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Chapitre II. Le froid prolongé induit des variations de la méthylation de l’ADN chez une lignée

3. Conclusion et perspectives

En conclusion, le froid prolongé induit une variation du transcriptome qui explique les caractères phénotypiques observés pour le génotype B73 à la sortie du froid (baisse de photosynthèse, retard de croissance). L’augmentation de l’expression des gènes impliqués dans les fonctions vitales de la cellule telles que le repliement des protéines et réparation de l’ADN montre en outre que les conditions de culture que nous avons utilisées ont été perçues comme un vrai stress au niveau cellulaire. Cette réponse s’accompagne d’une augmentation faible (quelques pourcents) de la méthylation le long des chromosomes, pour les 3 contextes de cytosines (CG, CHG et CHH) ainsi que des variations localisées mais fortes (>10%) détectées par l’analyse des DMR, en hyperméthylation et en hypométhylation. A l’échelle chromosomique, la cellule met en place plusieurs mécanismes (maintenance des CG et CHG, RdDM) qui augmentent en parallèle la méthylation dans les différentes régions génomiques, mais ciblent toutes les séquences d’éléments transposables. Ceci suggère que la réponse au froid nécessite une augmentation du contrôle des éléments transposables, ce qui pourrait s’expliquer par la mobilisation possible de certains éléments transposables suite au stress ressenti. Ainsi, la cellule mettrait en place un mécanisme global d’augmentation de la méthylation, pour contrecarrer le mouvement de certains éléments.

La caractérisation des contextes des DMR ainsi que l’annotation de ces dernières suggère l’existence de plusieurs mécanismes de régulation du méthylome en réponse au froid à l’échelle locale (Figure II.1). Les cas de CG only, observés dans les gènes avec ou sans lien avec la présence d’un élément transposable pourraient s’expliquer par une modification de la méthylation ‘‘gene body’’ dont la voie n’est pas encore bien élucidée mais qui fait appel au gène MET1 pour le maintien et la propagation de la méthylation CG dans le corps du gène (revu dans (Bewick & Schmitz, 2017), voir aussi Introduction). Les DMR CHG only localisées dans les gènes à proximité des éléments transposables pourraient résulter d’une augmentation de la maintenance de la méthylation CHG par la boucle d’auto- renforcement CMT3/H3K9me2 qui pourrait être due à une insuffisance d’IBM1. A noter que dans ces régions la méthylation CG est déjà très élevée, ce qui ne permet pas de détecter une éventuelle augmentation et ne permet donc pas de savoir si la maintenance CG est également affectée. Les DMR CG/CHG, qui présentent aussi une variation du contexte CHH et sont localisés à côté de éléments transposables en dehors des gènes pourrait s’expliquer par l’activité RdDM.

Figure II.1 : Résumé de l’annotation des DMR hyperméthylées (en rouge) et hypométhylées (en bleu)

117 Si les mécanismes proposés sont en accord avec les données bibliographiques, leur existence aux locus analysés reste hypothétique. L’analyse conjointe de la méthylation, des petits ARN et des marques d’histones, ou de la compaction de la chromatine (par exemple par MNAse-seq ou ATAC-seq) permettrait également de mieux comprendre l’impact du froid sur les modifications de la chromatine et de faire le lien avec les modifications observées au niveau des DMR. Malheureusement, le matériel que nous avons prélevé a été presque entièrement utilisé, et de telles analyses ne pourraient être réalisées que sur d’autres feuilles des mêmes plantes.

La comparaison entre la réponse du transcriptome et du méthylome ne montre qu’une corrélation réduite. Cependant, quelques tendances sont observées : (i) les DMR localisées en amont des gènes ont peu de lien avec la transcription, (ii) les DMR localisées dans les gènes montrent au contraire un lien assez fort avec l’expression, et presque tous ces cas sont liés à une différence de méthylation en CHG, à proximité d’un élément transposable. Le lien de cause à effet entre transcription et méthylation reste cependant à analyser, par exemple en réalisant des cinétiques entre méthylome et transcriptome au cours du traitement au froid.

Dans le cadre de notre analyse, nous avons été très stringents en ne conservant que les cytosines analysables dans les 6 individus, ceci afin d’étudier la répétabilité du signal entre échantillons. L’analyse de la répétabilité a révélé que le signal est stable entre individus stressés pour un quart des cas, et stable entre individus non stressés dans un autre quart. A l’inverse de ce qui a été décrit dans d’autres études (Eichten & Springer, 2015) , la stochasticité n’est donc pas plus forte après exposition à une contrainte abiotique. La variabilité observée est essentiellement due à la présence de deux individus « outliers », l’un dans le lot stressé (34S) et l’autre dans le lot non stressé (11NS) Ces « outliers » sont observables au niveau du méthylome, mais aussi du transcriptome. Ainsi, il semble que la variabilité observée soit plutôt due à une variabilité de réponse entre individus, et non à une variation locus-spécifique. La réponse différente de ces deux répétitions pourrait avoir une origine intrinsèque, liée à une provenance différente des graines (les graines utilisées proviennent d’un ensemble d’épis, et donc possiblement de plantes mères différentes) ou bien, malgré les efforts mis en place, à des variations locales des conditions de culture. Bien que nous ayons réalisé des rotations des plantes dans la chambre de culture, une interaction position dans la chambre climatisée/moment de développement, ou d’une différence faible de germination induisant des différences légères de stade de développement à l’entrée de la chambre climatisée ne sont pas à exclure. L’analyse des plantes ayant poussé dans les mêmes pots pourrait permettre de commencer à répondre à cette question (voir chapitre III). L’analyse d’un plus grand nombre de plantes pourrait permettre aussi de mieux caractériser l’ampleur de la variation entre individus.

Enfin, le plan expérimental compare un lot « stressé » qui a poussé en chambre climatisée et un lot « non stressé » qui a poussé en serre. Ainsi, les variations de méthylation détectées à la sortie du froid résultent d’un contraste entre ces deux conditions, dont un paramètre est le froid. Mais d’autres paramètres comme le rayonnement lumineux, l’évaporation, la teneur en CO2 varient également entre les deux conditions et pourraient être responsables des variations de méthylation observées. Dans le cadre de cette expérience, nous avons choisi de faire pousser les deux lots en parallèle, car nous souhaitions mettre les plantes à pousser ensemble après le traitement froid, afin de suivre l’évolution des profils de méthylation au cours du développement, et dans les générations suivantes. Afin de valider que les variations observées proviennent bien du froid, il pourrait être envisagé de refaire une

118 culture du lot « non stressé » dans la chambre climatisée, avec des conditions de températures similaires à celles de la serre. Cependant, la chambre climatisée est très utilisée, et une telle culture n’est pas prioritaire. D’autre part, les analyses de méthylome sont coûteuses, et ces analyses ne sont pas prioritaires, notamment par rapport à l’analyse des petits ARN ou des marques d’histone sur les plantes de cette première expérimentation.

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