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297. Dans la recherche de l’excès de pouvoir, l’office des juges constitutionnel et

administratif français, en tant que fonction, diffère. Cette différence du contrôle de constitutionnalité des lois par rapport au contrôle de légalité des actes réglementaires, si elle résulte des conditions dans lesquelles les juges constitutionnel et administratif français sont appelés à examiner la régularité d’un acte juridique, est entretenue par les conditions de la régularité des actes juridiques, ses éléments.

298. Cette différence de fonction des juges constitutionnel et administratif français dans la

recherche de l’excès de pouvoir résulte de leur différence de position institutionnelle. Le premier, juge du législateur depuis 1958, s’inscrit essentiellement dans une démarche d’équilibre des pouvoirs, tandis que le second, juge de l’administration depuis plus de deux siècles, apparaît davantage comme son tuteur. Une telle différence de situation de ces deux juges dans le paysage institutionnel et historique fait naître un rapport avec l’État qui n'est pas de même nature, les exigences de « l’État légal » étant plus fortes que celles de « l’État constitutionnel ». Cette différence de fonction permet de formuler l’hypothèse selon laquelle la nature du contrôle de constitutionnalité des lois serait différente de celle du contrôle de légalité des actes réglementaires. Traditionnellement, le contrôle de constitutionnalité des lois et le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires s’analysent comme des contrôles abstraits exercés dans le cadre de contentieux objectifs. Cela signifie que, dans ce cadre, le juge est confronté à la simple question de la compatibilité d’un acte juridique de portée générale à des normes supérieures auxquelles il est assujetti. Dans l’absolu, cette analyse est exacte, dans la mesure où ces contrôles ont pour objet l’établissement par le juge d’un rapport de « norme à norme ».

299. Cependant, la relativité des concepts de « contrôle abstrait » et de « contentieux

objectif » permet de mettre en lumière différents degrés dans la nature du contrôle de régularité des normes juridiques. Celui-ci oscille entre deux « idéaux-types » : celui d’un contrôle purement abstrait exercé dans le cadre d’un contentieux purement objectif, contrastant avec celui d’un contrôle concret et/ou d’un contentieux subjectif. Sur cette échelle, le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires apparaît non seulement comme plus concret, mais également comme plus subjectif que le contrôle de constitutionnalité des lois.

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300. La pertinence de cette analyse théorique – et donc la divergence des techniques de

contrôle qui en découle – va pouvoir être mesurée à travers la comparaison des procédés utilisés pour rechercher l’excès de pouvoir, grâce à l’outil que constitue la théorie des éléments de l’acte juridique. En effet, cet instrument d’analyse est composé non seulement d’éléments se rattachant à la dimension abstraite et objective traditionnellement caractéristique des principes de constitutionnalité et de légalité, mais également d’éléments s’en détachant, pour s’inscrire dans une perspective plus concrète et/ou plus subjective.

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Titre 2 – La divergence des techniques des juges constitutionnel et

administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir

301. En tant qu’ensemble de techniques mises en œuvre par les juges constitutionnel et

administratif français pour accomplir une fonction, la recherche de l’excès de pouvoir s’analyse en un certain nombre de procédés divergents.

La divergence des techniques des juges constitutionnel et administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir est la conséquence nécessaire de la différence de leur fonction de contrôle précédemment décrite766. En effet, dans la mesure où ils examinent la régularité d’actes juridiques dans des conditions différentes, tant inhérentes à la hiérarchie des normes et des organes que procédurales, le contrôle qui en découle est nécessairement divergent. Il l’est d’autant plus que la régularité d’un acte juridique n’est pas une et indivisible, mais plurielle, séparable et composée d’éléments multiples. Comme nous l’avons montré, ces conditions différentes sont globalement favorables à la recherche de l’excès de pouvoir administratif, par rapport à celle de l’excès de pouvoir législatif. Il s’ensuit que la divergence des techniques des juges constitutionnel et administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir est logiquement orientée vers un contrôle plus approfondi de l’excès de pouvoir réglementaire (Chapitre 1).

302. Cependant, cette logique d’un contrôle plus approfondi de l’excès de pouvoir

réglementaire est, pour certains vices susceptibles d’affecter la régularité des actes juridiques, renversée par la spécificité du « rapport de constitutionnalité ». En effet, la spécificité du « rapport de constitutionnalité », particulièrement celle de la norme constitutionnelle-paramètre du contrôle, signifie que celle-ci est dotée d’un certain nombre de propriétés qui ont pour effet de diriger le contrôle de constitutionnalité des lois dans un sens particulier. Ainsi, la Constitution est, tout d’abord, une règle de procédure. Elle détermine, ensuite, la répartition des matières entre le domaine de la loi et celui du règlement. Elle garantit, enfin, le respect de droits et libertés fondamentaux que le législateur doit concilier dans l’accomplissement de sa mission, soit entre eux, soit avec d’autres objectifs d’intérêt général. Il résulte de ces trois propriétés de la norme constitutionnelle que le contrôle de constitutionnalité des lois est orienté dans les trois directions correspondantes, celles des contrôles des vices de la procédure législative, des incompétences négatives du législateur et de la proportionnalité interne de la

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loi. C’est ainsi que la divergence des techniques des juges constitutionnel et administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir tend exceptionnellement vers un contrôle plus poussé de l’excès de pouvoir législatif (Chapitre 2).

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Chapitre 1 – Une divergence logiquement orientée vers un contrôle plus

approfondi de l’excès de pouvoir réglementaire

303. En règle générale, le contrôle de l’excès de pouvoir réglementaire est plus approfondi

que celui de l’excès de pouvoir législatif. Ce caractère normalement plus approfondi du contrôle de légalité des actes réglementaires par rapport au contrôle de constitutionnalité des lois résulte de la différence des conditions dans lesquelles les juges constitutionnel et administratif français sont appelés à examiner la régularité d’un acte juridique767. Parmi elles, les conditions inhérentes à la hiérarchie des normes et des organes structurent l’office des juges constitutionnel et administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir. En effet, parce que le juge administratif intervient à un niveau inférieur dans la hiérarchie des normes et des organes, son contrôle est logiquement plus approfondi.

304. Comme le soulignait le doyen Vedel dans son étude pionnière, un tel

approfondissement « se rapporte à la variété et à la densité des exigences des normes de référence »768. Précisément, l’approfondissement supérieur du contrôle de légalité des actes réglementaires opéré par le juge administratif par rapport au contrôle de constitutionnalité des lois exercé par le juge constitutionnel signifie tant que sa technique de contrôle est plus variée, mais également qu’elle est plus dense. Plus variée, la technique de contrôle du juge du règlement l’est dans la mesure où il contrôle certains vices non contrôlés par le juge de la loi (Section 1). Plus dense, elle l’est également en ce que, pour les vices contrôlés des deux côtés du Palais-Royal, le contrôle du juge administratif s’opère dans un cadre normatif plus riche que celui du juge constitutionnel (Section 2).

305. Cet approfondissement du contrôle, qui se décline entre sa diversification et sa densité

supérieure, s’apprécie toutefois nécessairement par rapport à la théorie des éléments de l’acte juridique retenue pour comparer l’examen de régularité des lois et des règlements. Or, comme toute théorie des éléments de l’acte juridique, celle choisie comporte des éléments qui se déclinent eux-mêmes en diverses modalités. C’est ainsi qu’un cas limite se présente pour les vices contrôlés des deux côtés du Palais-Royal, mais dont certaines des modalités ne le sont que par le juge du règlement. Ainsi en va-t-il de l’incompétence positive et de l’erreur de droit. Il en résulte que le contrôle de l’incompétence positive et de l’erreur de droit des 767 Voir supra, Titre 1, Chapitre 1.

768 VEDEL (G.), « Excès de pouvoir administratif et excès de pouvoir législatif (II) », C.C.C. 1997, n° 2, pp. 77-91 (p. 82).

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