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3.1 Les contrats de procuration des semences

3.1.2 La conformité

Il est primordial pour l’agriculteur de comprendre quelle semence il recherche et d'obtenir ensuite précisément celle qu'il a commandée. L'agriculteur biologique, par exemple, qui reçoit des semences conventionnelles plutôt que biologiques risque de ne pouvoir vendre sa récolte que comme conventionnelle, entraînant une perte de l'ordre de 30 % à 50 % de la valeur espérée selon l’estimation de certains producteurs impliqués dans les deux types de culture. Il en va de même pour les autres intrants de sa production : l'erreur pourrait causer des dommages ou des rendements décevants. Les enjeux sont donc importants.

Compte tenu du caractère technique de la qualité des semences commandées, la disponibilité d'information au stade de la commande est essentielle : renseignements sur les qualités requises, conseils sur le meilleur choix compte tenu des objectifs de l'agriculteur, mise en garde contre des dangers ou des applications dommageables. Cette exigence se prolonge aux stades suivants de livraison et d'utilisation : indications sur l'emballage de leur nature et mode

Lazure et Riendeau inc. c. Poirier, J.E. 93-86 (C.S.), EYB 1992-74315 ; Poirier c. Graveline, 2013 QCCQ 15311 (C.Q., p.c.) ; Royer c. Faucher et Faucher inc., J.E. 2005-1148 (C.Q.), EYB 2005-90017 ; Blouin c.

Meunerie Alain Tremblay inc., J.E. 90-637 (C.Q.), EYB 1990-76860.] »

d'emploi, y compris les marques de certification et l'étiquetage informatif, dont l'encadrement a été exposé au chapitre précédent ; accompagnement lors de l'utilisation et de la récolte.

Les renseignements que nous avons pu recueillir nous font croire que le milieu agricole a développé des pratiques étendues pour assurer l'accès à l'information et au conseil. Dans la pratique, d'après nos interlocuteurs, les semenciers fournissent des informations sur les semences, des conseils et des mises en garde, selon le cas. Plusieurs pratiques visent à assurer la conformité des achats. Les bons de commande sont écrits, souvent confirmés par fax ou par courriel. Ils comportent la mention expresse du produit commandé et éventuellement des garanties quant à ses qualités ou aux certifications. Sur les sacs dans lesquels les semences sont livrées, paraissent, outre le nom du produit, des marques de couleurs différentes selon qu'il s'agisse de semences OGM,conventionnelles ou biologiques, ainsi que les marques de certification biologique ou de généalogie, le cas échéant.

Quel encadrement offre le droit des contrats dans le C.c.Q. ? Le contrat est formé par l'échange de consentements des parties (1385 C.c.Q.), dès lors que l'offre de l'une correspond à l'acceptation de l'autre. Il y a des règles particulières pour les cas de communications

imparfaites ou de correspondance incomplète, mais elles n'ont pas besoin de retenir notre attention ici. Le consentement d'une des parties peut être vicié du fait qu'elle se trompe en donnant son consentement. Si cela est provoqué par des manœuvres de l'autre partie, le droit y voit un cas de dol. Si l'autre partie n'y est pour rien, le droit détecte une erreur-vice de

consentement152.

Pour ne pas mettre la sécurité des contrats trop à l'épreuve, l'erreur-vice de consentement ne peut mener à l'annulation du contrat que si elle porte sur la substance même (la nature ou l'objet) du contrat (par ex. vente plutôt que location) ou sur une condition déterminante (le cheval est-il apte à la course ?) (1400 C.c.Q.). Toute autre source d'erreur demeure pour le compte de la personne qui la commet et ne met pas en cause la validité du contrat. Les

contractants sont ainsi encouragés à veiller à bien comprendre dans quoi ils s'embarquent avant de s'engager.

Le dol est différent en ce que la partie qui cherche à bien saisir dans quoi elle s'embarque est induite en erreur par des manœuvres de l'autre. Reculer l'odomètre d'une auto pour la vendre plus cher comme voiture d'occasion constitue un dol. À l'extrême, le dol grave avoisine la fraude, qui est une infraction criminelle, définie dans le Code criminel. La simple promotion de ses produits, même avec une part d'exagération publicitaire, ne constitue pas un dol. Mais le fait pour une partie de rester silencieux sur une caractéristique dont elle connaît l'importance pour l'autre peut constituer un dol par réticence (1401 C.c.Q). Le dol donne lieu à l'annulation du contrat si, sans lui, la victime n'avait pas contracté ou avait contracté à des conditions différentes.

Une fois le contrat conclu validement, les deux parties doivent exécuter leurs obligations respectives. Dans le cas de l'achat de semences, cela veut dire principalement, pour l'une,

152 À ne pas confondre ce sens technique avec celui de l'erreur que commet un professionnel dans l'exercice de ses fonctions et qui peut être fautive et engager sa responsabilité professionnelle.

délivrer celles-ci, pour l'autre, payer le prix convenu. La livraison doit être de nature à

permettre à l'acheteur de se servir effectivement de ce qu'il a acheté. L'acheteur doit permettre à l'autre partie d'effectuer la livraison (ouvrir les portes, réserver l'espace de déchargement, etc.).

Au moment de la livraison, l'agriculteur acheteur doit, avant d'accepter la livraison, faire une inspection diligente pour s'assurer que ce qui est livré correspond bien à ce qu'il a

commandé (par analogie, 2110 C.c.Q.). En cas de méprise ou autre non-conformité, la livraison peut être refusée et les produits livrés peuvent alors être retournés. Les tribunaux ont

progressivement admis que la livraison complète, dans le cas d'objets complexes, devrait comprendre des modes d'emploi et des mises en garde nécessaires pour que l'acheteur puisse effectivement se servir de ce qu'il a acheté selon sa destination.

Dans certains cas, l'agriculteur pourrait vouloir (ou faire) tester les semences pour s'assurer qu'elles sont conformes, par exemple qu'elles ont bien la qualité et la pureté voulues pour se conformer à l'étiquette « biologique » ou pour justifier la mention d'absence d'OGM ou encore contient des OGM. Lorsqu’il est question de « pureté », on ne recherche pas uniquement la présence d’OGM,mais de tout autre contaminant ayant des restrictions imposées par la Loi sur les aliments et drogues et ses règlements sur les aliments dont nous avons déjà parlé. Si les tests indiquent des contaminants au-delà du seuil toléré153, selon l'étiquette employée, les semences peuvent être retournées. La difficulté pratique ici est le délai nécessaire pour un test avancé (au moins trois jours, en ce moment), ce qui dépasse le temps d'une acceptation ordinaire. Toutefois, des avancées techniques évoluent vers des « kits » permettant aux

agriculteurs d'effectuer eux-mêmes des tests sur-le-champ par des mesures semi-quantitatives : c.-à-d. détectant tout ce qui est au-dessus de la limite permise en tenant compte des marges d’erreur inhérentes à toute mesure de ce genre. Dans ce cas, l'inspection diligente en vue de l'acceptation d'une livraison pourrait alors englober le devoir d'effectuer un tel test.

Enfin, il est concevable qu'à l'usage, le produit acheté ne fonctionne pas suivant sa destination normale par suite d'une déficience dans sa conception, sa fabrication ou sa mise en marché, sans qu'on puisse détecter cette anomalie par l’inspection au moment de la livraison.

Le droit y voit alors un défaut de qualité, anciennement appelé vice caché, pour lequel le vendeur doit une garantie (1726 ss. C.c.Q.). Le défaut entraîne la responsabilité du vendeur immédiat et, éventuellement, dans le cas d'objets de fabrication, celle du fabricant (ici le semencier).

La preuve de la déficience de conception, de fabrication ou de mise en marché étant souvent difficile à rapporter, le droit a, à plusieurs occasions, simplifié la tâche du plaignant de différentes façons : en créant des présomptions de vice dès lors qu'on prouve un

fonctionnement déficient (1729 C.c.Q.) ou encore en instituant une responsabilité sans égard à la faute, dite aussi responsabilité objective, pour le fabricant, souvent solidairement avec le vendeur et le distributeur (1730 C.c.Q.). Un arrêt de la Cour suprême du Canada, dans un appel provenant de la Colombie-Britannique, province de common law, établit que le fabricant

153 En vertu des exigences des règlements et directives découlant de la Loi sur les aliments et drogues (F-27) http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/f-27/. On trouve également une discussion sur les limites au chapitre 2.

pourrait se dégager de sa responsabilité de mise en garde, s'il tient continuellement informé l'intermédiaire, qui, lui, est en rapport direct avec le client acheteur et sera tenu de lui expliquer directement le mode d'emploi et les dangers (règle de l'intermédiaire compétent)154.

Le Code civil impose une responsabilité au fabricant à l'égard des tiers (autres que les acheteurs), pour un défaut de sécurité ou l'absence de mise en garde suffisante compte tenu des risques ou dangers que pose l'usage de l'objet (1468 et 1469 C.c.Q.). Dans ce dernier cas, le fabricant peut cependant plaider que, compte tenu de l'état des connaissances au moment de la fabrication et de sa distribution, il ne pouvait connaître le vice et qu'il n'a pas été négligent à informer les consommateurs – acheteurs comme ceux qui l’utilisent sans l’avoir acheté – par les médias, les sites Web, les rappels – dès que le vice était connu (1473 C.c.Q.).