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L’objectif de ce travail était de comparer les performances de deux groupes de post-éditeurs potentiels dans la PE d’un texte spécialisé : d’une part, des traducteurs, d’autre part, des spécialistes du domaine.

Afin de mener à bien cette comparaison, une expérience de PE a été mise en place : elle portait sur quatre extraits du rapport annuel 2018 de la Banque du Canada, d’une longueur de 713 mots, rédigés en anglais et traduits automatiquement vers le français.

Trois experts en économie et quatre traducteurs ont pris part à cette expérience, dans laquelle ils avaient 90 minutes pour post-éditer la TA, grâce au logiciel MateCat.

L’expérience au centre de ce travail de recherche présente de nombreuses limites : seuls les résultats de sept participants ont pu être pris en compte, ce qui est loin de constituer un échantillon représentatif. De plus, elle se base sur un mandat fictif qui ne se déroulerait sans doute pas de la même manière dans des conditions réelles : si le rapport annuel de la Banque du Canada devait vraiment être traduit automatiquement et post-édité, on ferait sans doute appel à un collaborateur de l’institution qui connaîtrait bien la terminologie interne, ou à un traducteur auquel on fournirait des instructions précises, un glossaire et/ou des documents de référence.

Toutefois, malgré ses limites, l’expérience a tout de même dévoilé quelques pistes intéressantes qui mériteraient d’être étudiées dans d’autres travaux à une plus grande échelle.

Dans un premier temps, après omission des considérations d’ordre stylistique, la TA neuronale de MateCat n’est pas de mauvaise qualité, même dans la traduction d’un texte spécialisé. La PE de textes similaires serait donc envisageable, dans la mesure où elle ne prendrait pas plus de temps qu’une TH.

L’exercice a bien été compris par tous les post-éditeurs, qui semblent ne pas avoir eu de difficultés particulières à prendre en main le logiciel. Si les experts ont été globalement

122 plus performants, travaillant de manière plus rapide et fournissant moins d’effort de PE, les traducteurs ont fourni de meilleures versions finales, même si elles n’étaient pas encore parfaites et auraient nécessité quelques corrections avant la publication.

Quelle conclusion faut-il alors tirer de cette expérience ? Les traducteurs y sont certes de « meilleurs » post-éditeurs, même s’ils sont un peu plus lents, mais les experts ne sont pas mauvais non plus, car les scores qu’ils ont obtenus lors des évaluations automatique et humaine ne sont que légèrement inférieurs. Une formation suffirait-elle à améliorer leurs résultats, notamment au niveau linguistique, auquel ils semblent moins sensibles ?

D’autres expériences permettraient de répondre à cette question : il serait par exemple intéressant de comparer les performances des experts avant et après une formation en PE. Il serait également intéressant de faire des études similaires portant sur d’autres domaines spécialisés ou d’autres langues, notamment ceux qui sont moins présents sur Internet : en effet, comme les systèmes de TA neuronaux sont basés sur des corpus, la quantité et le type de données disponibles en ligne influencent leurs performances. La qualité de la TA aurait par exemple été moins bonne si l’expérience avait été effectuée avec un texte traitant de la danse et qu’il avait dû être traduit du slovène au coréen.

Enfin, il serait intéressant de réitérer une même expérience à quelques années d’intervalles, afin de mesurer les progrès de la TA ou d’analyser les résultats de traducteurs qui, entre eux, se seraient exercés à la PE, voire qui en auraient fait leur activité principale.

Il est impossible de prédire l’évolution du monde de la traduction : progrès de la TA, besoins de PE, multiplication des supports, projets d’adaptation et de transcréation, etc.

Le marché de la traduction est aujourd’hui bien différent de celui de 2010, et sans doute de celui de 2030. Il ne semble y avoir qu’une seule certitude, celle que la technologie va rester, se développer et assister les traducteurs dans leur quotidien professionnel.

Les progrès de la TA sont porteurs de nombreux espoirs : ils faciliteraient l’accès aux contenus et aux médias du monde entier, permettraient de travailler avec des langues plus rares qui ont jusqu’à maintenant été délaissées pour des raisons économiques,

123 rendraient les services linguistiques plus accessibles pour les personnes qui n’en avaient jusqu’à maintenant pas les moyens, etc. La TA représente toujours ce rêve millénaire d’un monde sans barrière de communication.

Beaucoup de traducteurs s’inquiètent toutefois de ces progrès. Ils se retrouvent en effet face à un concurrent plus performant et plus rapide, qui travaille gratuitement et qui produit des traductions de plus en plus correctes. Le savoir-faire qui leur appartenait est maintenant accaparé par une machine au fonctionnement si complexe que seuls des informaticiens peuvent comprendre. Pour les traducteurs, le « rêve de la TA » peut rapidement virer au cauchemar.

Quel avenir leur reste-t-il alors ? Que doivent-ils faire ? Changer de profession et s’orienter vers les métiers de la rédaction, de la communication ou de l’enseignement ? Se spécialiser dans des langues et des domaines rares, pour lesquels la TA n’est pas une solution viable ? S’inspirer des luddites, refuser le changement et saboter les systèmes de TA ?

Il est impossible de se prononcer sur le long terme, mais à court et à moyen terme, la profession a encore tout son intérêt et toute son utilité : il reste encore beaucoup de travail pour adapter, améliorer et évaluer les nombreux outils de TA, et ce travail pourra difficilement se faire sans la participation des traducteurs. Bien que les machines soient aujourd’hui capables d’apprendre par elles-mêmes, l’humain joue un rôle clé dans leur apprentissage.

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