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Conclusions et perspectives de recherche

La mesure des performances économiques à partir d’indicateurs basés sur les coûts et revenus d’exploitation ne sont valides que pour la courte période. Dans ce cadre, le coût d’usage et le coût d’opportunité du capital sont exclus de l’analyse. Cela n’enlève en rien la pertinence d’une évaluation des performances économiques des flottilles de pêche. Il est même recommandé de procéder à un examen détaillé de la situation économique, en termes de création de richesse brute, selon des critères techniques (indiquant la capacité potentielle de pêche) et géographiques (considérant les distances parcourues par les unités de pêche). Ce dernier critère renvoie notamment à des notions fréquemment employées dans les politiques de gestion des ressources halieutiques reconnaissant l’importance et la fragilité des zones côtières. Ainsi, il a pu être démontré, dans le cas des flottilles artisanales bretonnes, que la composante côtière contribue le plus fortement à la création de valeur ajoutée. Les performances économiques des navires côtiers soutiennent la comparaison avec celles des navires hauturiers tel que la prise en compte de la durée d’utilisation des facteurs de production (productivités journalières ou horaires) atténue, voire inverse la tendance à l’accroissement de la productivité du travail avec l’échelle de production. La notion de performance peut être abordée également par une mesure physique des capacités de production, sans tenir compte des coûts d’exploitation. Il s’agit alors d’identifier les unités de production présentant, au moins à court terme, un excès de capacité. La méthode DEA offre un intérêt indéniable, ne nécessitant pas de données économiques détaillées par éléments de coûts. En revanche, les résultats produits ne convergent pas nécessairement avec des indicateurs de performance déduits de source comptable. Un inconvénient majeur du modèle DEA est d’ignorer les facteurs cachés de l’efficacité, liés aux effets d’expérience des équipages. Ces facteurs cachés sont à l’origine de rentes infra-marginales pouvant expliquer que des navires efficaces du point de vue de l’approche non-paramétrique (DEA) ne le sont pas systématiquement du point de vue d’indicateurs économiques de source comptable, et réciproquement.

La construction d’indicateurs de performance économique de long terme (Le Floc’h et al., 2006) a mis en évidence des écarts significatifs sur le résultat courant, soit la rémunération nette de l’entrepreneur. Le moteur de l’investissement réagit nécessairement aux mesures fiscales en vigueur. Celles-ci sont suffisamment fortes pour rendre exceptionnel un amortissement linéaire correspondant au cyle de vie du navire dans l’approche comptable. En effet, une dépréciation accélérée du capital physique permet de dégager une plus-value en cas de revente de l’outil de production. Un résultat surprenant tiré du modèle économétrique appliqué sur des données de panel oppose l’âge du propriétaire et celui du navire. Un entrepreneur en fin de carrière, embarqué sur un navire de 16-20 mètres, consacre une part plus élevée de ses moyens de financements aux dépenses de maintenance par rapport à un entrepreneur en début de carrière. On peut supposer que les pêcheurs en fin de cycle de vie professionnelle sont embarqués sur les unités de pêche en début de cycle. Cette hypothèse, qui reste à vérifier, soulève à l’évidence de profondes interrogations quant à l’attractivité du secteur réservant les moyens de production les plus obsolètes aux plus jeunes entrepreneurs. Il semble en revanche plus pertinent d’expliquer ces résultats en fonction du régime fiscal. Enfin, la mobilité des acteurs a été appréhendée par le désinvestissement, permettant de construire le cycle de vie des unités de production. La déconnexion entre le rythme fiscal du capital à la pêche et la durée d’utilisation moyenne est flagrante, laissant supposer que le comportement d’investissement et de désinvestissement ne répondent pas uniquement à des objectifs purement économiques mais également à des considérations fiscales.

Les perspectives de recherche sont naturellement nombreuses et ne se limitent pas aux interrogations posées dans ce rapport. Notamment, d’autres travaux passés ou en cours, non rapportés dans cette thèse, concernent l’impact du changement climatique sur les pêcheries [1], [2], [3], ou la valorisation des sous-produits de la mer [13]. Néanmoins, on peut dégager trois grandes questions de perspectives de recherche résultant des travaux décrits.

Question 1 – Comment définir une approche multi-critère permettant de mieux appréhender la performance économique et financière des entreprises de pêche ? Si le recours à une approche multi-critère (construction de modèles économétriques adaptés aux sources d’informations économiques disponibles ou mise en oeuvre de modèles non paramétriques tel que le modèle DEA) ne peut que renforcer les connaissances du secteur étudié, la mise en œuvre d’une telle approche se heurte à la difficulté d’accès à l’information économique. Ceci est encore plus

vrai si l’on étend l’analyse à la longue période prenant en compte le capital (bien hétérogène par nature48).

Question 2 – Comment identifier les navires les moins efficaces et les unités les plus performantes dans une situation hypothétique de partage individuel du droit d’accès à la ressource ? En effet, le mode d’administration collectif des quotas de poissons, lorsque ceux-ci sont fortement réduits, pose à la fois le problème de l’efficaceux-cité économique (les plus performants pourraient l’être davantage dans un système individualisé) et de l’équité (les navires les moins puissants offrent également moins de résistance dans un système collectif de droit de pêche).

Question 3 – Comment évaluer l’effet d’un régime fiscal dérogatoire appliquable au stock de capital existant ? En effet, la seule reconnaissance administrative du droit de pêche (par l’obtention d’un Permis de Mise en Exploitation dans le cas français) entrave la séparation du capital physique (amortissable) et du capital naturel (non-amortissable) du point de vue économique. Les principaux effets constatés sont d’une part une forte augmentation du prix des navires d’occasion en période de gel des constructions neuves, et un effet d’aubaine au profit des propriétaires (par la création d’une forte plus value avec effet d’atténuation de la taxe en cas de réinvestissement dans le même secteur).

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Un détour par la théorie économique du capital s’avère nécessaire tant les travaux théoriques ont alimenté un riche débat toujours d’actualité (Robinson, 1953-1954 ; Sraffa, 1960 ; Samuelson, 1962). C’est d’ailleurs avec beaucoup d’humour que Samuelson reconnaît, à propos du débat sur le retour possible des techniques, que les anciens paradigmes en économie ne sont jamais définitivement enterrés [interprétation personnelle] « If all this

causes headaches for those nostalgic for the old time parables of neoclassical writing, we must remind ourselves that scholars are not born to live an easy existence. We must respect, and appraise, the facts of life (Samuelson, 1966, p583) ».