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LES ENJEUX TERRITORIAUX DE DEUX SIÈCLES DE RECITS DE CRISE SUR LE MONTE URUGUAYEN.

CONCLUSION A LA PREMIERE PARTIE

Les avatars du thème de la crise durant la seconde moitié du XXe siècle : une double mutation

Le thème de la crise des forêts ne disparaît pas dans les années 1930. Au XXe siècle, il se maintient jusqu'à aujourd'hui d'une manière diffuse : c'est une idée établie que les forêts du pays sont les rescapées de plusieurs siècles d'abus d'exploitation. La faible production scientifique actuelle sur la question (Panario, 1994) et ce caractère diffus interdisent de constituer un corpus de documents tels que ceux que nous venons de présenter. Globalement, le récit de crise de la deuxième partie du XXe se caractérise par la mention fréquente et convenue d'une "dégradation" des forêts, généralement sans apports de données qui puissent lui servir de preuves. Il se caractérise également par les importations de plus en plus directes de références extra- territoriales: le récit de crise national se greffe ainsi au postulat d'une crise internationale de l'environnement. Enfin, apparent paradoxe, ce même récit est mobilisé par des acteurs en conflit entre eux : scientifiques, écologistes, entreprises sylvicoles internationales.

La "dégradation" comme modèle d'interprétation historique de l'évolution des forêts : l'apparition d'un récit rétrospectif

Dans les années 1980, on observe la structuration d'un récit rétrospectif, phénomène nouveau dans la région. Un récit rétrospectif porte un jugement sur une période passée de l'environnement, cette période étant étudiée afin d'expliquer l'apparition "d'anormalités" : son but est généralement d'expliquer l'état actuel de l'environnement, lui-même présenté comme anormal. Cette posture "historicisante" le caractérise par rapport aux récits que nous avons définis comme "contemporains", c'est à dire qui dénoncent un état anormal simultané au moment où est émis le jugement. La quasi-intégralité des documents étudiés dans les trois premiers chapitres constituent des récits contemporains240. Mais durant les deux dernières décennies du XXe siècle, la référence au passé devient un exercice obligé dans la déploration de l'état actuel des forêts. Le récit rétrospectif qui apparaît élabore un modèle d'interprétation historique de dégradation des forêts ; cette dégradation se décline en réductions de surface (dégradation présentée comme "quantitative") et en pertes d'attributs tels que la richesse spécifique ou la hauteur (dégradation "qualitative").

La réduction en termes de surface est présentée, depuis les premiers travaux élaborés dans un cadre universitaire sur la question, comme une évidence qui n'est pourtant jamais réellement chiffrée. Chebataroff (1942) indique à propos des "associations arborées et arbustives" que l'homme a "réduit assez [leur] extension, qui n'a jamais réussi à se reconstituer pleinement", affirmation qui sera reprise dans diverses publications des années 1980. Del Puerto apporte en 1987 une première estimation, selon laquelle la "végétation ligneuse" aurait pu occuper "plus de 25% de l'aire totale du pays", avant l'introduction de l'élevage. Il reconnaît que ce chiffre est "spéculatif", et apporte des arguments essentiellement qualitatifs, fondés sur une expérience

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A la notable exception de la plainte des vecinos de Chamizo (C91.29), où on brosse, en 1809, un tableau de l'évolution des forêts depuis la fondation de Montevideo en 1723.

d'ingénieur agronome ayant pratiqué la botanique. Son assertion est d'autant plus délicate qu'il distingue peu, dans cette "végétation ligneuse", ce qui relève du forestier, des buissonnaies, ou des formations intermédiaires. En outre, il s'appuie par extrapolation, 300 ans en arrière, de processus observés actuellement, tels que la croissance d'arbres au pied de clôtures entourées d'herbages241.

Les années 1980 sont celles de l'essor des préoccupations écologiques. A la crise des surfaces, s'ajoute désormais celle de l'ensemble de l'écosystème, pensée en terme de "dégradation". Les origines de cette position sont cependant techniques, et remontent aux années 1940, alors que, la seconde guerre mondiale ayant tari l'approvisionnement en pétrole du pays, les forêts furent intensivement exploitées. Quinteros & Caldevilla (1943), ingénieurs forestiers, indiquent que les circonstances de la guerre ont obligé à la consommation "disproportionnée" de bois et charbon, sans "technique rationnelle". C'est alors moins la coupe en soi qui est visée, que la façon dont elle est mise en œuvre, ainsi que le manque de contrôle242

, une position partagée et diffusée à l'époque243. Quarante ans après, les préoccupations des ingénieurs agronomes sont moins sylvicoles, et de plus en plus environnementalistes. Porcile (1985) en est un exemple : "la détérioration dont ont souffert [les forêts indigènes] tant en qualité qu'en termes de surface, a eu pour conséquence une altération du milieu reflétée directement ou indirectement par des processus érosifs de nature et d'intensité variées ; par des inondations et même par l'apparition de pestes végétales […]. On observe ainsi une agression soutenue et continue envers ce système et son caractère de ressource renouvelable…". Brussa (1989.a) se place également dans une perspective similaire : "il y a eu, sans aucun doute, une importante altération depuis l'introduction de l'élevage, qui a modifié la structure quanti et qualitative des forêts indigènes". L'ouvrage d'Evia & Gudynas (2002) résume à lui seul ce récit diffus, qui calque sur le pays une grille de lecture internationale, en ne fournissant que rarement les éléments permettant de mesurer l'état de l'environnement. Selon eux, "les différents types de paysages de l'Uruguay et leur diversité biologique sont soumis à divers impacts. Comme dans le reste de l'Amérique du Nord, les aires sylvestres [au sens de naturelles] se réduisent et l'extinction des espèce augmente". Les forêts font l'objet d'une "extraction excessive des ressources naturelles", par coupes sélectives, entraînant un appauvrissement en espèces (on ne sait exactement s'il s'agit de toutes les espèces, ou seulement des espèces ligneuses), et une augmentation de la fréquence et de l'abondance d'espèces d'arbres à faible valeur commerciale : Pouteria salicifolia dans les galeries, Myrsine spp. dans les sierras. Les lacs de barrage ont causé des ruptures de "corridos", ceux des galeries forestières, et beaucoup d'aires protégées présentent de "hauts niveaux d'altération". En bref, en Uruguay, il n'existe plus de "vastes aires vierges", mais des "rémanents insérés comme taches ou corridors dans les paysages anthropisés". Sous l'égide de l'Organisation des Etats Américains et de la

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Il appuie également son propos par citation d'un article de 1983 (Del Puerto & Ziliani), où il inteprète les forêts-parc à

Scutia buxifolia des collines de l'est comme la marque d'un processus de dégradation de forêts autrefois continues.

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Rubbo (1943), également ingénieur forestier et dans le même ouvrage, tient les mêmes propos : "Les prix exorbitants qu'ont atteint les combustibles importés (essence, kérosène, fuel-oil, charbon, etc.) nous ont obligé à user et abuser de nos forêts naturelles. Nous n'aurions rien à y redire, si ces forêts étaient protégées par des lois qui veillent à leur exploitation rationnelle, à leur conservation et à leur repeuplement, [...] mais malheureusement il n'en est pas ainsi, nos forêts ne sont presque pas protégées par les lois. C'est pour cette raison, pour que ne continue pas cette "razzia" forestière, sans pitié et inconsciente, que nous considérons que l'Etat doit prendre des mesures urgentes pour protéger la forêt, qui est source de richesse, vie, beauté, et symbole de civilisation".

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ARU.1942.N°7.28. La tala de nuestros montes. Ingeniero Gregorio Helguera.

Banque Interaméricaine de développement, le gouvernement avait élaboré en 1992 une "étude environnementale nationale". On y reprenait au niveau institutionnel l'idée dorénavant centrale que les forêts étaient "dégradées" ; en effet, le fait qu'à la fin des années 1980 la couverture forestière avait retrouvé son niveau d'avant les années 1940 était minimisé, puisqu'on postulait que les peuplements faisaient l'objet de coupes sélectionnant les meilleurs arbres, ce qui était néfaste pour le maitien de leurs qualités écologiques (OPP, 1992)244.

Le premier à synthétiser le récit de crise historique est Ricardo Carrere, dans une série d'études qui constitue le premier travail d'ampleur sur les questions forestières en Uruguay (1990.a-b-c et 1992.a-b). Il brosse une explication de l'évolution des forêts depuis l'arrivée des européens en plusieurs étapes245. (1) L’étape indigène, sans effet sur les surfaces forestières, n'aurait pas été marquée par l'utilisation du feu. (2) La colonisation du XVIIIe siècle a lancé le processus de coupe, par introduction du bétail d'abord, puis par développement des centres urbains246. (3) L’élément marquant du XIXe est l'introduction de la clôture de fil de fer dans les années 1880 : celle-ci permet le développement de l'élevage ovin (qui entraîne la "disparition de forêts qui sont coupées puis pâturées"), l'expansion agricole dans le sud et l'ouest du pays, une forte consommation de pieux, le stationnement du bétail dans les parcs247. (4) Au XXe siècle, la croissance urbaine, les deux guerres mondiales, la poursuite de l'expansion agricole et la création de plusieurs lacs de barrage sont les facteurs principaux de recul forestier.

Ces quatre étapes sont censées expliquer de façon historique tant l'émergence d'un état de crise ("dégradation"), que l'état actuel des forêts, jugé mauvais. Dans un opuscule de divulgation pour le grand public, ayant connu un grand succès, ce même auteur adopte une position qui correspond à sa fonction de militant écologiste international, en tant que directeur de l'ONG World Rainforest Movement. Il y insiste sur l'idée que le monte a subi et subit encore les effets néfastes de la coupe, de l'incendie, en somme des diverses "dégradations" que l'arrivée de l'homme blanc dans la région a inaugurées, idée qui pilote la plupart des analyses actuelles. Il développe tout au long de son troisième chapitre la liste et les modalités des atteintes au monte ("Le processus de déforestation et de dégradation du monte") : les formations uruguayennes trouvent de cette manière leur place dans le grand récit écologiste mondial sur la crise des forêts.

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"Si bien las 450.000 hectáreas que el bosque indígena ocupaba aproximadamente de acuerdo al último censo general (1986), eran las mismas que tres décadas atrás, en los hechos, la tala sostenida para leña, piques y postes presiona al recurso selectivamente sobre las especies de mayor desarrollo o edad, generando así un bosque cualitativamente diferente en su estructura y composición, dando lugar a un ecosistema menos diverso, cuyo regeneración por falta de masa crítica se va limitando. Lo que se desprende de la información censal disponibles es que el bosque natural se redujo en 80.000 hectáreas en términos absolutos entre 1937 y 1980. Si bien hubo importantes fluctuaciones en las décadas intermedias, en el último período censado (1970-1980) acusa una tendencia negativa del orden de las 35.000 hectáreas".

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1990c, p 32.

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La première évocation structurée de l'effet négatif du bétail sur les formations forestières que nous ayons relevée est celle de Quinteros & Caldevilla (1943) : "Cet équilibre de la forêt vierge riveraine ou collinéenne et de la steppe dominante a imprimé son orientation pastorale à notre économie. Cet état de choses a été rompu par cette même forme d'exploitation agraire. L'harmonie de régimes de la forêt a été transformée par des exploitations irrationnelles de l'homme, qu'a accentué le bétail. Les champs étant surchargés, et suite à des accidents climatiques du passé (comme la sécheresse de 1942-43), ne trouvant pas dans la steppe graminéenne l'aliment nécessaire, il est entré dans la forêt, pour y compléter l'oeuvre de l'homme, en mangeant les rejetons des meilleurs arbres coupés […]. Tel est désormais l'aspect de notre steppe ; des forêts de résistance, conséquence du climat et de la civilisation (homme et bétail), qui bordent les cours d'eau, et une steppe graminéenne qui va en se détruisant du fait de pâturages intensifs".

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Nous utilisons et utiliserons le terme de "parc" dans son sens agronomique, celui d'enclos à bétail. On leur donne dans les campagnes uruguayennes le nom de potrero (grand parc), ou de piquete, petit enclos de moins de 1 hectare servant au maniement du bétail où au dépôt temporaire de quelques animaux.

Pour l'Uruguay, ce récit se caractérise par l'affirmation d'une tendance globale au recul forestier, fruit de ponctions sans cesse croissantes, et de l'action du bétail. A ce mouvement continu se surajoutent des crises ponctuelles (les deux conflits mondiaux) qui accentuent la tendance. En termes "quantitatifs", Carrere estime, par extrapolation de données du recensement agricole de 1937, et du taux de réduction des surfaces forestières entre 1937 et 1951, que les forêts auraient pu couvrir 1 millions d'hectares au début du siècle, soit 6% du territoire248. L'auteur est cependant le premier à introduire des nuances dans ce modèle explicatif. Il remarque qu'entre le recensement agricole de 1951 et celui de 1980, on observe une légère augmentation des surfaces249. Une analyse de l'évolution 1956-1980 par maille infra-départementale des surfaces fait également apparaître des nuances géographiques, aucun département ne connaissant de tendance marquée dans un sens expansionniste ou de réduction des surfaces. Selon lui, il existerait donc plutôt une "régression qualitative" durant la seconde moitié du XXe (1951-1980) qu'une perte en superficie.

Quand les plantations monospécifiques sur la prairie permettent de préserver les forêts "natives": le discours en faveur de la culture d'arbres exotiques

Dès la fin des années 1990, ce modèle historique est également repris par les entreprises sylvicoles qui, de 1987 à 2000, plantent près de 1 million d'hectares en eucalyptus et pin sur les herbages uruguayens. A l'origine, on affirme que la plantation d'arbres exotiques va réduire la pression anthropique sur la forêt, par apport supplémentaire de bois sur le marché. C'est là l'opinion des ingénieurs agronomes experts en sylviculture de l'Institut National de Recherche Agronomique, exprimée dans leur bulletin N°88 (Martino et al., 1997). La "reforestation", qui en Uruguay concerne pourtant presqu'exclusivement la plantation de terres n'ayant jamais été boisées, au moins depuis l'arrivée des blancs au XVIIIe, permet de palliers aux inconvénients d'une "déforestation"...dans un pays où les forêts regagnent en surface de façon ininterrompue depuis les années 1980 (d'après les recensements agricoles). Cet argument, véritable prêt-à penser international des tenants de la sylviculture, est contredit par les observations de Nebel (1997), responsable du département "forêts natives" du Ministère de l'Agriculture et de l'Elevage : l'arrivée massive de bois d'eucalyptus, à un prix inférieur de près de moitié à celui du bois "natif", n'a pas eu pour conséquence une dévalorisation de ce dernier. Au contraire, il est revalorisé pour divers usages culturels très répandus (grillades), ou comme bois de chauffage domestique de meilleur pouvoir calorifique.

A cet alibi écologique de la "forestation" s'ajoute à la fin des années 1990 une politique active de publicité autour d'actions volontaristes de préservation de l'environnement. Les entreprises ne se contenteraient pas de contribuer à réduire la coupe des forêts natives, elles les protègent désormais dans leur propres établissements. C'est le discours des responsables forestiers de la Caja notarial, qui exploitent 13.000 hectares dans le pays : "comme il s'agit d'une entreprise qui travaille avec des ressources forestières, les forêts naturelles ont été respectées (1800 ha) [...]. Protéger les forêts natives des pressions économiques et mettre les sols à l'abri de l'érosion au moyen d'une gestion adéquate des ressources naturelles est primordial. On travaille en harmonie

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1990c, p 69.

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Les données du recensement de 1990, qui confirment cette tendance, n'étaient alors pas disponibles.

avec la nature, en préservant la flore et la faune autochtones, avec des techniques avancées et non agressives vis-à-vis de l'environnement, intégrées dans un développement durable". (El observador, 2004. Entretien avec le responsable sylvicole de la propriété). Près de Fray Bentos, dans le département de Río Negro, l'entreprise Forestal Oriental exploite plusieurs dizaines de milliers d'hectares. Les zones n'ayant pu être plantées pour des raisons édaphiques (sols salins) ou techniques (fonds de vallons servant de coupe-feu ou à sols hydromorphes) sont présentées comme des aires de protection écologique (annexe I.6). Par le biais de dépliants en direction du public en général, la société communique, indiquant les espèces rares qui se trouvent sur ses terres, et qu'elle prétend protéger de la "dégradation". Dans le département de Paysandú, la société Eufores procède de la même façon, autour de palmeraies à Butia yatay qui se trouvent dans son établissement "Palmar de Quebracho". Les taches résiduelles de palmeraies, autrefois isolées dans les herbages, sont aujourd'hui entourées de hautes futaies d'eucalyptus. Eufores communique néanmoins au moyen de son site web (annexe I.4), ou de panneaux bordant les pistes accessibles au public (annexe I.5).: on y prétend protéger les palmiers de façon durable, et on demande au passant de ne pas arracher les jeunes individus. Plus généralement, s'est développée une littérature vert-de-gris, accessible sur le web, où des défenseurs souvent mal identifiés de la "forestation" développent ces arguments. Luis Anastasía, un "expert environnemental", publie ainsi sur internet un petit opuscule citant nommément les entreprises Forestal Oriental et EUFORES : celles-ci, par leur action, auraient protégé la forêt native, mais tout l'environnement en général, et le nombre d'espèces sauvages aurait augmenté là où elles se sont implantées. Cette littérature s'accompagne d'un dénigrement des opposants aux plantations, mais ne fournit guère d'éléments scientifiques pour conforter ses dires250.

Au fondement de ce discours, existe l'idée que ces entreprises font intervenir une rationalité de gestion qui tranche avec celles qu'ont auparavant connu les forêts autochtones, soumises à une série de déprédations irrationnelles. Mais dans les faits, cette supposée protection n'entraîne aucun surcoût pour l'entreprise, puisqu'elle n'exige que la construction d'une image environnementaliste à partir des secteurs des établissement qui sont inexploitables pour la sylviculture. Nous voyons par là que sous ce discours écologique sous-tendu par le modèle de la crise des forêts natives, joue une stratégie spatiale. Il s'agit pour ces entreprises de justifier leur expansion sur les herbages, que les mouvements écologistes, et les scientifiques de la région de plus en plus, leur reprochent251. Le paysage uruguayen présente pour cette expansion un atout de taille, puisque l'expansion sylvicole peut se faire sans besoin de déboiser les forêts spontanées…ces dernières servent donc d'alibi à une expansion sur les espaces herbagers adjacents.

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On peut consulter ce texte à l'adresse : http://www.montevideo.com.uy/imgnoticias/194893.pdf

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Le développement de plantations ligneuses monospécifiques est présenté comme une grave atteinte à la qualité environnementale des herbages en Argentine, Uruguay et Rio Grande do Sul (à l'instar d'autres régions herbeuses du monde), depuis le début des années 1990. Les effets sur les sols (Panario et al., 1991), sur la richesse en espèces végétales et animales (Bilenca & Miñarro, 2004), sont décrits comme négatifs. Dans le Rio Grande do Sul, l'Université Fédérale commence à s'inquiéter de la question, mise sur le même plan que l'expansion des cultures de soja résistant aux pesticides (transgénique), comme en témoigne un récent workshop (ECOQUA, 2006).

Un premier bilan sur l'évaluation des récits de crise

Dans cette première partie, nous avons analysé les récits de crise sans jugement sur l'adéquation entre les descriptions du milieu réalisées, et les processus bio-physiques ayant lieu. Notre première approche de ces récits a été d'évaluer les éventuelles stratégies sociales sous- jacentes à leur énonciation. L'hypothèse méthodologique est que, quand on peut déterminer qu'un récit donné répond à une stratégie précise et rentre dans un système de rapports sociaux, on peut mettre en doute sa congruence.

Le récit de "destruction" des forêts uruguayennes: mutations des stratégies, permanence du rôle de médiation sociale

C'est ce que nous espérons avoir démontré dans ces trois premiers chapitres : à diverses époques, dénoncer une crise forestière permet de peser dans le débat social, dans le rapport de force. Nous pouvons donc mettre en doute la congruence de ce récit, en bref, supposer que les atteintes aux forêts, telles qu'elles sont présentées, ont été largement surestimées. Cependant, la fonction des récits de crise ne doit pas être résumée à une simple stratégie manipulatrice. Cette stratégie, lorsqu'elle existe, évolue au fil du temps et des enjeux du moment : c'est là les