012).

Cette opération réalisée, il est possible de cartographier les densités d’halotoponymes ou de haches alpines. La comparaison peut alors se faire par la juxtaposition des densités de l’un des paramètres et de la répartition ponctuelle de l’autre. La figure 70 propose deux combinaisons possibles : d’un côté, la distribution des haches alpines superposée à la densité d’halotoponymes et de l’autre, la répartition des sources salées confrontée à la densité des haches en jades alpins.

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Fig. 70. Répartition des sources salées comparée à la densité de haches en jade (à gauche) et la répartition des haches en jade comparée à la densité des halotoponymes (à droite). (IGN GeoFLA, Données O. Weller et P. Pétrequin, CAO : R. Brigand, 2012).

Afin de modéliser plus précisément les secteurs où coexistent de fortes densités d’halotoponymes et de haches alpines, nous avons choisi de réaliser des cartes cumulant les deux paramètres en multipliant leurs valeurs de densités. Il s’agit d’une méthode d’algèbre de cartes de type local (Tomlin 1990). Les secteurs dans lesquels les densités des deux indicateurs sont fortes ressortent alors plus clairement. L’interprétation de la confrontation des paramètres deux à deux est ainsi plus aisée (Fig. 71).

Fig. 71. Produit des densités de noyaux, à gauche, des sources salées et des haches en jades alpin, à droite, des halotoponymes et des sources salées. Les valeurs fortes correspondent aux secteurs dans lesquels les densités des deux paramètres sont, ensemble, les plus élevées (IGN GeoFLA, Données P. Pétrequin et O. Weller, CAO : R. Brigand, 2012).

109 Dans certains secteurs, une relation pourrait exister. On constate en effet une assez bonne concordance entre les fortes densités d’halotoponymes, de sources salées et de haches en jade dans le Jura, probablement en lien avec des exploitations de sel en bordure des premiers contreforts du Revermont (Lons-le-Saunier, Domblans), mais aussi dans le secteur de Corent dans le Puy-de-Dôme (Glaine-Montaigut), au niveau du site de Bégude-la-Mazenc dans la Drôme (Portes-en-Valdaine) et dans les Hautes-Alpes, dans les Baronnies provençales (Mison, Apremont, Orpierre, Ventavon). Le littoral du sud du Morbihan et de la région nantaise est aussi une zone à la fois riche en halotoponymes et en jades alpins. Partout ailleurs la relation est absente ou beaucoup moins évidente. Ces relations géographiques observées ne peuvent bien entendu pas être interprétées comme de véritables corrélations, même à un niveau local, les deux paramètres n’étant pas vraiment dépendants l’un de l’autre. Il serait également abusif de considérer la présence des sources salées comme les facteurs ayant exclusivement favorisé le développement de centres de consommation des jades à ces endroits. La création de ces derniers correspond sans doute à une conjonction de différents facteurs favorables, mais le rôle des sources salées mériterait d’être examiné plus en détail, il s’agit d’une piste à creuser.

Une autre manière d’aborder la confrontation de deux jeux de données consiste à comparer uniquement le positionnement des secteurs les plus denses pour l’une et l’autre des distributions considérées. Il s’agit de déterminer statistiquement les secteurs les plus importants pour le premier produit puis pour le second pour ensuite comparer leurs localisations. On ne raisonne donc pas en termes de valeurs brutes mais d’importance relative.

Pour pouvoir détourer les zones de plus fortes densités au sein d’une grille, il est nécessaire de choisir une valeur seuil. Pour cela nous discrétisons les valeurs des densités de noyaux afin de ne retenir que la (ou les) dernière(s) classes. Plusieurs solutions sont possibles (Pumain et Béguin 2003,

Paegelow et Vidal 2004) : une discrétisation par équifréquences basée sur les quantiles permettra de s’assurer qu’une certaine proportion des données sera représentée, la méthode des seuils naturels de Jenks, très proche de la forme de la distribution puisqu’elle vise à minimiser la variance intra- classe et maximiser la variance inter-classes, assurera davantage d’homogénéité au sein des espaces détourés, une discrétisation standardisée (déviation standard) dans laquelle les classes sont déterminées selon une fraction d’écart-type par rapport à la moyenne, fera ressortir les valeurs exceptionnelles, en particulier dans le cas de distributions suivant une loi normale.

La comparaison des détourages des zones de plus fortes densités obtenus pour les haches en jades alpins en France avec ces trois méthodes de discrétisation montre que le résultat est assez similaire quelle que soit la méthode utilisée (Fig. 72). Dans le cas de la méthode de Jenks, les classes à isoler sont choisies de façon empirique (ici nous avons choisi de considérer les 5 dernières classes sur 7). Avec les quantiles nous avons choisi le dernier décile, de manière à ce que cette classe de valeurs forte corresponde aux 10% des valeurs les plus grandes. Pour la déviation standard, nous avons choisi des intervalles d'¼ écarts types, en conservant la dernière classe, correspondant aux valeurs plus exceptionnelles. Peu de différences s’observent dans la position et le nombre des pôles de concentration. La déviation standard et la méthode de Jenks font apparaître un peu plus de pôles et légèrement plus grands que la méthode des déciles qui sépare mieux certaines concentrations proches. Nous préférons donc cette dernière méthode que nous appliquons également aux sources salées et halotoponymes afin de les confronter aux pôles déterminés pour les haches en jade. Pour les sources salées, le résultat n’est pas très intéressant : les données étant trop peu nombreuses et dispersées, les pôles mis en évidence reflètent presque exactement la répartition des sources salées identifiées. La confrontation des résultats obtenus pour les trois jeux de données permet néanmoins de vérifier les possibles liens évoqués plus haut, en particulier pour les sources jurassiennes et des

110 Baronnies provençales ainsi que pour le Golfe du Morbihan (Fig. 73). Dans tout le reste de la France, aucune relation spatiale ne peut être observée.

Fig. 72. Comparaison des trois méthodes de discrétisation proposées afin d’identifier les principales concentrations des haches en jades alpins en France (IGN GeoFLA, Données P. Pétrequin, CAO : E. Gauthier, MSHE Ledoux, 2018).

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Fig. 73. Confrontation des principaux pôles de concentration des haches en jade, des halotoponymes et des sources salées (IGN GeoFLA, Données P. Pétrequin et O. Weller, CAO : E. Gauthier, 2018).

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5. Le contrôle des ressources : le cas de la production du sel et