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Chapitre 2: Approche fonctionnelle

3- Conditions d'enseignement

L'approche fonctionnelle pose en principe que l'apprentissage d'une compétence communicative étrangère relève de l'auto-structuration de matériels verbaux et non verbaux. L'apprenant se construit des règles afférentes au code et à son emploi par la découverte et l'expérimentation de leur fonctionnement (analyse des données, élaboration d'hypothèses, tâtonnements). Elle considère que l'acquisition du savoir nécessite la représentation intellectuelle de la tâche à accomplir, ce qui l'amène à privilégier la réflexion par la pratique d'exercices dits de conceptualisation (où l'enseigné doit découvrir lui-même les règles de fonctionnement de la langue), à solliciter prioritairement la créativité et à mettre en œuvre une pédagogie de découverte centrée sur

l'apprenant. Une grande place est accordée au travail d'observation, de réflexion, d'explication sollicitée; la

recherche de l'interaction au sein du groupe en formation est constante. Cette réhabilitation du «mentalisme» pousse à la compréhension de la façon dont chaque apprenant, selon ses capacités personnelles, appréhende, manipule, ordonne les informations qu'il reçoit de façon à adapter les stratégies d'enseignement à ses stratégies d'apprentissage. L'erreur est considérée comme faisant partie du processus normal d'acquisition: elle permet à l'apprenant de vérifier la consistance des hypothèses qu'il forme sur le système de la langue et d'en avancer d'autres. Dans le domaine de l'estimation des savoirs, l'évaluation est à sa charge: saisie par l'apprenant des moyens de se situer, elle lui permet d'appréhender ce qui lui manque pour réaliser tel type de tâche communicative. Les situations pédagogiques sont adaptées au mode d'existence et aux besoins à court terme des demandeurs, calquées sur ce qui les attend à la sortie du cours ou à l'issue de la formation. Situation et dialogue ne sont plus imposés : le demandeur est, au contraire, encouragé à les produire lui-même, tout comme il est encouragé à fournir lui-même les documents authentiques sur lesquels il travaille afin d'assurer un maximum d'intérêt, donc d'impact aux documents en question.

Cette approche a provoqué un déblocage dans la didactique des langues de ces vingt dernières années. Constitue-t-elle une nouvelle méthodologie de l'enseignement des langues? Malheureusement elle s'appuie sur des concepts encore mal maîtrisés théoriquement et pratiquement (Roulet 1980)(98). Elle ne pose guère de problèmes nouveaux et n'apporte pas de solution à ceux sur lesquels la didactique des langues s'interroge habituellement: problème de la progression linguistique, problème de la conservation des acquis, problème des techniques utilisées, qui sont souvent vieillottes. Alors qu'elle prétend répondre aux besoins de chaque apprenant, elle n'a pas élaboré d'instruments permettant à la fois un travail collectif en classe et des cheminements individualisés. S'intéressant d'abord à l'environnement extérieur à la classe (environnement qui, certes, la conditionne et l'influence), elle s'est désintéressée de ce qui constitue l'objet central de la didactique des langues: savoir ce qui se passe ou qui peut se passer dans une classe de langue en s'appuyant sur les aptitudes des apprenants.

Les méthodes diffèrent beaucoup dans leur présentation théorique et beaucoup moins dans la pratique réelle de la classe. Le résultat ne dépend que très peu des fondements théoriques de la présentation, mais beaucoup des conditions d'enseignement et de la compétence du professeur. Et l'approche fonctionnelle paraît exiger beaucoup de compétence du professeur de langue: une solide formation en animation de groupe, une meilleure compréhension des stratégies d'apprentissage de l’individu, une connaissance approfondie des divers niveaux de langue,

«qu'il réapprenne à faire un plan de cours, à élaborer et à expliciter des objectifs de comportement, à

constituer de sa propre initiative le contenu linguistique de son cours, et à inventer au besoin les techniques d'enseignement appropriées à chaque contenu»

(Germain 1976)(99).

Elle exige l'émergence d'un type nouveau d'enseignant: un professeur-chercheur contraint chaque fois de combiner de façon nouvelle certains outils méthodologiques par un va-et-vient incessant entre sa pratique de classe et une formation théorique permanente, capable d'une grande quantité de travail en coordination avec une équipe de collègues et faisant preuve d'une disponibilité constante. Somme d'exigences qui dessinent en creux le portrait d'un maître vraisemblablement peu répandu; on peut se demander s'il est possible - et même souhaitable - de créer les conditions objectives de son apparition.

(98)

Roulet, E., 1980, « La porte ! » ou l’irruption de la pragmatique linguistique dans la didactique du français, Galisson, R. Ed. « Lignes de force du renouveau actuel en didactique du français langue étrangère », Paris, CLE International (pages 101-114).

(99)

Germain, C., 1976, « L’enseignement individualisé, l’enseignement par objectifs de comportement et la formation des professeurs de langue» , dans Actes du 3e colloque international SGAV, Paris, Didier (page 26).

Chapitre 3

L'enseignement de l'oral: un domaine

problématique

Parler, lire, écrire, compter: tels sont les objectifs le plus souvent retenus pour l'enseignement primaire. Le consensus est important autour de ces quatre compétences, mais force est de remarquer que la part laissée dans le système éducatif à chacune de ces quatre disciplines est loin d'être égale. Si lire et compter ont toujours été les clefs de voûte de l'enseignement primaire, les pratiques d'écriture, longtemps renvoyées au domaine du talent ou du don, ne font que depuis peu l'objet d'un enseignement systématique. Quant aux activités orales, en dépit d'intentions périodiquement réaffirmées, il faut bien reconnaître que leur part dans les apprentissages est souvent réduite à la portion congrue.

Apprendre à parler à l'école comme on apprend à écrire, comme on apprend à lire: ce possible? Est-ce seulement souhaitable? Est-Est-ce tout simplement utile, attendu qu'on apprend à parler dans beaucoup d'autres circonstances qu'à l'école? Autant de questions auxquelles nous allons délibérément répondre par l'affirmative.

1-Un enseignement aujourd'hui nécessaire:

En effet, il est important aujourd'hui d'apprendre à parler le français de la même façon qu'on apprend à lire, à écrire et à compter. Le temps où les enfants entraient à l'école en ne connaissant pas le français, langue pour eux étrangère au milieu familial où régnait une langue maternelle, ne serait-il pas définitivement révolu? Quelle que soit la réponse apportée à cette question, celle de l'enseignement des compétences orales de communication n'est pas résolue pour autant. Elle s'en trouve peut-être même rendue plus complexe, en ce sens que les repères sont brouillés par rapport à une époque où la nécessité d'apprendre le français dans toutes ses dimensions, orale y compris, était plus évidente. A cette objection, nous commencerons donc par répondre à l'aide de deux remarques:

Les apprenants ne connaissent pas le français, ils connaissent du français: c'est à dessein que le partitif est employé, pour montrer que la compétence n'est jamais totale, et que, chez les locuteurs de langue maternelle, des niveaux différents existent qui légitiment à eux seuls l'idée d'un enseignement de la langue - de certains de ces aspects du moins - à des natifs;

- «parler le français», au sens courant du terme, ne signifie pas forcément savoir en faire un usage approprié dans toutes les situations de communication; combien d'adultes ne savent pas communiquer avec aisance ou pertinence en dehors des quelques situations de communication qui font leur quotidien?

L'école accomplit-elle sa mission, qui est de fournir à chacun les moyens d'exercer pleinement sa citoyenneté, quand elle n'apprend pas aux enfants à mieux parler, ou qu'elle le fait de manière trop restrictive, marquée par des modèles qui ne posent pas correctement la question des apprentissages oraux ?

2- Un enjeu social important:

Les travaux des anthropologues et ethnographes de la communication montrent que bien communiquer suppose la maîtrise de paramètres que, le plus souvent, nous ne percevons pas, immergés dans notre propre culture, et dont nous faisons l'apprentissage de façon naturelle, par imitation des personnes de notre entourage. Mais tous les apprenants ont-ils la possibilité d'apprendre ces règles par imprégnation? Nous ne le pensons pas, compte tenu de plusieurs faits :

- déficience des adultes, du fait des changements dans la structure de la famille, dans le domaine de la transmission des modes culturels et des valeurs;

- exposition par la télévision à des modes de communication souvent étrangers et mettant en scène le plus souvent des rapports conflictuels entre les individus.

L'école ne peut pas, nous semble-t-il, continuer à laisser les apprentissages des compétences orales de communication au hasard des contextes sociaux. Ce serait contribuer à creuser encore des écarts d'origine sociale.

À cet égard, A. Bentolila(100), dans un article intitulé "Les faux-semblants du français branché" exprimait le souhait que:

«l'on aide les individus, les jeunes notamment, à sortir de leurs usages minimaux du langage oral, forgés «dans un milieu restreint, peu exigeant et peu motivant [qui] ne s'est pas doté de moyens propres à véhiculer le sens au-delà de la connivence et de la familiarité».

A. Bentolila situe les enjeux à un niveau social, faisant le lien entre usages insuffisants du langage et comportements de violence.

(100)

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