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Confiance/défiance au cœur des rapports entre acteurs 50

2   Se faire une place pour les adeptes de l’islam 34

2.2.4   Confiance/défiance au cœur des rapports entre acteurs 50

66 L’architecte leur a expliqué que de toute façon la future mosquée est d’une autre envergure et que la gestion ne pourra plus être la même, notamment tout ce qui concerne le gardiennage. On perçoit comment les projets vont modifier les structures associatives, on y reviendra.

Dans l’ensemble des points de négociations évoqués jusque-là, comme le choix du terrain, du bail ou de l’achat, la mise au point du programme, la question de la confiance est chaque fois impliquée. Pour le projet de Nantes nord la solution d’un bail emphytéotique a été adoptée, mais c’est maintenant un argument repris par certaines personnes de l’association cherchant à mettre en cause d’anciens leaders, (la ville pourrait leur reprendre, les négociations ont été mal menées). Pour le projet d’Angers, la ville ne pouvait vendre le terrain à l’association, ce qu’elle désirait, dans la mesure où dans toute la ZAC ils vendent des m² de SHON. En plus de la difficulté de compréhension de ce mécanisme pour les personnes de l’association, la ville a accepté de vendre le sol afin d’assurer la poursuite du projet (et non son blocage) sentant l’importance pour l’association d’être propriétaire. Le bail emphytéotique est une solution préférée par certaines municipalités aussi parce qu’elle leur permet de garder une forme de contrôle. Elles espèrent ainsi garantir que la partie culturelle sera bien en effet réalisée, pouvant trouver que les associations cherchent délibérément à rester floues sur le programme. Un projet nouveau dans lequel la ville participe est donc aussi un moyen d’en savoir plus que lorsque les fidèles occupent des petits lieux informels. A l’inverse, l’achat assure justement une plus grande autonomie des associations vis-à-vis des autorités locales, percevant de la méfiance dans cette volonté de la ville qu’elles associent à une forme d’ingérence…

Bref, la méfiance est réciproque67. Un architecte raconte : « Au début c’est très très confus, on fait encore des réunions à l’asso avec une quarantaine, une soixantaine de personnes, donc extrêmement compliqué à gérer. Parce que aussi je pense au départ pas mal de méfiance, alors sûrement de part et d’autre, mais, d’incompréhension, de méfiance, de toute façon impossible de statuer sur des décisions parce qu’à une centaine de personnes, c’est juste pas possible ». Rumeurs, incompréhensions participent ainsi largement à complexifier les débats et les prises de décisions. Les rapports s’entament d’ailleurs plutôt d’emblée sur de la méfiance influençant la suite des négociations. La réputation de L’AIOF par exemple, qui puise sa doctrine dans les Frères Musulmans, est mentionnée par l’urbaniste quand elle revient sur le déroulé très conflictuel de ce projet pour elle. Ainsi le caractère spécifique de ce type de projet conduit à redoubler la vigilance, et chaque étape validée fait gagner en confiance mutuelle les protagonistes. Tous les aspects juridiques, administratifs tendent à être perçus par les fidèles comme des raisons de faire le projet de mauvais gré, de chercher à le ralentir. Du fait d’une méconnaissance au départ de l’ensemble des contraintes administratives, le refus d’un permis de construire, l’obligation de prier dans un bâtiment qui respecte les normes peuvent être interprétés comme des formes de rejet. Dans le cas de terrain inclus dans des projets urbains ces enjeux ressortent. Pour le projet de Malakoff la suspicion est d’autant plus complexe à éviter que le tracé d’une nouvelle voie passe sur le terrain de l’actuelle mosquée, obligeant de fait à ce qu’elle soit démolie et donc l’association à s’engager dans une construction. Du côté des villes, la teneur du programme du centre culturel est entourée de suspicion, alimentée par la peur notamment que se mettent en place des activités culturelles mettant les villes qui subventionnent en défaut vis-à-vis de la loi, voire des écoles coraniques. Mais c’est surtout le fonctionnement des associations qui rend difficile pour les acteurs des villes de faire les projets en confiance. La situation interne des associations, on l’a évoqué, est assez mouvante. Les remplacements de présidents viennent fréquemment annuler les décisions qui semblaient avoir été validées et remettre en cause la nature du projet, et ce jusqu’au dernier moment. Pour le projet de Malakoff, suite au choix du terrain, il y a eu une consultation de plusieurs architectes comme le demande la procédure et le choix d’une équipe de maîtrise d’œuvre. Au moment des élections le président est remplacé, le programmiste et l’architecte sont écartés, et l’agence Laïdi Chataignier est engagée. Pour l’urbaniste, il lui sera difficile de ne pas interpréter ces faits comme ayant été

calculés ou préparés étant donné que l’architecte qu’elle considère comme « imposé » est pour elle musulman.

On perçoit comment des peurs préalables participent de la manière d’interpréter ce qui se déroule. De fait, et on peut le comprendre, les villes souhaitent avoir à faire à des partenaires stables et légitimes pour négocier, c’est-à-dire qui aient été élus et soient représentatifs de la base des fidèles68. Les changements de leadership inquiètent, complexifient les décisions. Pourtant on pourrait voir aussi dans ces changements de présidents comme le signe d’une richesse associative où les membres exercent leur pouvoir. La défiance ne se joue en tout cas pas seulement entre associations et villes, car ces revirements associatifs sont aussi souvent le fruit d’une absence de confiance des fidèles entre eux et en leurs leaders. A Angers, le président – remplacé - est accusé d’avoir détourné les fonds de l’association (ou de ne pas savoir gérer la comptabilité) et est poursuivi en justice, d’où le retard pris par le projet. Les villes également doivent faire face à une défiance élargie, c’est-à-dire celles des riverains, celles des promoteurs ou d’autres acteurs. A Angers à nouveau, il y avait des retours négatifs des promoteurs sur l’existence d’une mosquée sur le Plateau des Capucins au moment de la commercialisation des premiers îlots, à Malakoff la chargée de projet du GPV se demande au moment de lancer la consultation pour la parcelle mitoyenne de tertiaire comment vont être les réactions… Les villes sont obligées de prendre un certain nombre de garanties sur ces projets qui sont toujours juridiquement « blindés » comme manière de caler les choses avec les associations (par exemple inclure une clause dans l’acte de vente des terrains qui autorise un délai pour réaliser le centre culturel mais la reprise du sol s’il ne l’est pas), mais aussi d’assurer la bonne fin du projet, plus facilement attaqué que d’autres. La confiance doit se produire et le droit est un des outils essentiels69. La question du temps est également importante. Si le temps long peut être un facteur de risque (cf. ci-dessous), il est aussi un temps nécessaire à cette production d’une confiance mutuelle. « C’était un partenariat à trois [architecte, association, ville] très solide parce que à aucun moment y a eu défection d’une des trois parties sachant que la base était vraiment la confiance… Puisque chacun jouant sa partie jusqu’au maximum de ses possibilités en comptant vraiment sur le tiers pour que il puisse équilibrer les choses, et bon an mal an le chantier avançait comme ça, donc nous on a eu un soutien énorme de la mairie avec un engagement indéfectible sur le sujet, objectif la réalisation concrète et réelle de la mosquée et du centre culturel ». Les acteurs parlant de manière positive de leurs participations à ces projets insistent tous sur le fait qu’ils ont « travaillé en confiance » tout en mentionnant d’avoir fait un peu différemment, d’avoir eu plus de souplesse. Cheminer ensemble sans conflit majeur bloquant le projet vient révéler à la toute fin qu’on s’est en effet fait confiance. « La confiance s’est faite au fur et à mesure des réalisations et là y’a une confiance qui s’est établie et vraiment sur la dernière année, on sentait une compréhension, et un enthousiasme, une réelle compréhension de ce qu’on avait essayé de mettre en place » explique un architecte. A l’inverse, les conflits dans le cours des projets nous ont souvent été expliqués par des questions d’individus, de personnalités. Mais il ne faut pas sous évaluer non plus la méconnaissance de ce culte qui complexifie l’instauration de ce rapport de confiance. Ainsi, des acteurs des villes expliquent la nécessité de redire à leurs services ou élus qu’accepter un permis de construire pour un bâtiment cultuel n’est pas interdit par la laïcité ou renvoyer au fait qu’afficher trop ouvertement ses convictions laïques quand on est fonctionnaire peut s’apparenter à un non respect de la laïcité. La méconnaissance des institutions républicaines est aussi un facteur explicatif.

68 Pour évoquer ce point Mr Auxiette utilise la comparaison avec le modèle des syndicats.

69 cf. Bourdin, A., Lefeuvre M.-P., Mélé P. (dir.) Les règles du jeu urbain, entre droit et confiance, Descartes et Cie, 2006.

On remarque alors l’importance d’une position (ou doctrine) claire et partagée de la mairie sur la question du religieux. Ce sont dans des villes comme Saint-Nazaire que l’obligation légale de respecter le nombre maximum de personnes dans les locaux, on l’a déjà évoqué, tend à être interprétée comme une forme d’oppression ou de discrimination (alors que de fait cela est dangereux et peut conduire le maire en toute légalité à interdire la pratique du culte)70. On observe d’ailleurs que la difficulté durable à établir des relations de confiance entre villes et associations – quelle qu’en soit la raison de départ - confère à ces villes des réputations71 qui tendent à donner de la vigueur au militantisme associatif entraînant comme à Saint Nazaire un fonctionnement en réseau afin de gagner en visibilité et efficacité, ou bien à Rezé, une radicalisation intégriste. Il arrive que des attitudes de fermeture se construisent en miroir.