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Conclusions et perspectives

Cette étude s’inscrit dans le cadre du développement d’une nouvelle génération de réacteurs nucléaires, et plus particulièrement les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium (RNR-Na). Les aciers renforcés par une dispersion d’oxydes nanométriques, aciers ODS, sont envisagés comme matériaux de gainage du combustible pour ces réacteurs.

Plusieurs nuances d’aciers ODS ont été largement caractérisées lors de cette étude : des nuances avec 9% et 14% de Cr consolidées par filage et des nuances dites modèles, plus simples, consolidées par compaction isostatique à chaud (CIC) l’une avec renforts, l’autre sans renfort. L’objectif de cette étude était de comprendre les mécanismes de plasticité de ces matériaux, en traction et en fluage, notamment aux températures d’emploi envisagées pour le gainage (autour de 650°C). Pour y répondre, une piste envisagée a été de déconvoluer les paramètres microstructuraux afin d’appréhender leurs effets. Les matériaux ont été analysés par une approche multi-échelles.

Tout d’abord, leur microstructure a été caractérisée finement. Les aciers ODS filés à 14% de Cr présentent une forte texture morphologique couplée à une texture cristallographique : leurs grains sont fins et très allongés suivant la direction de filage. De par le mode de mise en forme, ils sont très écrouis, d’où une forte densité de dislocations. Enfin, leur matrice est renforcée par des nano-oxydes finement dispersés dans la matrice (du nanomètre à la centaine de nanomètres) et répartis de façon homogène. Les nuances à 9% de Cr ont des caractéristiques très proches, excepté les textures : leurs grains sont équiaxes, et ils ne présentent pas d’orientation cristallographique préférentielle. Les nuances à 14% de Cr modèles diffèrent des matériaux filés de par leurs grains qui sont plus gros et équiaxes et leur densité de dislocations qui est moindre.

Puis, de nombreux essais mécaniques ont été réalisés en traction et en fluage. L’influence d’un grand nombre de paramètres tels que la température, la vitesse de sollicitation, la contrainte appliquée, a été étudiée. Le comportement est sensiblement le même pour toutes les nuances renforcées. On constate une chute de la limite d’élasticité à partir de 400°C, ainsi qu’une diminution de l’allongement total. Les nuances à 14% de Cr filées présentent une forte anisotropie de leurs propriétés mécaniques suivant la direction de sollicitation. Un pic de ductilité ainsi qu’un pic de viscosité sont observés : la sensibilité de la contrainte à la vitesse de sollicitation est très importante dans une gamme de température réduite autour de 600°C. Cela peut être induit par du vieillissement dynamique. Le rôle durcissant des nano-renforts a également été mis en évidence au cours des essais mécaniques en traction et en fluage : les aciers renforcés ont une meilleure résistance mécanique quelle que soit la température, leur résistance en fluage est accrue ; plus particulièrement les nuances à 14% de Cr filées ont une meilleure tenue en fluage en sens long, surement induite par la texture morphologique de leurs grains. Cependant, toutes les nuances renforcées ont un allongement à rupture plus faible ainsi qu’une vitesse de fluage secondaire moindre. Les exposants de contraintes sont élevés (> 10) pour toutes les nuances, même celle sans renfort. Ainsi, l’absence de fluage tertiaire des aciers ODS et leur faible déformation à rupture seraient liée à la présence des renforts. En revanche, les forts exposants de contrainte ne seraient pas dus aux renforts.

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Les observations in situ de la déformation ont également mis en avant une évolution du comportement : un mouvement saccadé des dislocations, ainsi que d’importantes interactions entre dislocations et précipités ont été observés à basse température et jusqu’à 400°C. Les dislocations bougent essentiellement à l’intérieur des grains. Au-delà, les mouvements deviennent visqueux, et ils ne sont plus confinés à l’intérieur des grains : des sources de dislocations intergranulaires ont été largement observées à proximité des joints de grains. Le franchissement des dislocations par les précipités semble également facilité à plus haute température. Par ailleurs l’existence simultanée de mouvements de dislocations lents et rapides suggère l’existence d’un domaine de températures où du vieillissement dynamique contrôle la plasticité, à plus haute température, les solutés sont alors trainés par les dislocations. L’observation post mortem de l’endommagement suggère elle aussi qu’à basse température et vitesse de sollicitation élevée des mécanismes intragranulaires interviennent, tandis qu’à haute température, l’endommagement se fait essentiellement au niveau de joints de grains, avec notamment de nombreuses porosités alignés suivant ces joints. La diminution du coefficient de striction permet d’expliquer la diminution de la ductilité avec la vitesse de sollicitation en traction, ou la contrainte en fluage.

L’évolution du comportement et de l’endommagement avec la température conduit à séparer les mécanismes en deux catégories : ceux qui contrôlent la déformation et l’endommagement à basse température et ceux qui les régissent à haute température. Une concordance des phénomènes aux différentes échelles a été observée. Il existe donc une compétition entre un mécanisme intragranulaire et un mécanisme intergranulaire. Le mécanisme intergranulaire, qui est plus thermiquement activé, favorisé à basse vitesse et haute température, peut expliquer la perte de ductilité en traction à vitesse lente ainsi que l’absence de fluage tertiaire en fluage à basse contrainte.

Même si les matériaux modèles, plus complexes qu’espéré, n’ont pas permis de complètement isoler l’impact d’un paramètre microstructural vis-à-vis d’un autre, il ressort tout de même que la précipitation renforce nettement le matériau. Le rôle des renforts est confirmé en traction (à basse température surtout), et en fluage. A haute température, le durcissement est moindre car il y a une forte activation thermique du franchissement, comme on a pu le voir en MET in situ. Malgré tout, les mécanismes de plasticité ne semblent pas si différents entre la nuance renforcée et celle non renforcée. Est-ce dû à la présence non désirée de nanoparticules dans cette dernière ? Pour continuer à déconvoluer les paramètres microstructuraux, d’autres matériaux modèles sont à l’étude. Il serait intéressant de réussir à élaborer un matériau sans renfort avec une taille de grain nanométrique, une densité de dislocations équivalente à celle des nuances filées, mais cela ne s’est pas avéré réalisable pour le moment. A défaut, des observations MET in situ sur un alliage Fe-14Cr vraiment sans nano-renfort permettraient d’affiner le rôle des renforts sur la plasticité. Un matériau avec une taille de grains bien plus élevée serait aussi intéressant pour évaluer l’effet Hall-Petch sur l’endommagement.

Les observations in situ de la déformation n’ont été faites que jusqu’à 600°C. Des analyses à plus haute température pourraient permettre de comprendre ce qui se passe au-delà, et de confirmer les mécanismes intergranulaires à ces hautes températures.

Enfin, des modélisations plus poussées, prenant en compte l’évolution des mécanismes avec la température, avec une transition entre un caractère majoritairement intragranulaire et un caractère

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majoritairement intergranulaire, et la dynamique des dislocations par exemple pourraient apporter des éléments de compréhension sur le comportement des matériaux ODS.

La thèse que va débuter Mickaël Dadé au LA2M (CEA) vise à explorer ces pistes entrouvertes sur la plasticité des aciers ODS.

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