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L’application des méthodes d’analyse démographique (corps de méthodes spécifiques pour « l’analyse du mouvement de la population et la compréhension de ces mécanismes »88) à des populations spécifiques comme les populations de licenciés sportifs a permis de mettre en évidence des phénomènes jusqu’alors occultés dans la simple analyse des recensements de sportifs. Elle opère un changement de paradigme en introduisant l’ancienneté comme « âge » démographique, c’est-à-dire comme « une variable indispensable à la mesure et à l’analyse de ces phénomènes d’entrées et de sorties naturelles qui font la dynamique des populations »89. L’âge s’impose en démographie comme une caractéristique incontournable de différentiation entre individus. De la même manière, l’ancienneté s’impose comme une caractéristique primordiale de différentiation des pratiquants sportifs.

L’analyse démographique dont il a été question consiste à étudier les flux d’entrée et de sortie des licenciés à la FFN entre 1996 et 2003 et pour comparaison, des cavaliers amateurs licenciés à la DNSE (1988 à 1992). Nous retrouvons chez les nageurs, les trois phénomènes que Vérène Chevalier avait mis en évidence chez les cavaliers dix ans plus tôt.

Tout d’abord, ces deux populations se renouvellent par plus d’un tiers chaque saison et plus de la moitié de leurs effectifs ont moins de deux ans d’ancienneté dans la pratique. Ensuite, les probabilités d’abandonner diminuent quand l’ancienneté dans la pratique augmente. En natation, comme en équitation, les probabilités d’abandon passent d’environ 50 % pour les nouveaux licenciés à environ 25 % pour les licenciés affichant cinq ans d’ancienneté. Enfin si les probabilités d’abandon dépendent en premier lieu de l’ancienneté dans la pratique, le cycle de vie que l’on appréhende à travers la variable d’âge a un effet constant sur les risques d’abandon : les variations selon l’âge des taux de noviciat et des taux d’abandon font apparaître systématiquement une baisse de la pratique entre 15 et 30 ans en natation comme en équitation. Cette dynamique de renouvellement met en évidence d’un côté des pratiquants anciens et fidèles et de l’autre une masse de passagers. Pour ces derniers, il est difficile d’aborder la question des interactions entre la pratique sportive et les autres domaines de la vie sociale en raison de la brièveté de leur pratique sportive. On peut néanmoins remarquer que le moment du cycle de vie

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CASELLI, G., VALLIN, J. & WUNSCH, G., 2001, Op.Cit., p11.

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où l’abandon est le plus fréquent correspond à l’adolescence et le début de l’âge adulte. Il s’agit d’une période sensible de la vie durant laquelle l’individu se construit un avenir professionnel. La pratique sportive, si elle n’a pas été pérennisée ne semble pas avoir de place à côté des obligations de la vie.

Dans le cas de la natation, l’augmentation des effectifs de pratiquants ces dernières années, résulte en fait de l’augmentation du nombre de passagers ou plutôt de passagères. Après le choix de la pratique, s’impose donc à chaque étape de la carrière sportive la question de l’abandon. Les individus et les groupes que se saisissent durablement des pratiques ont plus de chances d’y imprimer leur marque et leur système de valeurs. Inversement, les pratiques contribuent d’autant plus efficacement à l’identité des individus et des groupes qu’elles sont pérennisées.

La seconde partie de notre travail a consisté à étudier plus particulièrement les facteurs d’abandon La méthode d’analyse de durée, qui prend le temps comme unité principale d’analyse a été notre outil privilégié. L’analyse a été menée uniquement pour les nageurs licenciés à la FFN de 1997 à 2003. L’ancienneté ou la durée écoulée depuis l’entrée comme licencié à la FFN est la variable temporelle de notre modèle. C’est aussi le facteur qui détermine en premier lieu les risques d’abandon. Les autres variables viennent accentuer ou au contraire atténuer ce phénomène, elles sont de deux types :

- Les facteurs d’état modulent les probabilités d’abandon de manière générale à toutes les étapes du processus de socialisation. L’âge ou le sexe sont des facteurs prédéfinis, tous les nageurs suivent la même évolution. Par exemple, les femmes entre 18 et 29 ans sont celles qui abandonnent le plus rapidement. La taille du club ainsi que sa localisation géographique sont des facteurs contextuels. Ce sont des éléments de contexte de la pratique qui contribuent à fragiliser ou au contraire renforcer le processus de socialisation à la pratique.

- Les facteurs événementiels comme les changements de club et les arrêts temporaires modifient le risque d’abandon à partir de l’événement. Les changements de club intra- départementaux fidélisent les nageurs. Ceux qui ont fait l’effort de changer de club abandonnent moins que les autres.

Les travaux antérieurs concernant les sportifs, comme, les recherches de Pierre Bourdieu90 puis celles de Christian Pociello91 ont montré que les positions sociales intervenaient dans le choix de pratiquer un sport plutôt qu’un autre. La grande majorité des entrées proviennent de la volonté

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BOURDIEU, P. Questions de sociologie, Paris, Editions de minuit, 1980.

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des individus d’acquérir les codes et les signes d’un capital culturel éventuellement convertible en capital social et scolaire. Qu’en est-il ensuite, après ce choix ? Y a-t-il un processus de sélection sociale qui s’opère après l’entrée dans la pratique ? Connaître la position sociale des pratiquants selon leur ancienneté serait alors un moyen d’analyser plus finement les mécanismes de diffusion et de démocratisation d’une pratique.

Certains événements comme le changement de club intra-départemental contribuent à fidéliser plus efficacement les pratiquants. Chaque investissement consenti est un pas dans l’engagement sportif. Il est probable que chaque compétition, chaque stage d’entraînement, chaque heure de plus passée au bord des bassins engage un peu plus le compétiteur. Jusqu’où ? Quel impact l’engagement sportif de plus en plus fort peut-il avoir sur d’autres domaines de la vie comme le domaine scolaire ou professionnel. Inversement, quelles conséquences les impératifs dans ces deux derniers domaines peuvent avoir sur la pratique sportive ? Qu’en est-il de ceux qui restent ?