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Les résultats des études EXTRA et IDAS II indiquent que le monitoring électronique est une approche pertinente de la prise en charge de l’adhésion thérapeutique en pratique ambulatoire Cela peut aider le médecin à prendre de meilleures décisions thérapeutiques et favoriser le dialogue entre le patient, le pharmacien et le médecin. Ainsi, dans l’étude EXTRA, les médecins ayant eu la possibilité de monitorer la prise médicamenteuse de leurs patients en collaboration avec les pharmaciens ont atteint plus fréquemment les objectifs thérapeutiques pour les patients hypertendus et dyslipidémiques sur une année de suivi que les médecins du groupe contrôle.

Autant les patients de l’étude EXTRA que ceux de l’étude IDAS II ont apprécié d’être monitorés. La plupart ont considéré le monitoring électronique comme un aide-mémoire fiable dans leur prise médicamenteuse. Nombreux ont souhaité pouvoir continuer à être monitorés à la fin de l’étude car ils avaient majoritairement le sentiment d’améliorer leur prise médicamenteuse.

Pour les médecins de l’étude EXTRA, la perception du pilulier électronique a changé au cours de l’étude. Lors de la présentation de l’étude, le pilulier était fréquemment perçu comme un moyen de contrôle qui pouvait mettre en danger la relation de confiance avec leurs patients pour être considéré à la fin de l’étude, comme un outil utile permettant d’améliorer la prise en charge et comme une aide pour les patients dans leur prise médicamenteuse. La majorité des médecins ont apprécié de pouvoir mesurer la prise médicamenteuse des patients au moyen du pilulier électronique. Les pharmaciens ont apprécié le pilulier électronique pour les mêmes raisons. Certains ont souhaité pouvoir le proposer à leurs patients au même titre qu’un semainier. En conclusion, autant les patients, les pharmaciens et les médecins ont jugé positivement le pilulier électronique.

L’introduction du pilulier électronique s’est heurtée, dans un premier temps, à un inconfort de la part de certains médecins qui ont parfois hésité à le proposer par peur de vexer leurs

patients ou de fragiliser la relation patient-médecin. De même, du côté des pharmaciens, la discussion du rapport a parfois mis mal à l’aise, notamment lors de problèmes de prise médicamenteuse, parce qu’elle leur a donné l’impression de mettre en accusation le patient

sur sa prise médicamenteuse. Ceci montre bien la nécessité pour les médecins et les

pharmaciens de développer une culture et un savoir-faire de l’adhésion thérapeutique pour les aider à aborder cette problématique en médecine ambulatoire. Ce savoir-faire pourrait être déjà enseigné lors de leur cursus universitaire. Des journées de formations continues et communes médecins-pharmaciens pourraient être proposées, par exemple, sous la forme de mise en situation (vidéos, jeux de rôles) afin de confronter les idées entre pharmaciens et médecins autour de l’adhésion thérapeutique en pratique ambulatoire.

Notre étude a aussi montré que la collaboration entre médecins et pharmaciens sur le thème de l’adhésion thérapeutique en est encore à ses débuts et ce, malgré une collaboration déjà existante au sein des cercles de qualité basée sur un aspect pharmaco-économiques de la prescription médicale ambulatoire. Ainsi, le pharmacien était perçu par certains médecins de l’étude plus comme un intermédiaire technique dispensant le pilulier électronique que comme un partenaire du médecin et du patient dans le suivi de l’adhésion thérapeutique. En effet, lorsque le pharmacien n’est pas intégré à une unité de soins, il n’est pas perçu comme un spécialiste du médicament facilement disponible du fait de son éloignement géographique qui nécessite un déplacement ou un contact téléphonique (Ranelli & Biss 2000). Une étude menée, en Valais, auprès de patients asthmatiques inclus dans un programme d’éducation thérapeutique en collaboration avec des médecins praticiens, des pharmaciens d’officine et des infirmières spécialisées a mis en évidence des difficultés de collaboration entre les différents professionnels de soin et une mise en application difficile sur le terrain (Rosset-Burkhalter 2001).

Divers auteurs s’accordent à dire que pour améliorer l’adhésion au traitement

médicamenteux, pharmaciens, médecins et patients doivent travailler en étroite collaboration (Chockalingam et al. 1998; Hill et al. 1996; Wagner 2000; Holman et al. 2000). Plusieurs études ont montré qu’une collaboration médecins, pharmaciens améliore la prise en charge des patients hypertendus (Borenstein et al. 2003; Mehos, Saseen & MacLaughlin 2000;

Erickson & Slaughter 1997), des patients dyslipidémiques (Bogden et al. 1997) et des patients dépressifs (Boudreau et al. 2002). Cependant, la mise en oeuvre d’une collaboration

médecins, pharmaciens adaptée aux réalités de la pratique ambulatoire dans le domaine de l’adhésion se heurte au mode de travail indépendant des deux professions, au mode de communication et au manque de proximité entre le médecin et le pharmacien. Dans des

hôpitaux dans lesquels des pharmaciens cliniciens sont intégrés au fonctionnement de l’unité de soins, la proximité avec le médecin prescripteur favorise des échanges plus longs et plus fréquents (Bedouch et al. 2005).

La mesure et le suivi électronique: quel avenir à l’officine et au cabinet médical?

Nos résultats indiquent que le pilulier électronique est un outil utile dans le suivi à long terme des patients. Il semble, ainsi, aider les médecins à prendre de meilleures décisions

thérapeutiques car il permet de mieux comprendre le problème de la non-réponse aux

traitements médicamenteux en distinguant une vraie résistance au traitement – qui nécessitera un changement de traitement et/ou des investigations supplémentaires – d’une fausse

résistance liée à une mauvaise prise médicamenteuse qui ne nécessitera pas de modification immédiate (Burnier et al. 1997). Pour les pharmaciens, le pilulier électronique est un outil de soutien dans la prise en charge des patients car il permet de discuter de la prise

médicamenteuse, des problèmes ou difficultés rencontrés par le patient lors de son suivi. Dès lors, la vraie question est de savoir si ce système est réellement implantable dans la pratique quotidienne d’un cabinet ou d’une officine?

Les conditions de la Policlinique Médicale Universitaire, qui dispose d’une pharmacie et de cabinets médicaux sous le même toit facilitant ainsi la collaboration et la transmission des informations entre médecin et pharmacien constituent des conditions de travail idéales mais difficilement exportables en pratique privée, à large échelle.

Dans ces conditions, se pose la question d’une mesure de l’adhésion thérapeutique effectuée par le médecin seul ou le pharmacien seul.

L’utilisation du système électronique au sein du cabinet médical se heurte à des problèmes pratiques et organisationnels. Dispenser un pilulier électronique nécessite un

reconditionnement du médicament. Le contrôle de la stabilité et la conservation du médicament hors de son emballage original sont plus faciles à réaliser par le pharmacien.

D’autre part, le conditionnement du médicament dans un pilulier électronique au cabinet médical se heurte non seulement à des problèmes pratiques d’approvisionnement, de stock, de gestion et de facturation des médicaments mais aussi à des problèmes légaux. Ainsi, dans le

canton de Vaud, seul le pharmacien est autorisé à dispenser les médicaments (liste A, B, C).

Le médecin peut exceptionnellement et seulement en cas d’urgence dispenser des

médicaments par exemple lorsque les circonstances locales rendent l’approvisionnement en médicaments très difficiles (art. 177 de la loi sur la santé publique, LSP). Cela n’exclut pas que le système de lecture des piluliers électroniques soit installé chez le médecin.

La mesure électronique de l’adhésion thérapeutique pourrait être initiée par le pharmacien et suivie ensemble par le médecin et le pharmacien. En effet, le pharmacien est bien placé pour informer le patient des avantages, des risques liés à son traitement et des effets secondaires potentiels (Evans & Johns, 1995; Barnett, Nykamp & Ellington, 2000), pour renforcer les recommandations du médecin à chaque prescription médicale, éduquer le patient, améliorer la prise en charge du traitement médicamenteux et pour évaluer l’adhésion thérapeutique des patients (Park et al. 1996; Carter et al. 1997; Bogden et al. 1998; Chabot et al. 2003; Tsuyuki et al. 2003).

Toutefois, quelques améliorations doivent être apportées afin de faciliter l’utilisation des piluliers électroniques dans la pratique quotidienne d’une officine. Des rendez-vous pourraient être aménagés afin de disposer du temps nécessaire à la discussion entre le pharmacien et le patient. La préparation du pilulier électronique (sortie des médicaments, collage des étiquettes, remplissage du pilulier) pourraient être assurée par les assistantes en pharmacie; la présentation du pilulier, la discussion des résultats doivent être assurés par le pharmacien. L’amélioration technique des piluliers et de leur système de lecture via un portail sur internet (site internet: www.viewcompliance.com; AARDEX) pourra aussi faciliter leur emploi à large échelle. L’aménagement d’un espace confidentiel réservé permettrait aussi un meilleur dialogue entre patients et pharmacien, espace qu’il n’est pas toujours possible d’avoir dans les pharmacies de villes.

On pourrait aussi envisager l’utilisation du pilulier électronique dans le cadre d’une

collaboration plus restreinte par exemple, au sein de cabinets médicaux de groupe qui seraient appuyés d’un pharmacien d’officine formé dans le domaine de l’adhésion thérapeutique et dont la pharmacie serait à proximité du cabinet de groupes.

Perspectives

Suite à ce travail de recherche, il serait pertinent de mener des études prospectives et

randomisées à plus large échelle pour démontrer que l’utilisation des piluliers électroniques a un rapport coût-efficacité favorable. Par ailleurs, la mesure de l’adhésion thérapeutique demande un investissement en temps et en formations. Il est donc illusoire de promouvoir une mesure de l’adhésion thérapeutique en pratique privée sans une base de tarification médicale.

Ainsi, la reconnaissance et la rémunération appropriée de la mesure et du suivi électronique sont essentielles au succès de l’utilisation des piluliers électroniques en pratique privée et devraient être défendues auprès des instances gouvernementales et des caisses maladies.

Une autre étape serait de valoriser l’importance des interventions du pharmacien d’officine dans le domaine de l’adhésion thérapeutique. Il s’agit de déterminer les interventions (par exemple, expliquer au patient les avantages et les risques associés au traitement, détecter une surconsommation et/ou une sous consommation, ou trouver les moyens adéquats aidant le patient dans sa prise médicamenteuse) qui sont d’une part, efficaces à long terme dans le soutien de la prise médicamenteuse du patient et d’autre part, applicables dans la pratique ambulatoire quotidienne au sein de l’officine.

De plus, au-delà de la simple mesure de l’adhésion thérapeutique, le pilulier électronique permet la mise en place de plusieurs stratégies (informer, engager et motiver le patient) qui, combinées, sont plus efficaces à long terme qu’une intervention unique pour aider le patient dans sa prise médicamenteuse (Schedbauer et al. 2005; Roter et al 1998; Haynes, McDonald

& Garg 2002). Il importerait ainsi de quantifier et d’évaluer si de telles stratégies sont

réalisables dans la pratique courante privée (Schroeder et al. 2005; Krousel-Wood et al. 2005) car la majorité des interventions proposées sont complexes (Schroeder, Fahey & Ebrahim, 2004; Van Wijk et al. 2005).

Comme le remarquait le Professeur HR Brunner, ancien médecin-chef de la Division d’Hypertension (CHUV), «la non adhésion au traitement médicamenteux est un

comportement normal mais problématique. Ainsi, identifier la non adhésion permettra aux médecins et aux pharmaciens de collaborer avec leurs patients afin de trouver des moyens adéquats pour aborder le problème» (Stephenson 1999). Les dispositifs électroniques tels que

le MEMS et l‘IDAS II apportent un appui pertinent pour mesurer et soutenir l’adhésion thérapeutique au long terme. Notre travail indique que le pilulier électronique offre la

possibilité de véritablement traiter la non adhésion thérapeutique. Une meilleure information sur la prise médicamenteuse du patient basée sur des données fiables et précises permet au médecin et au pharmacien de mieux aborder la problématique de l’adhésion thérapeutique.

Partant du constat qu’il est plus facile et économique de traiter la non adhésion que d’en subir les conséquences (Chisholm 2002) autant cliniques qu’économiques, nous devons donc dès aujourd’hui, mettre en œuvre les moyens et investir du temps pour traiter la non adhésion thérapeutique de nos patients.