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Conclusion et perspective du chapitre

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“Sea use impact category in life cycle assessment: characterization factor calculation considering life support functions”

5.3 Conclusion et perspective du chapitre

5.3.1 Conclusion de l’article

Les présents travaux ont permis la construction d’une méthode opérationnelle de prise en compte des impacts de l’utilisation de l’espace marin en ACV. Des facteurs de caractérisation ont été fournis pour la pêche (y compris la pêche destructive et ses impacts potentiels sur la dégradation des fonds marins) et pour des constructions de tout type (flottantes ou ancrées). La nouvelle catégorie d’impacts sea use permet donc de comparer des activités très différentes, ce qui peut être avantageux pour des analyses avec des enjeux sur l’aménagement du territoire ou pour des activités mêlant plusieurs types d’intervention (telles que l’algoculture par exemple). Par ailleurs, des indicateurs du land use exprimés en NPP voient le jour (Núñez et al. 2012; Pfister et al. 2011), ainsi que des indicateurs des impacts de l’usage de l’eau (Pfister et al. 2009). On peut donc assez bien imaginer des liens entre land use et sea use dans une prochaine étape de développement de la méthode.

Pour la prise en compte des effets de la destruction des fonds marins ou de la création d’habitat artificiel, nous nous sommes heurtés à un manque certain de données génériques (par types de fonds et par types de climats), notamment pour les quantités de biomasses primaires présentes sur les fonds, mais également pour les quantités produites par an. La méthode développée ne permet donc pas de bien différencier les impacts de constructions selon le type de fonds sur lesquels elles sont ancrées. Néanmoins, elle permet de quantifier les impacts d’une construction dans une même unité que les autres activités en mer.

Par ailleurs, davantage de détails pourraient être apportés pour les catégories d’activités considérées. En l’état actuel des connaissances, il est possible de calculer des facteurs de caractérisation par espèces de poissons et pour de l’ombrage partiel. Par ailleurs, on peut assez facilement imaginer lancer des études complémentaires permettant de prendre mieux en compte les différences de productivité des fonds marins à l’échelle des provinces marines, ou au moins des biomes, en fonction de leurs types de substratum et de leur latitude. La présente méthode est compatible avec ce genre d’améliorations, sur la base de ce qui a été présenté dans ce chapitre. Quelques pistes seront abordées dans le chapitre 8.

Chapitre 5 : Caractérisation des impacts sur les services écosystémiques

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5.3.2 Discussion sur les facteurs limitants en milieu marin

Dans la mesure où l’on considère la quantité de carbone organique présente dans les écosystèmes comme un enjeu environnemental majeur, il convient de s’interroger sur les facteurs limitants de la production primaire.

Les rôles respectifs de l’azote et du phosphore en tant que facteurs limitants de la production primaire n’étaient pas encore bien déterminés jusqu’à peu (Howarth 1988). De plus récents travaux ont montré l’importance d’un autre processus dans la limitation des nutriments en milieu marin, à savoir la fixation du N2 par des enzymes de cyanobactéries contenant du Fer (Falkowski et al. 1998). D’une part, les enzymes impliquées dans ce processus sont parmi les plus lentes de toutes les enzymes utilisant le Fer, et d’autre part, la quantité de Fer biodisponible dans les océans est assez faible, en raison notamment d’un fort potentiel oxydant, favorisant sa précipitation. Pour pallier ce problème, le Japon a d’ailleurs envisagé de construire d’importants édifices sur les fonds marins, dans le but de créer des upwellings artificiels, c’est-à-dire de faire remonter en surface les eaux océaniques profondes, riches en éléments minéraux, dans le but d’enrichir les eaux de leurs zones de pêche (Bortone et al. 2011; Lacroix et al. 2002). La disponibilité des nutriments dans les océans pose donc un réel problème pour atteindre un haut niveau de production primaire. Ceci est d’ailleurs illustré par l’ampleur des marées vertes dans les zones eutrophisées : dès lors que des nutriments sont relachés dans des milieux qui n’en recevaient pas habituellement, de véritables blooms algaux ont lieu.

Au vu de l’importance de cette problématique de la disponibilité des ressources biotiques dans dans les océans, on pourrait se demander pourquoi ne pas prendre en compte des effets bénéfiques liés à l’eutrophisation des océans. En effet, l’eutrophisation permet une production accrue de biomasse. Pourtant elle est considérée comme un problème environnemental majeur, alors que l’on juge bénéfique dans nos travaux d’avoir davantage de production primaire. Telle que notre méthode est définie, il faudrait en toute rigueur tenir compte de ces effets au travers de la catégorie d’impacts du sea use, au titre que l’eutrophisation augmente le potentiel de production primaire. Ceci serait en totale contradiction avec la catégorie d’impacts de l’eutrophisation, qui quantifie des impacts négatifs sur l’evironnement lorsque des substances eutrophisantes sont relachées dans les milieux (Guinée et al. 2001b).

Cette contradiction peut s’expliquer en tenant compte de notions de seuil et de dynamiques temporelles, lors de perturbations rapides et intenses. Même si l’ACV n’intègre pas ce type

Chapitre 5 : Caractérisation des impacts sur les services écosystémiques

109 d’information, les catégories d’impact choisies sont néanmoins toujours associées à des phénomènes induisant des déséquilibres sur l’environnement. Dans le cas de l’eutrophisation on peut citer l’exemple de l’épandage de lisier en Bretagne, qui a conduit à une saturation des réservoirs d’azote en milieu continental et à la lixiviation des excédents vers les eaux fluviales et in fine vers les eaux côtières (Charlier et al. 2007). On peut également citer les émissions de phosphore en rivière qui ont eu lieu pendant plusieurs décennies en France par le passé, jusqu’à leur limitation dans les lessives, qui en contenaient en fortes concentrations (Garnier et al. 2005). Ce type de pratiques a induit de profonds dérèglements par rapport aux équilibres qui existaient à l’état naturel, avec pour conséquence de profonds changements liés à l’asphyxie des cours d’eau, ou l’envahissement des côtes par des espèces opportunistes, à l’origine chaque année de ce que l’on nomme communément des « marées vertes » (ou plus rarement des « marées rouges » ou « marées brunes », selon la couleur des algues opportunistes à l’origine du phénomène). Lorsque ces déséquilibres sont trop forts, ils ne peuvent plus être absorbés par les milieux récepteurs. Ils portent atteinte à la biodiversité qui caractérise ces milieux, du fait d’une forte compétition pour la lumière entre les espèces opportunistes tirant profit de l’eutrophisation et les espèces indigènes (Hautier et al. 2009) et du fait de l’asphyxie des fonds liée aux dépôts de matières organiques.

De même, des situations de déséquilibres importants existent à l’échelle des écosystèmes du fait de l’importance des prélèvements de biomasse et de la surpêche à l’échelle des écosystèmes (Murawski 2000). À l’échelle des espèces, il est possible de « tirer les équilibres » de production par des prélèvements de biomasse : un prélèvement de biomasse conduit à une moindre concurrence entre individus de l’espèce prélevée et favorise donc a priori une meilleure productivité de l’espèce en question. Les pêcheries ont fonctionné pendant de nombreuses décennies sur ces préceptes (Graham 1935; Schaefer 1954). Néanmoins, ce phénomène présente des limites et on parle aujourd’hui de surpêche à l’échelle des écosystèmes (Botsford et al. 1997), car cette augmentation de la productivité sur une espèce donnée se fait au détriment d’autres espèces de l’écosystème.

Ainsi, ces deux types d’impact méritent d’être évalués dans le cadre de l’ACV au titre qu’ils perturbent le fonctionnement habituel des écosystèmes. Dans la mesure où les impacts négatifs des marées vertes se portent surtout sur la biodiversité des milieux, il conviendrait de l’évaluer sous son angle négatif au travers d’un pathway la reliant à la biodiversité, ce qui est déjà le cas dans les méthodes endpoint (Goedkoop et al. 2009), et sous un angle positif au travers d’un pathway la reliant à la production primaire et aux fonctions de support de vie des

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110 écosystèmes. Du fait du caractère fortement polémique d’une telle démarche, il semble a priori difficile de l’aborder. Mais cette question devrait être traitée dans la suite du développement méthodologique du sea use.

Par ailleurs, la dépendance de la production primaire à d’autres facteurs que l’influence humaine directe n’a pas été abordée dans l’article. Or, il se trouve que cette grandeur évolue à l’échelle des temps géologiques. Ce choix est dû au fait que la régulation de la production primaire océanique est la conséquence de très nombreux phénomènes biogéochimiques interconnectés, avec des rétrocontrôles en lien avec le changement climatique encore très peu compris à l’heure actuelle. Elle est qualitativement corrélée aux circulations océaniques et à des processus physiques à l’échelle mésoscopique, influant sur les flux de nutriments essentiels dans les eaux de surface euphotiques. Ces flux sont très difficilement prédictibles, car ils tiennent à des phénomènes hautement transitoires, tels que des orages ou des conditions de turbulence ou d’El Niño (Falkowski et al. 1998). Il a été montré que la production primaire est actuellement en déclin partout dans le monde, à l’exception des zones d’upwelling des côtes Est, en lien également avec les circulations atmosphériques (Demarcq 2009). Ce type de connexion entre le changement climatique et ses effets à long terme sur la production des écosystèmes n’est pas encore pris en compte en ACV du fait d’une forte incertitude sur ces mécanismes environnementaux.

Les effets de l’usage des espaces marins sur les fonctions de support de vie peuvent donc être pris en compte grâce à la méthode développée dans ce chapiter. Outre ces effets, l’usage de l’espace en mer conduit à d’autres types d’impacts, dont certains sont étroitement liés aux capacités de production primaire des écosystèmes, et influent sur l’aire de protection des ressources naturelles. La caractérisation de ce type d’impacts est détaillée dans le Chapitre 6.

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